[Article publié le lundi 4 avril à 9:00 mis à jour avec déclarations E. Macron à 10:52, mis à jour le avril avec preuves video publiées par le NYT]
Les images de dizaines de cadavres jonchant les rues de Boutcha ou déposés hâtivement dans des fosses communes dans la banlieue immédiate de Kiev ce week-end, prises après le départ des troupes russes, ont révulsé les Occidentaux. Aux États-Unis, le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, parle d'un "coup de poing à l'estomac". À l'ONU, le secrétaire général Antonio Guterres s'est dit dimanche "profondément choqué par les images de civils tués à Boutcha", et le bureau des droits de l'Homme des Nations unis a évoqué de "possibles crimes de guerre". Il a réclamé "une enquête indépendante".
Les journalistes de l'agence Reuters sur place ont envoyé jusqu'à dimanche soir des photos des rues de Boutcha ravagées et jonchées de cadavres, dont visiblement beaucoup de civils, dont certains les mains liées dans le dos. Les reporters de l'Agence France Presse, également présents, ont rapporté avoir vu samedi les cadavres d'au moins 22 personnes portant des vêtements civils dans des rues à Boutcha, tuées d'"une balle dans la nuque", aux dires du maire, Anatoli Fedorouk, à l'AFP.
Les dénégations de Moscou contredites par des preuves vidéo
Dimanche, la Russie a confirmé avoir effectué plusieurs frappes aériennes sur des installations militaires et des dépôts de carburant dans les régions ukrainiennes de Kiev et de Mykolaïv. Le porte-parole du ministère russe de la Défense, Igor Konashenkov, a notamment déclaré qu'un centre de contrôle de la base aérienne avait été détruit à Vasylkiv, près de Kiev.
Mais Moscou a démenti toute exaction de son fait.
"Pendant la période au cours de laquelle cette localité était sous le contrôle des forces armées russes, pas un seul résident local n'a souffert d'actions violentes", a déclaré le ministère russe de la Défense.
Il a aussi affirmé que les images de cadavres étaient "une nouvelle production du régime de Kiev pour les médias occidentaux". La Russie a même demandé une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU pour statuer sur les "provocations haineuses" commises selon elle par "des radicaux ukrainiens" à Boutcha.
Ces dénégations ont depuis été contredites par de terribles images et vidéos publiées notamment par le quotidien américain The New York Times (NYT) dès le 5 avril 2022.
Emmanuel Macron évoque des "images insoutenables"
Des dénégations n'avaient pas non plus convaincu le président français Emmanuel Macron, qui disait avant les publications du NYT:
"Les images qui nous parviennent de Boutcha, ville libérée près de Kiev, sont insoutenables. Dans les rues, des centaines de civils lâchement assassinés", a déclaré Emmanuel Macron sur Twitter dans la nuit de dimanche à lundi.
Il ajoutait:
« Les autorités russes devront répondre de ces crimes », promet-il.
Ce lundi matin du 4 avril, sur France Inter dont il était l'invité, Emmanuel Macron se déclarait "favorable" à ce que l'Union européenne décide de nouvelles sanctions vis-à-vis de la Russie, réaffirmant combien il avait été choqué par ces événements dramatiques en Ukraine à Boutcha dans la banlieue de Kiev comme à Marioupol.
« Il y a des indices aujourd'hui très clairs de crimes de guerre » et « il est à peu près établi que c'est l'armée russe » qui était dans cette petite ville où des civils ont été massacrés. « La justice internationale doit passer. Celles et ceux qui ont été à l'origine de ces crimes devront en répondre » car « il n'y aura pas de paix sans justice », selon lui.
