« 2022 va être une année de normalisation de l'économie mondiale » (Christophe Barraud, Market Securities)

ENTRETIEN. Omicron, inflation, approvisionnement... Christophe Barraud, économiste en chef de Market Securities et "second meilleur prévisionniste du monde", selon le classement de l'agence financière Bloomberg, s'attend à un atterrissage de la croissance mondiale en 2022 après deux années tourmentées.
Grégoire Normand
Christophe Barraud est considéré comme le meilleur prévisionniste sur l'économie américaine sur la période 2012-2020 selon Bloomberg.
Christophe Barraud est considéré comme le meilleur prévisionniste sur l'économie américaine sur la période 2012-2020 selon Bloomberg. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Deux années après l'apparition du virus en Chine, le variant Omicron secoue encore fortement l'économie mondiale. Comment pourrait se caractériser la croissance planétaire en 2022, après un plongeon et un rebond spectaculaires ?

CHRISTOPHE BARRAUD - 2022 va être une année de normalisation de la croissance mondiale. La croissance du produit intérieur brut (PIB) mondial en 2021 devrait être de 5,8% selon le FMI. En 2022, cette croissance devrait converger autour de 4%. Le meilleur est derrière nous. Le pic de croissance est apparu au troisième trimestre 2021. Depuis le troisième trimestre 2021, l'économie mondiale entre dans une phase de normalisation. Le variant Omicron a un impact sur certaines zones.

La Chine continue d'appliquer une stratégie "zéro Covid" et des confinements stricts dans certaines régions. Ces mesures pourraient-elles avoir des répercussions sur l'économie chinoise ?

En Chine, les mesures ont des impacts sur le transport aérien, les réservations hôtelières. La Chine va continuer d'appliquer cette politique restrictives au moins jusqu'au jeux olympiques en février prochain. Sur le front sanitaire, les premières études sur le vaccin chinois montrent qu'il n'est pas très efficace contre Omicron. Les autorités chinoises devraient donc prolonger cette stratégie "zéro covid" pendant encore un moment.

La croissance chinoise devrait connaître un grand ralentissement en 2022. La croissance devrait frôler les 5% contre un seuil proche de 8% en 2021. Cette politique sanitaire a des effets indirects sur le marché de l'immobilier. Suite aux défauts de certains promoteurs et au climat de défiance, les mesures de restriction devraient avoir un impact sur les ventes immobilières et l'investissement résidentiel privé dans le secteur de la construction. Sur l'immobilier, les autorités ont relâché la pression sur les ventes de terrain, les prêts immobiliers dans les villes où les prix ont commencé à baisser.

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Quelle est la stratégie des autorités chinoises en matière de politique monétaire et de politique budgétaire ?

Les autorités vont tenter de relancer l'activité par une politique monétaire plus accommodante. On peut s'attendre à une baisse du taux d'intérêt directeur. La Chine sera l'une des rares zones dans le monde à appliquer une politique monétaire plus accommodante. Cette politique pourrait intervenir à un moment où le Yuan est extrêmement élevé face au dollar.

Sur le plan fiscal, des quotas d'émissions municipales ont été émis dès 2022. Les municipalités transforment ces émissions en investissement dans des infrastructures. L'objectif est de ne pas avoir une croissance qui déraille au premier trimestre au moment des jeux olympiques. On peut s'attendre à un grand ralentissement de l'économie chinoise mais il y a une volonté d'éviter le crash.

Un an après l'arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche, où en est l'économie américaine ?

La croissance américaine est devenue plus volatile au cours de l'année 2021. Il y a eu un très bon second trimestre 2021 à 6,7% en glissement trimestriel annualisé. Au troisième trimestre, le ralentissement de la croissance a été très important à 2,3%. La croissance devrait accélérer au dernier trimestre 2021 avec des bons chiffres en octobre et novembre. En revanche, il pourrait y avoir un impact négatif d'Omicron en début d'année 2022. Même s'il n'y pas d'hospitalisations massives, ni de restriction officielle, les Américains s'adaptent à la situation sanitaire. Outre-Atlantique, les Américains ont commencé à piocher dans leur épargne excédentaire en octobre et novembre 2021, ce qui a favorisé la consommation.

