Télétravail : les Français sont les champions européens de la présence au bureau

Alors que le recours au télétravail est devenu une nouvelle habitude dans l'après-Covid, les salariés français montrent un attachement plus fort au présentéisme que leurs voisins européens, selon une étude du cabinet JLL. Comment expliquer cette sacralisation du bureau physique, à l'heure de la digitalisation du travail ? Parmi les raisons, les Français auraient, entre autres, un attachement viscéral à la socialisation dans l'entreprise. Décryptage.
Mathieu Viviani
Avec 3,5 jours de présence au bureau par semaine en moyenne, les Français sont les premiers à plébisciter la présence au bureau.
Avec 3,5 jours de présence au bureau par semaine en moyenne, les Français sont les premiers à plébisciter la présence au bureau. (Crédits : Reuters)

Face à l'essor du télétravail, la présence au bureau fait de la résistance dans certains milieux économiques. Et en Europe, ce sont les Français qui en sont les plus friands. C'est l'un des enseignements tirés par JLL, un cabinet de conseil français en immobilier, au travers d'une enquête menée auprès de 20.000 travailleurs salariés issus de 29 entreprises clientes partout dans le monde. La tendance s'inscrit aussi dans la durée puisque ces réponses ont été données ces douze derniers mois.

Avec 3,5 jours de présence au bureau par semaine en moyenne, les Français sont donc les champions en Europe de la présence au bureau. C'est davantage que les Suisses, en deuxième position avec 3 jours de présence, les Britanniques (2,6 jours) ou les Espagnols (2,5), selon cette étude qui croise également les déclarations de 200 décideurs immobiliers en charge de l'environnement de travail de leur société.

Trois jours et demi au bureau par semaine

Selon l'étude de JLL, au global en Europe, les travailleurs viennent en moyenne 2,8 jours par semaine en présentiel. En dehors du Vieux Continent, ce sont les travailleurs nord-américains (Etats-Unis) qui viennent le moins au bureau (2 jours par semaine). Avec 3,5 jours de présence par semaine, l'Asie est au même niveau que la France. Enfin dans le monde, JLL a calculé que le présentiel atteint en moyenne 3,1 jours.

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 « Ces quelques chiffres montrent qu'il y a une vraie différence entre le monde anglo-saxon, plus habitué et demandeur de télétravail, et la France, de culture plus latine, qui accorde davantage d'importance au lien social créé au bureau », résume Flore Pradère, directrice de recherche sur les nouveaux modes de travail au sein du cabinet de conseil.

Ce, malgré, les plus de 4.000 accords signés dans les entreprises tricolores, rappelle la Dares. C'est 10 fois plus qu'en 2017 selon l'administration, qui a aussi constaté que 67 % des accords de conditions de travail en 2021, étaient liés au télétravail.

Le retour ponctuel au bureau des Français est d'autant plus surprenant que la période Covid a acté un profond changement de paradigme dans l'entreprise. Pour rappel, entre mars et mai 2020, pendant le confinement, plus d'un salarié français sur deux (53%) n'avaient jamais eu recours au télétravail avant la crise sanitaire, indiquait alors une enquête de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact-Aract). A l'époque, 28 % d'entre eux télétravaillaient de manière occasionnelle et seulement 19 % de manière régulière. Interrogés sur leur intention de télétravailler à l'avenir, seuls 12 % ne le souhaitaient pas, tandis que 43 % voulaient être en télétravail de manière régulière et 45 % de manière occasionnelle ou ponctuelle. Autant d'aspirations au travail à distance qui, dans l'après-Covid, se sont visiblement régulées.

La convivialité, le statut

Derrière les chiffres, quelles tendances expliquent cet amour des Français pour le bureau ? Selon Flore Pradère, les facteurs sont pour beaucoup culturels, mais pas seulement : « En France, nous avons une culture forte de la socialisation. Les moments informels avec ses collègues sont très importants. Par exemple, la pause-déjeuner est pour nous un vrai moment de convivialité. Chez les Anglo-saxons, c'est simplement utilitaire, on mange souvent devant son ordinateur. A tel point qu'ils calent des réunions en même temps. »

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D'autres facteurs psychologiques jouent dans la venue plus fréquente des Français au bureau. Se montrer devant la hiérarchie est important pour garder un lien équilibré avec celle-ci, avoir des retours sur son travail, et résoudre les malentendus éventuels. D'après la directrice de recherche de JLL, il y a aussi un « rapport statutaire au bureau ». Elle explique : « Le bureau dit qui je suis et quelle est ma place dans l'entreprise. Si je ne suis plus au bureau, comment peut-on me prendre au sérieux ? Comment indiquer mon statut, ma séniorité auprès des collègues ? »

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Plus terre-à-terre, la qualité des transports publics dans les grandes agglomérations françaises favorise encore aujourd'hui la venue dans les locaux. Une différence avec l'Amérique du Nord, où les distances domicile-travail sont souvent plus importantes. Là-bas, le budget dédié au loyer est également plus élevé, ce qui demande un arbitrage plus délicat avec la dépense en carburant.

De l'hybridation

Quand bien même. Si les Français demeurent pour le moment champions d'Europe du présentéisme, ils ne sont pas prêts de lâcher le télétravail pour autant. Ils sont désormais attachés à ce mode de travail hybride, qui leur confère une véritable liberté.

« Dans toutes nos recherches sur le sujet ces dernières années, nous avons constaté que le télétravail était quasiment devenu un acquis social », constate Flore Pradère.

Chez de plus en plus de salariés français, le télétravail est par ailleurs un moyen d'organiser leur équilibre vie professionnelle / vie personnelle. « Du côté des employeurs, il y aussi un enjeu de coût sur la taille des bureaux et beaucoup ont constaté que leurs salariés étaient plus productifs en télétravail », ajoute la cadre de JLL. Mais elle prévient : « Cette hybridation entre le présentiel et le distanciel présente un vrai défi pour les manageurs. Ils doivent gérer les présences, animer davantage lorsque leurs équipes lorsqu'elles sont au bureau. » En d'autres mots, leur charge mentale s'avère plus lourde.

« Mais faire du télétravail à 100 % n'est pas non plus la solution selon moi. Le risque est de basculer vers une armée de travailleurs autonomes qui n'entretiennent plus vraiment de liens. Il y a dans cette tendance un risque de performance des entreprises, car le collectif crée de la valeur », conclut Flore Pradère.

Mathieu Viviani
Commentaire 1
à écrit le 07/10/2023 à 10:12
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"Et en Europe, ce sont les Français qui en sont les plus friands. " Friand ? , c'est plutôt les employeurs qui demandent au salarié de revenir au bureau sous peine de sanction.

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