« Le dollar est notre monnaie, mais c'est votre problème ». La formule de John Connally, secrétaire au Trésor de Richard Nixon, à ses homologues européens en 1971 n'a pas pris une ride. Un demi-siècle plus tard, le billet vert atteint des sommets et donne le vertige à son concurrent européen. S'il n'est plus hégémonique, le dollar demeure la devise reine, qui représente 59% des réserves de change et 40% du commerce mondial. Un frémissement sur son cours provoque des tempêtes ailleurs dans le monde. La zone euro l'apprend à ses dépens.
Politique monétaire et économie américaine dynamique
« L'écart entre les taux de la Fed et de la BCE fait que les placements en dollar offrent des rendements plus intéressants que ceux en euros. Les capitaux étrangers affluent davantage vers l'économie américaine, dynamique et préservée de la guerre en Ukraine », invoque l'économiste Stéphanie Villers comme raison à la vigueur du dollar. « Le dollar est considéré comme une valeur refuge. Sa hausse est le fruit d'un contexte géopolitique et économique très troublé avec la guerre en Ukraine qui s'accompagne de menaces nucléaires et le désordre des chaînes mondiales d'approvisionnement », complète l'économiste Joseph Leddet, expert des marchés des changes.
Les économies de la zone euro ne sortent pas indemnes de la parité nouvelle entre un euro et un dollar. La chute de la monnaie unique heurte de plein fouet le pouvoir d'achat des Européens, au moment où les gouvernements font tout pour les protéger de l'inflation. « L'effet est immédiat sur la balance commerciale, et d'abord les importations. Plus de 50% des importations européennes sont libellées en dollar. Cette proportion peut monter à 80% de la facture énergétique », observe Stéphanie Villers, spécialiste de la zone euro et conseillère économique du cabinet PwC. Ainsi, le coût des importations en Europe, notamment de matières premières, s'envole lorsque le dollar décolle.
La faiblesse de l'euro pénalise plus les entreprises qu'elle ne leur profite
L'inflation énergétique en Europe tient donc aussi à l'appréciation du dollar, et pas exclusivement au manque de pétrole ou de gaz russe. Depuis l'automne 2021, le dollar a augmenté de 20% par rapport à l'euro. Le cocktail est explosif pour le budget des ménages quand l'inflation grimpe en même temps à 10% dans la zone euro.
Les entreprises subissent aussi le renchérissement du dollar. Le prix du billet vert alourdit leur coût de production énergétique et les prix des matières premières. « À court-terme, la dépréciation de l'euro est plus pénalisante qu'avantageuse pour les entreprises européennes. En effet, leurs coûts d'importations s'alourdissent tout de suite », souligne l'économiste Etienne de Callataÿ de l'Université catholique de Louvain.
En théorie, les exportations profitent dans un second temps de la faiblesse de la monnaie pour devenir plus compétitives sur les marchés internationaux. « Mais l'effet de la faiblesse de la monnaie sur les exportations est plus lent que son effet sur les importations. Dans le cas des entreprises européennes, le bénéfice qu'elles peuvent en tirer sur leur carnet de commandes est totalement rongé par l'explosion des prix de l'énergie. Au total, les firmes énergivores basées en Europe perdent en compétitivité par rapport aux entreprises américaines qui peuvent s'approvisionner en énergie bon marché », résume l'universitaire Etienne de Callatay.
La France forte de sa faiblesse : la désindustrialisation
À ce jeu, l'économie française, basée majoritairement sur les services, s'en tire relativement mieux que ses voisins plus industrialisés comme l'Allemagne et l'Italie. « La faiblesse de l'euro attire à nouveau dans l'Hexagone les touristes américains, forts de leur pouvoir d'achat », cite en exemple l'économiste Stéphanie Villers. Les entreprises profitent aussi d'un niveau d'inflation plus modeste qu'ailleurs, à 6% contre 9% en moyenne dans la zone euro.
Dès lors, que faire pour soutenir l'euro ? « Une hausse des taux de la BCE à hauteur des taux de la Fed est le seul outil à disposition pour soutenir l'euro face au dollar », annonce Stéphanie Villers. Mais le mandat de la BCE lui ordonne de se préoccuper exclusivement de l'inflation et de « ne pas influencer » les taux de change.