En revanche, les chiffres de la consommation pourraient être décevants au premier trimestre 2022 en raison du variant Omicron et de l'inflation élevée. Les Américains se chauffent beaucoup au gaz naturel. Cela devrait pénaliser le budget des ménages. Les ménages plus pauvres n'ont probablement plus d'épargne excédentaire. Cela va devenir compliqué pour eux de consommer. Le premier trimestre 2022 devrait être décevant. La croissance du PIB aux Etats-Unis devrait être autour de 5,6% en 2021 et 3,6% en 2022 alors que le consensus est de 3,9%. Il y a un effet de normalisation aux Etats-Unis.

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Le déferlement de la vague Omicron en Europe a obligé plusieurs pays à durcir les mesures de restriction ces dernières semaines. La Commission européenne était optimiste dans ses prévisions à la mi-novembre. Depuis, les menaces s'accumulent. Avez-vous révisé à la baisse vos perspectives économiques pour l'Europe ?

L'Europe a fait figure d'exception en 2021. La croissance a accéléré au troisième trimestre 2021 après un très bon second trimestre en raison d'un taux de vaccination plus élevé et un climat favorable pour doper le tourisme. À la fin de l'année, plusieurs pays ont appliqué des mesures sévères comme l'Autriche ou la Slovaquie. D'autres pays qui ont appliqué des mesures moins strictes comme l'Italie ou l'Allemagne ont beaucoup souffert. La Bundesbank a même indiqué qu'il pouvait y avoir une contraction technique au dernier trimestre 2021 en Allemagne.

Sur le plan manufacturier, Berlin est très dépendant de la Chine qui marque le pas. Dans le secteur automobile, la pénurie persistante de semi-conducteurs a eu des conséquences sur la production. Beaucoup d'entreprises ont coupé dans leur niveau de production en raison de la flambée des prix de l'énergie (gaz naturel, électricité). Sur ce point, l'Allemagne est bien plus exposée que la France.

Sur la consommation, quelques mesures ont été décidées en France ou en Espagne pour amortir cette hausse des prix. Le premier trimestre 2022 devrait être très mou en zone euro en raison d'Omicron et des mesures de restriction. La croissance attendue en Europe en 2021 devrait être de 5,1% et 3,7% en 2022. C'est un niveau légèrement en dessous du consensus (4,2%). En zone euro, il y a pas mal d'incertitudes politiques en Italie ou en France. Dans l'Hexagone, les chances des candidats à la présidentielle sont beaucoup plus équilibrées que ne le laissent transparaître les sondages.

Aux portes de l'Europe, les tensions se multiplient en Turquie en raison notamment de l'envolée des prix. Quel regard portez-vous sur la situation économique de ce pays ?

En Turquie, il y a une défiance énorme de la part de la population à l'égard de leur propre monnaie. Une partie des Turcs est très portée sur les projets de cryptomonnaies en raison de cette défiance. La monnaie se déprécie et l'inflation explose. La banque centrale continue de faire une politique ultra accommodante. Il y a également une défiance des investisseurs étrangers.

C'est un dossier qu'il faut suivre car si la Turquie implose économiquement, cela peut engendrer une instabilité politique et des flux migratoires très difficiles à gérer. Il peut y avoir une exposition du système financier européen. Il existe beaucoup de liens économiques et financiers entre l'Europe et la Turquie et c'est un pays proche géographiquement. La Turquie est le cygne noir de l'année 2022.

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Certains pays émergents en Asie semblent résister aux différentes vagues de Covid. Comment expliquer ce phénomène ?

Certaines économies émergentes ont un potentiel de croissance plus élevé. En Asie, certains pays ont plus d'expérience sur le plan sanitaire. Leurs économies sont plus résilientes. Chaque vague a un moindre effet.

A la suite de la reprise en 2021 et la flambée des prix de l'énergie, l'inflation a ressurgi en 2021. Quel pourrait être le niveau d'inflation en Europe et aux Etats-Unis en 2022 ? Existe-il un risque de transmission en Europe ?