Évoquant à ce titre des mesures sur le pétrole et le charbon ainsi que des sanctions individuelles contre des dignitaires du régime russe, le président de la République et candidat à sa réélection expliquait ses intentions en ces termes:
« Ce qui s'est passé à Boutcha impose un nouveau train de sanctions et des mesures très claires", a déclaré le président français sur France Inter. « Donc, nous allons nous coordonner avec nos partenaires européens, en particulier l'Allemagne [dans] les prochains jours. »
Il ajoutait:
« À Marioupol, il faut qu'on envoie le signal que ce sont notre dignité collective et nos valeurs que nous défendons. »
L'enquête a commencé
C'est la procureure générale d'Ukraine Iryna Venediktova, qui est en charge de l'enquête sur ce possible crime de guerre. Elle a confirmé que les corps sans vie de 410 civils avaient été retrouvés dans les territoires de la région de Kiev récemment repris aux troupes russes. Mais le décompte total de morts reste encore incertain.
S'agissant des fosses communes, M. Fedorouk avait expliqué samedi que "280 personnes" y avaient été enterrées car elles ne pouvaient être inhumées dans les cimetières communaux, tous à portée des tirs russes pendant les combats.
Les Occidentaux promettent une aggravation des sanctions
Après avoir dénoncé des "crimes de guerre" ou réclamé une enquête pour établir les faits, les Occidentaux veulent désormais adopter de nouvelles mesures contre Moscou, après avoir déjà acté plusieurs trains de sanctions depuis le 24 février et le début de l'invasion russe, ciblant massivement des entreprises, des banques, des hauts responsables, des oligarques, et interdisant l'exportation de biens vers la Russie.
Voici un premier état des lieux des réactions du camp occidental.
Conseil européen
"Plus de sanctions et d'aide de l'UE sont en chemin", a, le premier, tweeté dimanche le président du Conseil européen, Charles Michel.
Allemagne
"Nous déciderons de nouvelles mesures entre Alliés dans les prochains jours", a avancé de son côté le chancelier allemand Olaf Scholz, assurant que "le président Poutine et ses soutiens en subiront les conséquences".
France
Le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian a affirmé, dans un communiqué transmis à l'AFP, qu'"une pression économique et internationale la plus forte possible doit être maintenue et renforcée sur la Russie pour contraindre les autorités russes à mettre fin à la guerre d'agression".
Royaume-Uni
Et le Premier ministre Boris Johnson a promis sur Twitter que les Britanniques allaient "renforcer (leurs) sanctions".
Boris Johnson veut « affamer la machine de guerre de Poutine »
Pour Boris Johnson, l'armée russe est bien responsable des exactions constatées à Irpin et Boutcha:
« Les attaques ignobles de la Russie contre des civils innocents à Irpin et Bucha sont une preuve supplémentaire que Poutine et son armée commettent des crimes de guerre en Ukraine. »
Il ajoutait:
« Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour affamer la machine de guerre de Poutine. Nous renforçons nos sanctions et notre soutien militaire, ainsi que notre programme de soutien humanitaire pour aider ceux qui en ont besoin sur le terrain. »
Quelles nouvelles sanctions ?
Mais quelles nouvelles sanctions le camp occidental peut-il prendre pour peser sur le maître du Kremlin ?
Côté Ukraine, on attend des Occidentaux qu'ils durcissent l'embargo sur les énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon), qu'ils paralysent toutes les activités commerciales internationales de la Russie, et finissent de bloquer complètement le système bancaire russe - sous-entendu : notamment Gazprombank, qui sert aux actuelles transactions pour le règlement des importations de gaz et pour cette raison n'a pas encore été soumise à la déconnexion de la messagerie interbancaire SWIFT à l'instar des autres banques russes:
"J'exige de nouvelles sanctions dévastatrices du G7 MAINTENANT: embargo sur le pétrole, le gaz et le charbon, fermer tous les ports aux navires et marchandises russes, déconnecter toutes les banques russes de SWIFT", a ainsi déclare le chef de la diplomatie ukrainienne, Dmytro Kouleba, sur Twitter.
Cependant, la pression sur les hydrocarbures, importante ressource financière pour la Russie, ne cesse d'augmenter.
