Face à Trump, la Chine pourrait se tourner vers l'Europe

Pékin est clairement dans le viseur d'un Donald Trump qui semble déterminé à appliquer son programme. La Chine pourrait, dès lors, chercher une alliance stratégique avec Berlin et l'Europe...
La Chine va-t-elle chercher un rapprochement avec l'Europe contre les États-Unis ?

10 jours après son investiture, Donald Trump a multiplié les annonces et les décisions, sur la sortie du traité de commerce transpacifique, sur le mur à la frontière mexicaine, sur l'interdiction d'entrée pour les ressortissants de sept pays musulmans. Le nouveau président des États-Unis semble décider à montrer que son programme est sérieux et qu'il entend l'appliquer. Dès lors, une autre confrontation, la principale sans doute dans l'esprit de l'ancien magnat de la construction, se profile : celle avec la Chine.

La Chine dans le viseur de Washington

La République populaire a été la principale visée par la campagne de Donald Trump. Et de fait, il semble que la principale tâche que se soit donné ce dernier est la réduction du déficit commercial entre les États-Unis et la Chine, qui, entre janvier et novembre 2016, a été de 319 milliards de dollars. Pour le réduire, la nouvelle administration pourrait utiliser sa méthode préférée, qu'elle a déjà évoquée pour le Mexique : des droits de douane élevés. Donald Trump avait évoqué un tarif de 45 % sur les importations chinoises. Compte tenu de la dépendance des États-Unis aux importations chinoises non directement substituables et du risque de représailles, une telle mesure semble hautement risquée, mais il serait erroné de considérer qu'elle est « impossible ». C'est la principale leçon de cette première semaine du gouvernement Trump.

Quoi qu'il en soit, la Chine doit se préparer à une véritable « guerre froide » avec Washington. Une compétition qui impliquera l'économie, mais pas seulement : les contacts pris par Donald Trump après son élection avec le gouvernement taïwanais, officiellement non reconnu par les États-Unis, prouvent que le combat se jouera aussi sur le terrain géopolitique. En réalité, si les États-Unis engagent un combat avec la Chine, cette dernière ne pourra s'offrir le luxe de ne pas relever le gant, ce qui rend la situation particulièrement explosive.

Une économie chinoise sous tension

Car l'économie chinoise reste sous perfusion de l'État. Ce dernier fait tout pour maintenir les engagements pris par le parti communiste chinois (PCC). Or, comme le souligne Toshiya Tsugami, spécialiste japonais de la Chine et ancien directeur de la division Chine du ministère nippon de l'Industrie et du Commerce extérieur, la Chine connaît actuellement une « bulle d'investissement » qui a été alimentée à partir de 2012 pour compenser le ralentissement de la demande de produits chinois. Pékin a engagé des mesures correctrices, mais il tente aussi de compenser les effets négatifs de cet ajustement par un plan de relance. Selon Toshiya Tsugami, la croissance de la Chine, sans cette relance, serait de « 0 à 2% ». On conçoit l'effort de Pékin pour rester entre 5 et 7% de croissance annuelle...

Une telle situation pose de grands risques d'explosion de l'endettement à moyen terme, au moment même où le problème démographique jouera pleinement dans le pays. D'où le risque, pour l'expert nippon, d'un « scénario à la japonaise » pour la Chine dans 15 ans. Selon lui, les dirigeants chinois connaissent ce risque, mais l'approche du Congrès du PCC, ne les incitent guère à prendre des mesures plus radicales pour en finir avec la bulle d'investissement. Dans cette situation, la Chine ne peut se permettre d'accepter une menace sur ses exportations, autrement dit sur sa croissance réelle.

Le problème du yuan

D'autant moins que la politique de baisses d'impôt et de rapatriement des capitaux vers les États-Unis envisagée par l'administration Trump rendra moins attractif sur les investissements étrangers dans l'ex-Empire du Milieu. Or, Pékin a besoin de ces investissements « réels » pour compenser l'éclatement de sa bulle... C'est la raison pour laquelle le gouvernement chinois ne laisse pas le yuan se déprécier, mais au contraire puise dans ses réserves pour en maintenir la valeur et rassurer les investisseurs. Avec la politique de Donald Trump, maintenir un yuan stable sera doublement difficile, car il aura besoin d'un yuan faible pour compenser le protectionnisme étasunien tout en devant maintenir un yuan assez fort pour contrer l'effet d'attraction de la politique Trump sur les capitaux internationaux. C'est sur ce point que Washington peut faire pression sur Pékin : vendre massivement des bons du Trésor étasuniens pour maintenir le cours du yuan serait contre-productif en cas de guerre financière. D'autant que la politique de Donald Trump et la remontée des taux rendra l'investissement dans la dette des États-Unis plus intéressant pour les autres investisseurs.

