Le dollar, cette monnaie indétrônable

Une combinaison de facteurs allant de la guerre en Ukraine à la politique volontariste de la Fed a propulsé le billet vert à des sommets face aux monnaies rivales. S’il a peu de chance d'être détrôné par le yuan ou l’euro, le dollar, tout en restant dominant, pourrait toutefois bientôt devoir cohabiter avec des monnaies numériques gérées par les banques centrales.
En périodes d'incertitudes, le dollar sert de valeur refuge pour les investisseurs en quête d'un placement le moins risqué possible.
En périodes d'incertitudes, le dollar sert de valeur refuge pour les investisseurs en quête d'un placement le moins risqué possible. (Crédits : Reuters)

L'idée que l'hégémonie du dollar n'en aurait plus pour longtemps ne date pas d'hier. En 1980, l'économiste Paul Krugman répondait déjà, dans son premier papier de recherche, aux spéculations qui allaient alors bon train quant au déclin du billet vert.

Pourtant, à en croire l'actualité, le dollar se porte à merveille, atteignant des niveaux que l'on n'avait pas connus depuis des années face à l'euro, mais aussi la livre sterling, le yuan et le yen.

Les causes de l'appréciation du dollar

Cette remontée spectaculaire est due à la politique volontariste de la Fed (banque centrale américaine), qui, déterminée à casser net l'inflation, a davantage remonté ses taux d'intérêt que les autres grandes puissances. Elle est aussi liée aux difficultés économiques que connaissent actuellement l'Europe et la Chine, la première du fait de la précarité énergétique entraînée par la crise en Ukraine et la guerre aux sanctions lancée contre la Russie ; la seconde à cause du maintien de sa politique zéro Covid.

Dans ce contexte, le dollar bénéficie du fait que l'économie américaine, bien qu'elle ait ses propres problèmes, s'en sort comparativement mieux. En périodes de forte incertitude, le dollar sert en outre de valeur refuge pour les investisseurs en quête d'un placement le moins risqué possible.

Pourquoi l'appréciation du dollar pose problème

Pour l'économiste Michel Aglietta, conseiller scientifique au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii) et coauteur, avec Guo Bai et Camille Macaire, du livre La Course à la suprématie monétaire mondiale (2022, Odile Jacob), ces récentes évolutions illustrent les dysfonctionnalités d'un système basé sur l'hégémonie du dollar.

« Le dollar sert aujourd'hui de devise clef pour les échanges internationaux, ce qui signifie que lorsque deux acteurs économiques, dont les monnaies sont différentes, veulent commercer, ils passent par l'intermédiaire du dollar pour effectuer la conversion. Or, dans sa politique, la Fed ne tient pas compte des besoins de l'ensemble du monde, mais simplement de ceux de l'économie américaine. On le voit actuellement : la remontée des taux de la Fed a contraint la Banque centrale européenne à relever à son tour son taux directeur, au risque de provoquer une violente récession dans la zone euro. »

Les cours et contrats de référence de ressources énergétiques comme le gaz et le pétrole étant libellés en dollars, l'appréciation de celui-ci renforce en outre la spirale inflationniste dans les pays tiers.

Aux origines de la domination du dollar

Ce système déséquilibré ne date pas d'hier, puisqu'il remonte aux accords de Bretton Woods, signés en 1944. Nous approchons alors de la fin de la guerre mondiale, et les États-Unis sont au sommet de leur puissance, ce qui leur permet d'imposer un système où seul le dollar est convertible en or, tandis que les parités entre les devises sont fixes.

Mais à partir de la fin des années 1960, dans un contexte de spirale inflationniste, alors que Washington fait tourner la planche à billets pour financer la guerre du Vietnam, les dollars sont massivement convertis en or, qui sert de valeur refuge, ce qui entraîne une déplétion rapide des stocks d'or de la Réserve fédérale américaine. Cette situation intenable conduit le président Nixon à abandonner l'étalon-or en 1971. « Depuis, le dollar reste hégémonique, mais sans aucune contrainte liée à la présence de l'or comme pivot », note Michel Aglietta.

Sa domination demeure en effet écrasante. La part des échanges libellés en dollars est ainsi quatre fois supérieure à celle des États-Unis dans le commerce mondial, et très loin devant l'euro, qui se trouve à la deuxième place. À certains égards, elle s'est même accrue : 60% des pays, représentant 70% de l'activité mondiale, fixent aujourd'hui la valeur de leur monnaie par rapport au dollar avec plus ou moins de souplesse, contre 30% seulement en 1970.

Pourquoi les cryptomonnaies ne peuvent remplacer le dollar

Malgré des spéculations sur le détrônement du dollar par des monnaies rivales comme l'euro ou le yuan, les récents événements prouvent que la domination du billet vert sur ces monnaies se porte bien. D'autres misent sur les cryptomonnaies, comme le bitcoin ou les nombreux projets de stable coin existants, afin d'imaginer un nouveau système où la devise clef ne serait sous le contrôle d'aucune banque centrale. Mais cette option n'est pas viable, selon Michel Aglietta.

