Dans le sillage du récent rapport du Haut Conseil à l'Egalité entre les femmes et les hommes, la journée du 25 janvier, désignée pour la première fois « journée nationale contre le sexisme » en France, a été l'occasion de mettre en lumière l'action des entreprises face à ce fléau.
Le sexisme se retrouve en effet au travail. Le collectif #StOpE (Stop au Sexisme dit 'Ordinaire' en Entreprise), lancé en 2018 par Accor, EY et L'Oréal France, a décidé de lui tordre le cou. Comptant 30 entreprises à son début, il regroupe aujourd'hui 270 organisations (entreprises, organismes publics, établissements d'enseignement) qui s'engagent à mener diverses actions, dont l'application du principe de tolérance zéro, la formation, la prévention, l'accompagnement et la mesure d'impact.
De fait, si les organisations ne sont pas responsables des stéréotypes qui peuplent les esprits - ils se sont formés avant, dans l'enfance et en famille, pour la plupart -, les employeurs ont, ne serait-ce que parce qu'ils influencent la vie d'une majorité d'actifs, un rôle crucial à jouer. Or le dernier rapport du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes est pour le moins troublant, de même que le baromètre de #StopE, publié en juin 2023. Dans le premier, on comprend qu'au lieu de régresser, le sexisme gagne du terrain. Ainsi, les hommes adhèrent de plus en plus aux stéréotypes masculinistes et 70 % des interrogés pensent qu'ils doivent prendre soin financièrement de leur famille pour être respectés dans la société, par exemple.
En outre, la résistance à l'émancipation des femmes se développe chez les hommes, en particulier les 25-34 ans. Ainsi, 37 % d'entre eux (+3 points entre 2022 et 2023) estiment que le féminisme menace la place et le rôle des hommes. Enfin, les réseaux sociaux ont tendance à véhiculer des stéréotypes particulièrement dommageables pour les femmes, d'une réassignation au foyer à une violence admise envers elles.
Huit femmes sur dix
Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que dans le baromètre de #StOpE, huit femmes sur dix déclaraient l'an dernier faire face à du sexisme ordinaire au travail. Sous forme de blagues sexistes (pour les trois-quarts), mais aussi de remise en cause de leurs compétences, notamment managériales (pour la moitié d'entre elles) ou d'attendus genrés : « les femmes ont moins de leadership » ou « elles savent mieux écouter », quand ce n'est pas, pour les plus jeunes (40 %) sur le fait qu'une éventuelle maternité « posera problème » - pour l'entreprise comme pour leur carrière...
En revanche, les stéréotypes concernant les hommes (autorité, leadership...) et les normes actuelles du monde du travail (sur une nécessaire disponibilité, en particulier), convergent en leur faveur. En conséquence, « les stéréotypes de genre, conscients ou inconscients, influencent les décisions en matière d'évaluation de la performance, de promotion ou d'augmentation salariale dans l'entreprise et y renforcent les inégalités », relève Clotilde Coron, professeure des Universités en Sciences de gestion à l'université Paris-Saclay. Pis, alors que la société connaît des évolutions, dont la primauté de plus en plus forte des parents dans l'éducation des enfants, les stéréotypes sur le rôle dévolu aux femmes dans ce domaine les pénalisent d'autant plus. Enfin, « les politiques publiques intègrent elles aussi des stéréotypes, regrette cette spécialiste. Cela va de la durée des congés paternité et maternité, encore bien différente, au financement de crèches. Avec en filigrane l'idée que le travail des femmes nuirait à la famille ».
Attention aux crises
Autant dire que des progrès restent à faire. Marie Ségur, directrice d'études chez Futuribles, relève en outre que les crises - économiques, politiques, climatiques, présentes ou à venir - menacent particulièrement les femmes. « La crise Covid, avec une augmentation très sensible des signalements pour violence conjugale lors des confinements, a montré combien les femmes pouvaient être vulnérables », dit-elle.
Simone de Beauvoir n'alertait-elle pas déjà en ce sens ? « N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant », prévenait-elle en 1949...
Quelque 35 000 salariés formés
Les entreprises qui s'engagent au sein de #StOpE font plus qu'être vigilantes. Elles agissent. Ainsi, en cinq ans, plus de 35.000 collaborateurs et collaboratrices ont été formés pour comprendre et identifier les attitudes sexistes, et 83 % des organisations signataires ont mis en place des actions pour prévenir ces situations et accompagner de manière personnalisée les victimes, témoins et décideurs dans la remontée et la prise en charge de tels agissements.
En outre, en leur sein, la moitié des salariés se déclare plus attentive aux propos et comportements sexistes, soit deux fois plus que la moyenne nationale, tandis que 41% des femmes et 51% des hommes estiment que sur les trois dernières années, les propos et comportements sexistes ont reculé dans leur entreprise (13 points de plus que la moyenne nationale).
Faire remonter les biais inconscients
Parmi les 35.000 personnes formées, 300 managers l'ont été l'an dernier chez Deloitte (soit environ 20 % de cette population dans le cabinet de conseil en France, l'objectif étant d'atteindre 35 % d'ici mai 2024). « Nombre de managers formés ont pris conscience de stéréotypes dont ils n'avaient, justement, pas forcément conscience, et de l'effet - parfois violent - de leur attitude », souligne Vanessa Girardet, associée chez Deloitte et Leader Parité pour la France et l'Afrique depuis 2023.
En outre, l'an dernier, le cabinet a fait une campagne sur écrans dynamiques, mettant en avant des phrases contenant du sexisme ordinaire ainsi que des liens vers des informations sur ce sujet. De quoi toucher plus largement les équipes. « Nous avons rejoint #StOpE en 2023, mais notre politique de parité, qui fait partie des trois axes stratégiques décidés par la Direction, est plus ancienne, précise Vanessa Girardet. Et elle inclut la lutte contre le sexisme, puisque ce phénomène a un impact sur la parité ».
Abriter en son for intérieur des stéréotypes n'est pas qu'un phénomène masculin. Il touche aussi les femmes. « Parmi nos actions, nous avons fait appel, sur l'un de nos sites, à une solution immersive qui permet de se mettre à la place d'une femme faisant l'objet de sexisme, indique Marilyne Abieta, responsable RH Diversité et Inclusion chez Naval Group. En participant, j'ai reconnu certaines situations. Et alors que j'estimais anodines certaines phrases, entendues quand j'ai débuté ma carrière, par exemple, j'ai pris conscience qu'elles m'avaient conditionnée ».
Pour déjouer un éventuel rejet de la part des personnes sensibilisées, Naval Group, qui a rejoint le collectif #StOpE en 2022, fait aussi appel à l'humour, sous forme, notamment, de représentations théâtrales. « Cette force de frappe est intéressante, poursuit Marilyne Abieta, et grâce à cela, nous sentons vraiment une appropriation de ces sujets de la part des salariés et des individus ». Car les salariés sont évidemment aussi des citoyens, et l'action des entreprises, que l'on attend de plus en plus sur des sujets sociétaux, est aussi de nature à faire évoluer le sexisme ordinaire bien au-delà du monde du travail.