Vers une stratégie du « Front Uni » ?

C'est pour cette raison que le président chinois Xi Jinping à Davos, voici deux semaines, s'est clairement placé sur la défensive en se faisant le champion de la mondialisation. En réalité, cette volonté de se présenter comme le chef de file des « anti-Trump » dans un monde sous le choc de l'arrivée à la Maison-Blanche de la droite nationaliste pourrait être le fruit d'une stratégie réfléchie. Pour Toshiya Tsugami, ce discours de Davos pourrait être le renouvellement de la stratégie du « Front Uni » du PCC. Ce « Front Uni » est l'alliance réalisée par les Communistes contre les Japonais et leurs alliés avec leurs ennemis du Guomindang, le parti nationaliste, en 1923 puis en 1937. Dans cette alliance, le PCC admet les divisions idéologiques, mais accepte de tresser une alliance de circonstance dans un but commun. Ce pourrait être la stratégie menée par Pékin qui, alors, chercherait à se rapprocher des autres ennemis de l'Amérique de Trump : autres pays émergents, mais aussi Europe.

Objectif Europe pour Pékin

Le cœur de la nouvelle politique chinoise pourrait donc être de se tourner vers l'Europe pour négocier un meilleur accès aux marchés européens, mais aussi des transferts de technologie, afin de réduire la dépendance de l'économie chinoise à la dépense publique et de réaliser la montée en gamme de cette même économie. Pékin pourrait présenter une telle politique comme une politique de défense de la mondialisation contre le protectionnisme défendu par Washington, mais aussi comme une politique de défense contre un ennemi commun, tenté par l'alliance avec la Russie et le Royaume-Uni du Brexit. « La diplomatie chinoise a mis en place une stratégie centrée sur la nouvelle route de la soie vers l'Europe, centré sur des investissements dans les Balkans : l'Europe est clairement une priorité pour Pékin », rappelle ainsi Christopher Dembik, chef économiste chez Saxo Bank.

Dans ce cadre, le choix de l'Allemagne, elle aussi dans le viseur de Donald Trump, sera décisif. Berlin est clairement courtisée par la Chine. Six jours après l'arrivée de la nouvelle administration étasunienne, le Premier ministre chinois Li Keqiang a appelé Angela Merkel pour affirmer que « l'Allemagne et la Chine devraient envoyer un signal de stabilité aux marchés mondiaux et, ensemble, assurer le système international de la pérennité d'une libéralisation du commerce et des investissements ». Pour finir, le chef du gouvernement chinois a assuré la chancelière de son soutien à la construction européenne... Progressivement, donc, se met en place un axe Berlin-Pékin pour répondre à un éventuel axe Washington-Moscou, éventuellement élargi à New Delhi.

L'Allemagne tentée ?

L'Allemagne a toutes les raisons d'être attentive aux avances chinoises : ses entreprises pourraient compenser les pertes éventuelles enregistrées sur le marché des États-Unis par une ouverture plus grande du marché chinois où l'on est très friand des biens de consommation allemands. De plus, confronté à la menace russe avec, désormais, une protection incertaine de l'OTAN de son territoire et de son hinterland centre-européen, la République fédérale pourrait jouer une « alliance de revers » en misant sur Pékin. Mais ce « renversement des alliances » est loin d'être acquis : l'Allemagne reste attachée à son lien historique avec les États-Unis et les dirigeants allemands se sont montrés, jusqu'ici, assez prudents. Mais si Donald Trump touche aux intérêts allemands, la situation pourrait changer. Or, l'Allemagne, pays excédentaire, a déjà été attaquée par le président des États-Unis...

