Reflet du ralentissement de son économie et de sa crise immobilière, la Chine voit sa monnaie, le yuan, se déprécier. Vendredi dernier, le yuan onshore (il existe un yuan offshore pour les échanges internationaux) a atteint son plus faible cours face au dollar, cotant jusqu'à 7,3503 yuans pour un dollar pour la première fois depuis décembre 2007. Ce mardi, il se reprenait à 7,1986 pour un dollar, mais a perdu près de 6% de sa valeur depuis le début de l'année.
Stabiliser le yuan, priorité du gouvernement
La Banque populaire de Chine — nom officiel de la banque centrale — a prévu de convoquer une « réunion spéciale » pour discuter de « la situation récente sur le marché des changes et des questions relatives au taux de change du renminbi (autre nom du yuan) ». Elle a d'ores et déjà annoncé que tout achat de plus de 50 millions de dollars réalisé par une banque locale devra attendre l'approbation de l'opération par la Banque populaire de Chine et que la part minimale des réserves de changes détenue par les banques passera de 6% à 4%.
« Stabiliser le yuan contre le dollar est une priorité pour les autorités afin de restaurer la confiance des investisseurs dans l'économie chinoise. La Banque populaire de Chine a utilisé plusieurs instruments : cours pivot, intervention probable sur le marché des changes et resserrement des liquidités du yuan », rappelle Zouhoure Bousbih, stratégiste Marchés émergents chez Ostrum, dans une analyse sur le pays.
L'institution monétaire chinoise est rompue à l'exercice de contrôle de sa devise. Les principales banques d'Etat ont acheté des yuans avec leurs dollars pour enrayer sa baisse. Si ces opérations n'ont pas inversé la tendance, elles ont quand même stabilisé le phénomène. Le dollar profite en effet du rendement plus élevé des bons du Trésor américain entraîné par la hausse des taux que mène la Réserve fédérale. Les investisseurs internationaux arbitrent en faveur du billet vert qui joue le rôle de valeur refuge dans le contexte économique et géopolitique mondial dominé par les incertitudes.« L'élargissement du différentiel de taux d'intérêt avec les Etats-Unis a également contribué à exercer des pressions baissières sur le yuan et devrait le rester », souligne l'analyste d'Ostrum.
Les effets de la hausse des taux aux Etats-Unis
La politique monétaire de la Fed n'a pas que des conséquences pour le yuan. La semaine dernière, le yen a touché un plus bas de 43 ans face au dollar. « L'Asie-Pacifique se trouve au milieu d'une série de hausses rapides des taux d'intérêt en provenance des États-Unis. Les pressions macroéconomiques s'exerceront sur les taux de change régionaux, comme en témoigne le creusement des déficits des comptes courants dans de nombreux pays. Les effets pourraient s'étendre aux entités de bonne qualité, ou aux secteurs qui ont été largement résistants, si le renforcement du dollar se poursuit ces prochains mois », avertit John Plassard chez Mirabaud Equity Research. A l'image du géant chinois de l'immobilier Country Garden, réputé financièrement solide comparé à Evergrande, qui s'est retrouvé au début du mois d'août au bord de la faillite incapable d'honorer des échéances de remboursements de dettes contractées en dollars.
D'autres secteurs pourraient à leur tour subir les conséquences de ces dépréciations. « La baisse des devises asiatiques, yen et yuan par exemple, a plusieurs inconvénients. Les effets amplifient l'inflation importée, pèsent sur le sentiment des investisseurs et limitent le financement. Bien que les entreprises de la région Asie-Pacifique aient largement géré les effets de l'asymétrie des devises jusqu'à présent, ces tensions pèsent sur les entités dont la dette en dollars est importante et arrive à échéance dans les 12 à 18 mois à venir », explique John Plassard.
Néanmoins, à la différence du yen et des autres monnaies internationales, le yuan est contrôlé par les autorités politiques. Le taux de change du yuan officiel ne flotte pas sur le marché international des devises selon l'offre et la demande mais est fixé par la Banque populaire de Chine à travers un mécanisme de fixing quotidien, établi en fonction des informations recueillies par les teneurs de marché avant l'ouverture des séances boursières. Cette maîtrise de la monnaie permet au gouvernement d'avoir une marge de manœuvre pour piloter si besoin son taux de change à l'avantage de son économie, ce que les Etats-Unis dénoncent régulièrement depuis 2019 comme une « manipulation » y voyant une « concurrence déloyale ». Pour autant, les marges de manœuvre de Pékin restent limitées par l'environnement économique international dont dépend également le géant asiatique.
Éviter la guerre des devises
« Nous nous attendons à ce que le yuan évite ce que nous appelons un seuil de "crise de confiance", c'est-à-dire au-dessus de 7,32 yuan pour un dollar. En effet, un yuan plus faible peut aider à soutenir la réduction des surcapacités chinoises dans le secteur manufacturier, mais un yuan trop fort pourrait accroître les craintes du G7 de voir la Chine se lancer dans une sorte de guerre des devises. Nous pensons donc que les autorités voudront maintenir le yuan "suffisamment bas" pour éviter une crise immobilière plus profonde, notamment dans le contexte des problèmes du marché immobilier, mais "suffisamment élevé" pour empêcher l'intensification de la rivalité entre les États-Unis et la Chine et l'augmentation des mesures protectionnistes », prévoient dans un note de recherche les experts d'Allianz Trade.
L'appréciation du dollar reflète sa large domination aujourd'hui sur la scène internationale. La Banque populaire de Chine soulignait d'ailleurs lundi que « bien que le yuan se soit récemment quelque peu déprécié par rapport au dollar américain, il reste fondamentalement stable par rapport à un panier de devises ».
Le rôle international du yuan reste marginal
Surtout, la prépondérance du billet vert montre qu'il est loin de pouvoir être détrôné. Car malgré la volonté du gouvernement chinois d'internationaliser le yuan, une mesure inscrite dans le plan quinquennal de 2021, le rôle de la devise chinoise reste encore largement marginal, même s'il va croissant. Ainsi, selon le dernier pointage du système de transaction SWIFT, la part du yuan dans le commerce international était de 2,77% contre 1,81% il y a un an.
De même, à la fin du premier trimestre de cette année, la part de la devise chinoise dans les réserves mondiales de change s'élevait à 2,58%, sans commune mesure avec celle du dollar (59,02%), de l'euro (19,77%), et même du yen (5,47%), ou de la livre sterling (4,85%), selon les données du Fonds monétaire international (FMI).