Pour mémoire, dès samedi, les Etats baltes avaient annoncé la cessation de leur importation de gaz russe, et le président lituanien Gitanas Nauseda, avait appelé le reste de l'UE à les suivre. Les pays baltes ont désormais recours aux réserves de gaz stockées sous terre en Lettonie. Selon Eurostat, en 2020, la Russie comptait pour 93% des importations estoniennes de gaz naturel, 100% des importations lettones et 41,8% des importations lituaniennes.
L'Europe, dont certains pays comme l'Allemagne sont très dépendants du gaz russe, est en train de changer de cap. En effet, les Etats-Unis avaient interdit l'importation de pétrole et de gaz russes peu après l'invasion de l'Ukraine, mais jusqu'à jeudi dernier l'Union européenne continuait elle à s'approvisionner en Russie, laquelle représentait quelque 40% de ses importations en 2021.
L'annonce jeudi par Moscou d'obliger les acheteurs de pays "inamicaux" à payer le gaz russe en roubles depuis des comptes en Russie pourrait avoir changé la donne. L'Allemagne, comme les autres pays de l'UE, refuse tout versement en roubles à Moscou, mais, particulièrement dépendante du gaz russe, elle a indiqué vendredi vouloir analyser les conséquences concrètes de ce décret du Kremlin.
Du côté de Moscou, on anticipe déjà un éventuel alourdissement des sanctions. "Il ne peut être aucun isolement de la Russie, c'est technologiquement impossible dans le monde contemporain", a assuré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, dans une interview à la chaîne de télévision publique russe Rossia 1. "Tôt ou tard, nous devrons établir un dialogue, que quelqu'un outre-Atlantique le souhaite ou non".
La tendance positive des pourparlers pourrait s'inverser
Alors que les déclarations de ce week-end côté russe laissaient percer un espoir de résolution, ce massacre pourrait effacer tout le chemin parcouru - globalement positif malgré les menaces russes après l'attaque ukrainienne en territoire russe vendredi 1er avril.
Ainsi, samedi, le négociateur en chef russe, Vladimir Medinski, saluait une position "plus réaliste" selon lui de Kiev, prêt sous conditions à accepter un statut neutre du pays, réclamé par Moscou, et Dmitri Peskov a dit à propos d'un sommet Poutine-Zelensky que, "hypothétiquement, une telle rencontre est possible".
Le porte-parole du Kremlin a aussi souligné que les deux délégations doivent d'abord élaborer un accord "concret" censé normaliser les relations entre les deux pays, "non pas un nombre d'idées, mais un document écrit concret".
Le négociateur en chef ukrainien, David Arakhamia, avait affirmé samedi que Moscou avait accepté "oralement" toutes les positions ukrainiennes, "sauf en ce qui concerne la question de la Crimée".
La guerre, intense, a fait, a minima, des milliers de morts et contraint à l'exil près de 4,2 millions d'Ukrainiens, à 90% des femmes et des enfants. Plus de 500.000 personnes sont retournées en Ukraine depuis le début de l'invasion russe, a annoncé dimanche le ministère ukrainien de l'Intérieur.
Zelensky parle de "génocide"
"Le mal absolu est venu sur notre terre. Des meurtriers, tortionnaires, violeurs, pilleurs, qui se donnent le nom d'armée", a dénoncé dimanche soir le président ukrainien, qui veut "que tous les dirigeants de la Fédération de Russie voient comment leurs ordres sont exécutés. Ce genre d'ordres (...). Et ils ont une responsabilité commune".
Volodymyr Zelensky, qui a aussi parlé de "génocide", est ensuite apparu à la cérémonie des Grammy Awards via une vidéo enregistrée, où il a demandé le soutien à son pays et lancé: "Qu'est-ce qui est l'exact opposé de la musique ? La silence des villes en ruines et des gens tués".
(avec AFP et Reuters)
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