Une alliance qui n'est pas sans danger

Reste qu'une alliance avec la Chine de l'Union européenne ne serait pas sans dangers. « La stratégie de la Chine est clairement de tresser progressivement sa toile en Europe, comme elle l'a fait en Afrique, par des investissements ciblés, mais continus. C'est notamment vrai en Europe centrale où cela crée beaucoup d'inquiétudes », explique Christopher Dembik. Pour ce dernier, « le seul protectionnisme qui vaille aujourd'hui devrait être une défense contre ce type d'investissement et contre les transferts de technologie », mais, ajoute-t-il, « l'Union européenne semble encore fonctionner avec un logiciel vieux de 50 ans sur une défense de principe du libre-échange et une certaine naïveté qui ne semblent plus guère adaptée à la nouvelle situation ».

En fondant un « front uni » avec Pékin pour la défense du « libre-échange », l'UE pourrait se livrer pieds et poings liés à une Chine qui, en réalité, défend avant tout ses propres intérêts et sa place d'acteur mondial. La Chine n'est pas un modèle de défense du libre-échange : son marché intérieur reste très protégé et sa concurrence est loin d'être toujours loyal. Du reste, le PCC sait que les « front unis » sont provisoires : en 1926, le Guomindang s'était retourné contre le PCC, en 1945, ce sont les Communistes, une fois la menace japonaise effacée, qui avaient vaincu les Nationalistes dans une terrible guerre civile.

Les conditions de la puissance européenne

Cette lutte entre Pékin et Washington va placer l'Allemagne et, partant, l'Union européenne, face à un choix crucial : ou être le jouet d'un des deux protagonistes, ou prendre la mesure de la situation et bâtir une puissance économique, diplomatique et politique à la hauteur. Mais une telle ambition ne pourra se faite que si l'UE et son cœur la zone euro en finissent avec leurs déséquilibres. De ce point de vue, l'immense excédent courant allemand est clairement une faiblesse : il affaiblit l'économie de la zone euro et oblige les Allemands à trouver des investissements rentables outre-mer, donc à accepter les conditions des grandes puissances. L'indépendance de l'Europe ne pourra donc exister que si ce déséquilibre immense est réduit.

Commentaires 26
à écrit le 02/02/2017 à 16:32
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Sur le plan purement stratégique Moscou a peur de Pékin et la l'Axe Trump Poutine devrait se renforcer; La libéralisation du nombre d'enfants par femme devrait tendre vers une explosion démographique locale, qui si elle n'est pas endiguée par les fa...

à écrit le 01/02/2017 à 7:04
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...une economie chinoise " sous tension " ...; c'a oui , avec 5 à 7% de croissance ...; il est certain , mr Godin , que , en France , avec nos 1,1 % , nous sommes moins exposés Quant à la Chine qui " pourrait se tourner vers l'Europe ..." vous n'av...

à écrit le 31/01/2017 à 20:30
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En 1 an, Romaric Godin est passé de Varoufakiste a Trumpiste...

à écrit le 31/01/2017 à 16:56
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L'Union européenne devrait être favorisée par la hausse du dollar et en conséquence la baisse relative du pétrole. Les accords avec la Chine sont réguliers et pas si simples. Il y a plus de raisons que la Chine ait à s'ouvrir que l'inverse qui n'a pa...

à écrit le 31/01/2017 à 14:59
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Il n'y a rien à gagner avec la Chine, pas plus qu'avec les US... ou la Russie... ou l'Inde. Il y a à signer des accords, des partenariats équilibrés avec quiconque veut respecter les règles, sur fond de démocratie, de droits de l'homme, d'écologie a...

le 31/01/2017 à 16:02
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@valbel89: en 1 mot, Thomas More et la vie monacacle. ça va plutôt être coton avec l'islamisme ambiant :-)

à écrit le 31/01/2017 à 14:56
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une raison supplémentaire de sortir de cette zone de libre-échange qui nous a ruiné et qui n'est plus défendue que par des "élites" qui s'élèvent toujours plus haut dans les nuages. Trump et Térésa May ont déjà compris la réalité de cette mondialisat...

à écrit le 31/01/2017 à 13:27
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La menace de non remboursement des bons du trésor américains détenus par la Chine permet de négocier avec un gros jeu ... à suivre .

à écrit le 31/01/2017 à 11:59
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Bonjour monsieur Romarin Godin. Je fais suite à la publication récente de votre papier sur le Mexique sur un site (trés bien noté, classé conspi) je tenais à vous informer que Monsieur le Président Trump entre aussi en nego pour le shale (proj...