Il faut d'abord distinguer trois types d'inflation. Il y a d'abord l'inflation transitoire liée au Covid. Elle se ressent dans l'hôtellerie, les billets d'avion au moment de la fermeture ou de la réouverture des économies. Au niveau du commerce mondial, même si les perturbations de chaînes d'approvisionnement durent plus longtemps que prévu, ces frictions devraient être transitoires.

Le deuxième type d'inflation peut être transitoire mais avec un effet cliquet. Dans le secteur automobile des véhicules neufs par exemple, certains constructeurs comme Daimler ou BMW expliquent qu'ils n'ont pas vu venir ce choc et qu'ils n'appliquent plus de rabais comme avant sur les prix. Les constructeurs veulent se prémunir d'un éventuel choc sur une pénurie.

Il y a enfin l'inflation durable mais on ne la retrouve pas partout. Elle peut provenir de deux canaux avec un marché d'emploi tendu et une croissance élevée comme aux Etats-Unis. Il y a environ 10 millions d'offres d'emploi et 7 millions de demandeurs d'emploi, et des hausses de salaires. Les salaires à la hausse sont tirés par les catégories en bas de l'échelle. Ces catégories les plus pauvres sont confrontées à la hausse du prix des loyers alors qu'elles occupent souvent des métiers plus précaires au contact avec le Covid comme les femmes de ménage ou les serveurs.

Il y a un début de spirale prix-salaire aux Etats-Unis par le canal des catégories les plus pauvres. Il y a un vrai risque d'inflation aux Etats-Unis que l'on n'a pas en Europe. La théorie de l'inflation transitoire en Europe est encore valable. Le marché de l'emploi n'est pas au même niveau qu'outre-Atlantique. Le marché de l'emploi est moins flexible. Une grande partie de l'inflation en Europe est transitoire. Elle devrait redescendre au cours de l'été 2022. L'effet de la baisse de la TVA allemande va s'estomper. L'inflation est cependant plus élevée que prévu. La logique des loyers en Europe n'est pas la même qu'aux Etats-Unis. Le marché de l'immobilier est moins tendu sur le Vieux continent qu'outre-Atlantique.

Comment pourraient réagir la Réserve fédérale américaine (Fed) ?

Aux Etats-Unis, il y a un changement d'état d'esprit. Le président de la Fed Jérôme Powell a axé son dernier discours sur l'inflation. L'inflation est revenue au centre des préoccupations de la Fed. La Fed a également évoqué la question des loyers alors qu'elle n'en parlait pas auparavant. Il devrait y avoir trois hausses de taux aux Etats-Unis. La nouveauté dans les dernières minutes de la Fed est de réduire la taille du bilan de la Banque centrale.

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La problématique aux Etats-Unis est l'immobilier avec des prix qui flambent. Cela crée une barrière à l'entrée pour les primo-accédants des 25-34 ans. Une partie de cette population est déjà endettée en raison des prêts étudiants. La seule manière de régler ce défi est de stabiliser les prix, voire les baisser. Or, faire baisser les prix sans déclencher un choc peut se révéler très risqué. A l'approche des élections de mi-mandat, il ne faudrait pas que les gens souffrent trop à cause de l'inflation. La Fed pourrait être plus agressive que prévu. 2022 sera l'année de la fin des rachats nets d'actifs.

Face aux poussées inflationnistes, quelles sont les marges de manœuvre de la Banque centrale européenne (BCE) et de la banque centrale au Royaume-Uni (BoE) ?

La BCE a dévoilé sa feuille de route avec la fin du PEPP (le programme d'achats d'urgence) face à la pandémie jusqu'à la fin du premier trimestre 2022. La question est de savoir si la BCE va tenter de relever les taux en 2022 ? Si l'inflation est vraiment transitoire, la BCE n'a pas vraiment n'a pas intérêt à relever les taux avant 2023.

De son côté, la banque centrale d'Angleterre (BoE) est confrontée à une spirale incontrôlable de hausse des salaires amplifiée par le Brexit. Pourquoi les salaires accélèrent-ils ainsi ? Le Royaume-Uni doit faire face à un problème de mobilité internationale avec le Brexit et le Covid. Le Brexit a provoqué un premier choc sur la mobilité internationale des travailleurs. Les entreprises ont des difficultés à recruter. Le marché de l'emploi est très tendu.