« La finance décentralisée est beaucoup trop instable, on le voit avec les variations énormes du cours du bitcoin. Elles découlent du fait que celui-ci n'est pas ancré sur une unité du compte qui soit officialisée et reconnue par l'ensemble du monde. C'est donc un pur actif spéculatif. Quant aux stable coins, qui tentent de remédier à ce problème en s'ancrant sur un panier de monnaies, on a vu cette année que leur soi-disant stabilité n'était qu'une chimère. » En mai dernier, l'effondrement de TerraUSD, l'un des stable coins adossés au dollar les plus populaires, a en effet secoué le monde des cryptomonnaies et fait perdre des dizaines de milliards de dollars aux investisseurs.

L'ère des MNBC ?

Pour l'économiste, les monnaies numériques de banque centrale, ou MNCB, constituent une option beaucoup plus prometteuse. Celles-ci forment un pendant numérique de l'argent liquide, étant émises et contrôlées par les banques centrales, là où l'argent numérique que nous utilisons aujourd'hui est largement sous le contrôle d'entités privées, comme les banques et les fournisseurs de moyens de paiement digitaux comme PayPal. Les MNBC ont, selon Michel Aglietta, le double avantage de faire entrer la monnaie à l'ère numérique, tout en la maintenant sous le contrôle de la puissance publique.

« Une telle monnaie numérique peut être programmée via un protocole que l'on insère dans son code digital, ce qui permettrait par exemple de contrôler le montant des transferts effectués par les résidents et non-résidents vers l'étranger, et donc de rétablir un contrôle des capitaux, par exemple pour limiter leur fuite en période de crise financière. Cela permettrait également d'avoir un système financier international basé sur une multitude de MNBC compatibles entre elles, et donc d'éviter à l'économie mondiale d'être dépendante de la politique de la Fed. »

La Chine se trouve aujourd'hui aux avant-postes de cette révolution, selon Michel Aglietta. « Les autorités chinoises y travaillent depuis 2014, et ont déployé leur e-yuan sur l'intégralité de leur territoire durant les Jeux olympiques d'hiver qui ont eu lieu cette année. » Pékin a également commencé à exporter ce dispositif à l'international, sous la forme du projet Mbridge, dont font également partie Hong Kong, la Thaïlande et les Émirats arabes unis, et qui vise à permettre des paiements transfrontaliers en monnaie numérique. L'Inde et le Brésil possèdent aussi leurs propres dispositifs testés à grande échelle sur le sol national.

Bientôt un e-dollar ?

La patronne de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, a de son côté récemment annoncé le lancement d'un e-euro en 2026 ou 2027. Lors d'une récente conférence organisée par la Banque de France, Bertrand de Mazières, directeur général de la Banque européenne d'investissement, a également plébiscité l'usage des MNBC pour permettre la réduction des intermédiaires, des barrières aux frontières et des frais pour les investisseurs.

Même aux États-Unis, longtemps réticents à toute innovation susceptible de porter préjudice à l'hégémonie du billet vert, l'idée d'un e-dollar fait son chemin. Un rapport récemment publié par la Maison-Blanche affirme qu'un jumeau numérique du dollar, qui serait régulé et garanti par la FED, permettrait un système de paiement « plus efficace, davantage d'innovations technologiques, faciliterait les paiements transfrontaliers et serait meilleur pour l'environnement. »

Certes, aucune de ces MNBC ne devrait remplacer du jour au lendemain le rôle du dollar en tant que monnaie de réserve mondiale, comme celui-ci éclipsa la livre sterling après la Seconde Guerre mondiale pour servir d'unité de compte, de réserve de valeur et de moyen de paiement international. L'émergence de MNBC pourrait remettre en cause la suprématie du billet vert dans certains domaines, comme celui des paiements, tout en la laissant intacte dans d'autres. Le dollar conservera ainsi sa couronne de monnaie-clef, mais l'émergence de monnaies numériques contribuera à réduire la liste des attributs qui viennent avec ce statut.

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Commentaires 7
à écrit le 06/10/2022 à 10:08
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Notre monnaie, votre problème.. Combien de morts en ton nom.. Le belle Europe est coincée entre deux dictatures et comme Marianne je me retourne pour pleurer..

à écrit le 05/10/2022 à 23:58
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La valeur d'une monnaie est une croyance. Le dollar vaut quelque chose tant qu'il y a des pigeons pour en accepter.

le 06/10/2022 à 8:51
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sauf que les usa sont pres a une guerre mondial si le dollar ne vaut plus rien il suffit de voir la zizanie qu'il ont creer en europe pour conserver leur monnaie alors que cette europe uni est plus riche et plus productises de richesse

à écrit le 05/10/2022 à 20:44
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Les USA étant l'économie dominante il est presque logique que le dollar soit LA monnaie dominante. l'EU à 27 est la seconde économie mondiale et l'euro se porte plutôt bien malgré une dévaluation réelle par rapport au USD, A$ etc....la pire baisse es...

à écrit le 05/10/2022 à 20:00
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La parité usd once d'or, argent.. depuis 50 ans s'il vous plaît ? .. La parité usd vs chf s'il vous plaît ?

à écrit le 05/10/2022 à 20:00
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La parité usd once d'or, argent.. depuis 50 ans s'il vous plaît ? .. La parité usd vs chf s'il vous plaît ?

à écrit le 05/10/2022 à 18:56
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"Les MNBC ont, selon Michel Aglietta, le double avantage de faire entrer la monnaie à l'ère numérique, tout en la maintenant sous le contrôle de la puissance publique.! Sauf que pour un grand nombre de personnes qui aiment la liberté avant la puiss...

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