à écrit le 31/01/2017 à 11:25
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Comment dit-on "quel numéro de téléphone ?" en chinois ?

à écrit le 31/01/2017 à 8:47
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fichtre! serait une des raisons pour laquelle trump souhaite que l'europe n'existe plus d'ici 12 mois, comme le souhaite aussi stiglitz? impossible, pas vrai? pour le reste, oui les chinois veulent des transferts de technologies et l'acces au marc...

à écrit le 31/01/2017 à 6:37
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et quitte à rester dans ce registre, on rappellera cet autre diction américain: "be careful what you wish for... you may get it"...

à écrit le 31/01/2017 à 3:20
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"...une Chine qui, en réalité, défend avant tout ses propres intérêts et sa place d'acteur mondial..." Sans blagues !!!! il n'y a que nos fous-furieux fonctionnaires européens pour ne pas comprendre !!!

à écrit le 31/01/2017 à 0:32
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Est-il judicieux d'interroger Toshiya Tsugami membre de la haute administration japonaise pour avoir un avis neutre sur la Chine? Il y a un très fort antagonisme entre les deux pays du au passé impérialiste du Japon (crimes de guerre, colonisation ...

à écrit le 30/01/2017 à 22:05
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"De ce point de vue, l'immense excédent courant allemand est clairement une faiblesse : il affaiblit l'économie de la zone euro et oblige les Allemands à trouver des investissements rentables outre-mer, donc à accepter les conditions des grandes puis...

le 31/01/2017 à 11:16
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L’excédent allemand est uniquement le fait de l'euro. Que la France laisse la monnaie allemande remonter en sortant de l'Euro et on verra les vrais résultats du mercantilisme allemand. Le modelé allemand est complétement déséquilibré sans la demande ...

le 31/01/2017 à 22:39
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"L’excédent allemand est uniquement le fait de l'euro.". Non, avant l'€ l'Allemagne faisait des excédents. Quand l'€ est fort elle fait des excédents. Quand il est faible elle fait des excédents. L'Allemagne fait des excédents parce que le fond de sa...

à écrit le 30/01/2017 à 21:09
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Quand R Godin déteste chez Trump ce qu'il excuse chez les Chinois! En fait quand on parle la Chine en fait on parle de la mafia dictatoriale du Parti Communiste Chinois. Les Chinois sont furieusement nationalistes et protectionnistes il suffit de ...

à écrit le 30/01/2017 à 18:46
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C'est surtout que la Chine va perdre ses privilèges douaniers, octroyés en 1972 par Nixon, et qu'il va donc leui falloir trouver d'autres débouchés lucratifs. L'Europe, avec ses dirigeants incompétents et fortement corrompus est un marché de choix :-...

à écrit le 30/01/2017 à 18:03
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Les Chinechines devraient savoir à partir du 20 janvier 2017 que la politique américaine se fait à Washington. Un point c'est tout! Il ne faut pas exagérer qu'avec un déficit commercial de 319 milliards par an avec la république populaire de Chine le...

à écrit le 30/01/2017 à 17:34
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C'est la Chine est un empire du milieu et du fin fond du Monde qui connait bien le domaine de la mondialisation, qui a construit sa reussite sur les echanges de la mondialisation et sur les rachats de capitaux aux USA. Oui si ol ne fait pas attention...

à écrit le 30/01/2017 à 17:17
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"l'Union européenne semble encore fonctionner avec un logiciel vieux de 50 ans sur une défense de principe du libre-échange et une certaine naïveté qui ne semblent plus guère adaptée à la nouvelle situation" Entièrement d'accord et vu la capacité...

le 30/01/2017 à 17:59
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...Et votre Pays tout seul deviendra quoi?...Un coquelet prêt à se faire bouffer par le premier venu de l'Est ou de l'Ouest en quelques semaines comme en 1940?...

le 30/01/2017 à 18:34
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On sauvera les meubles au moins... Puis vous n'êtes pas obligé de changer de pseudo pour me répéter tout le temps les mêmes réponses vous savez, ça se voit comme le nez au beau milieu de la figure, merci.

le 30/01/2017 à 21:56
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"On sauvera les meubles au moins..."... oui, comme on les a sauvés en 1940...

le 31/01/2017 à 3:48
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@Salazar Vous avez une bien piètre idée de notre pays et vous vous trompez ! La France n'est pas un coquelet et nous ne sommes plus en 1940 !

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