Sur l'immobilier, les prix des loyers commencent à remonter. La banque centrale a relevé ses taux en décembre et elle devrait faire plusieurs hausses de taux. Elle pourrait s'attaquer aux rachats d'actifs. Politiquement, le Royaume-Uni est une poudrière en raison du Brexit. La politique monétaire sera très dépendante de la situation sanitaire. On est sur une voie de normalisation monétaire et de la croissance réelle.

La reprise économique aux Etats-Unis et en Europe a entraîné des pénuries de composants et de matières premières. De nombreux goulets d'étranglement sont apparus partout sur la planète. Les risques de pénurie pourraient-ils se prolonger en 2022 ?

Les pénuries pourraient se prolonger en raison notamment des mesures de restriction en Asie avec le variant Omicron. La Thaïlande, le Vietnam, l'Indonésie appliquent certaines restrictions mais elles sont moindres. Les pénuries devraient donc être moins intenses. En Chine, on ne peut pas exclure de nouvelles restrictions dans les ports.

Propos recueillis par Grégoire Normand

Grégoire Normand
Commentaires 12
à écrit le 07/01/2022 à 19:12
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S'il le dit ça doit être vrai...dans un contexte stable. Nous n'oublions jamais non plus la valeur de la parole des économistes qui sont les champions des explications à posteriori. Pour le futur, la boule de cristal ou le marc de café sont tout a...

à écrit le 07/01/2022 à 10:23
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Il oublie un detail l'expert: La remontee des taux. Ca va etre un carnage pour les economies tres endettees. La France va etre en premiere ligne. La fete est finie.

à écrit le 07/01/2022 à 9:43
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La normalisation de la sphère économique c'est, toujours se maintenir dans une politique de l'offre avec son indispensable publicité au dépend de la planète, et, continuer sur des innovations perpétuelles pour l'alimenter sans obtenir le moindre prog...

à écrit le 07/01/2022 à 8:56
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Vous bercez pas d illusion un économiste c est pas un épidémiologiste… il y aura un autre variant … l histoire nous apprend tant qu’ un vaccin stable n est pas trouvé et que toute la population n’ est pas vaccinée et en distanciel durant la période...

à écrit le 07/01/2022 à 8:53
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Vous bercez pas d illusion un économiste c est pas un épidémiologiste… il y aura un autre variant … l histoire nous apprend tant que un vaccin et que toute la population n’ est vaccinée et en distanciel il y a un risque ( variole polio grippe espag...

le 07/01/2022 à 9:04
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Dis moi Maurice, tu pourrais pas changer de tenue stp, parce que ta tenue "sexy" bof bof hein... Remet le costard cravate va au moins tu seras moins vulgaire, merci.

à écrit le 07/01/2022 à 8:41
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Une tête pas vraiment sympathique

à écrit le 07/01/2022 à 7:52
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Bref comme je le dis et je ne suis pas classé par bloomberg, Omicron sonne la fin de l'hystérie sanitaire faudrait juste le dire à nos dirigeants politiques que l'exacerbation de leur autoritarisme commence à dissoner sérieusement là.

le 07/01/2022 à 23:08
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ils essayent de fourguer le maximum de doses avant la fin du truc... et aussi de faire passer le maximum de lois spéciales, pour justifier la mise-en-place des outils numériques de demain... en effet, la vente généralisée (même si pas forcément utile...

le 07/01/2022 à 23:09
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ils essayent de fourguer le maximum de doses avant la fin du truc... et aussi de faire passer le maximum de lois spéciales, pour justifier la mise-en-place des outils numériques de demain... en effet, la vente généralisée (même si pas forcément utile...

le 08/01/2022 à 9:56
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Surtout avec le bitcoin, ils ont déjà perdu mais sont tellement déconnectés de la vie qu'ils ne le voient pas. Comme de vulgaires machines.

à écrit le 07/01/2022 à 7:17
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Enfin

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