La lutte contre la corruption est au point mort en Europe, selon Transparency International

Les obstacles pour stopper la corruption ne cessent de se multiplier sur le Vieux continent. « La paix mondiale se détériore depuis 15 ans. La corruption en est à la fois la cause et le résultat », affirme l'ONG Transparency International qui vient de publier son rapport annuel. La France suit cette même tendance à la stagnation dans la lutte contre les vols et les abus au plus haut de l'Etat. Mais c'est à l'Est, en pleine guerre en Ukraine, et notamment en Russie, que la situation est devenue alarmante.
Jeanne Dussueil
En Russie, la chambre basse du Parlement a voté mercredi 25 janvier un amendement permettant à ses élus de ne plus dévoiler au public leurs revenus et leur patrimoine.
En Russie, la chambre basse du Parlement a voté mercredi 25 janvier un amendement permettant à ses élus de ne plus dévoiler au public leurs revenus et leur patrimoine. (Crédits : Sputnik Photo Agency)

Dans un pays, la corruption provoque des conflits, ces mêmes conflits créent ensuite « des opportunités pour la corruption ». Un cercle vicieux fatal qui n'en finit pas, et dans lequel même l'Europe - pourtant la région la mieux notée par l'indice de perception de la corruption (IPC) - semble s'embourber plutôt que de s'en extraire, selon le dernier rapport publié fin janvier par Transparency International. Selon l'ONG qui évalue chaque année le niveau de la corruption dans le secteur public perçue par l'opinion dans 180 Etats et territoires, sur les 31 pays de la région intitulée « Europe de l'Ouest et Union européenne », seuls six ont amélioré leur score, tandis que sept ont baissé.

En 2022, les pays les plus prompts à juguler les « abus de pouvoir sous de nombreuses formes », les détournements de fonds, les conflits d'intérêts, le blanchiment d'argent sale... étaient le Danemark, la Finlande et la Norvège dont les scores étaient proches de 100 (la meilleure note, 0 étant le stade le plus corrompu). À l'inverse, les Etats de l'UE les moins performants sont à nouveau la Roumanie (46), la Bulgarie (43) et la Hongrie (42). Plus inquiétant, dix pays du Vieux continent ont enregistré les scores les plus bas de leur histoire, dont le Royaume-Uni (73), qui a perdu cinq points par rapport à l'an passé.

« Les événements de 2022 ont une fois de plus montré que les pays perçus comme ayant de faibles niveaux de corruption dans le secteur public sont très vulnérables à l'influence indue d'intérêts privés - tant nationaux qu'étrangers », explique l'organisation à but non lucratif financée principalement par des agences gouvernementales, des institutions dites multilatérales, des fondations du secteur privé et des particuliers.

Tout y passe dans ce palmarès qui existe depuis 1995 et qui est devenu un baromètre très surveillé de l'opinion publique. A l'image des liens entre la classe politique allemande et l'industriel russe Gazprom, qui ont notamment fait chuter le pays d'Olaf Scholz d'une place en 2022, au 9ème rang sur 180, avec un score de 79 sur 100.

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L'affaire Uber en France

La France est aussi passée au grill, notamment en raison des « enquêtes sur les dossiers Uber (qui) ont mis à nu l'influence exercée par les grandes entreprises grâce à un accès non divulgué et privilégié aux décideurs en France », explique l'ONG qui classe l'Hexagone au 21ème rang sur 180 (gagnant une place depuis 2021, avec un score de 72 sur 100).

« Les préoccupations relatives à la faible intégrité politique des hauts fonctionnaires se sont poursuivies avec de nouvelles violations très médiatisées, soulignant la nécessité d'un responsable de l'éthique gouvernementale », pointe l'organisation au sujet de la France tout en voyant toutefois une relative amélioration :

« La France stagne à la fois sur l'IPC et sur les mesures de la corruption étrangère, même si le pays se distingue par ses nouvelles lois progressistes visant à protéger les lanceurs d'alerte et à restituer les biens mal acquis aux victimes de la corruption. »

Mais de conclure sur la région Europe, après avoir interrogé des milliers de citoyens sur leur perception :

« De nombreux pays ne sont pas en mesure d'enquêter et de poursuivre efficacement les affaires de corruption. Dans toute l'UE, les systèmes judiciaires sont confrontés à des retards importants dans les affaires de corruption. »

Aussi, l'Europe a traversé une grave crise de confiance suite à l'affaire de la vice-présidente du Parlement Eva Kaili, accusée d'avoir reçu de l'argent pour porter les intérêts du Qatar et du Maroc à Bruxelles. Face à l'ampleur des révélations, les dirigeants de l'UE ont  réagir rapidement.

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Inquiétudes à l'Est

Dans cette Europe des 27 qui fait pourtant de la lutte contre la corruption l'un de ses critères pour y adhérer, la Hongrie a, elle, glissé au dernier rang du classement de l'ONG au sein de la zone Europe de l'Est. En cause, des soupçons de détournement de fonds qui lui ont déjà valu le gel de quelque 12 milliards d'euros par BruxellesÀ l'avant-dernière place en 2021, la Hongrie passe désormais derrière la Bulgarie. Aussi, le pays de Viktor Orban se trouve à égalité avec le Koweït ou le Burkina Faso. « Les preuves s'accumulent d'un détournement par les élites politiques de l'argent public et des fonds de l'Union européenne », estime l'organisation basée à Berlin.

Hors de l'UE, encore plus à l'Est, « les gouvernements sapent les processus démocratiques, répriment l'espace civique et restreignent la liberté des médias dans un cercle vicieux de corruption et d'autoritarisme, faisant de l'Europe de l'Est et de l'Asie centrale l'avant-dernière région la moins performante de l'Indice de perception de la corruption (IPC) 202 », détaille l'ONG.

L'Ukraine et la Russie, toujours en bas de classement

L'autre mauvais élève à l'Est est sans surprise l'Ukraine, où le déclenchement d'un conflit armé par la Russie risque d'accroître sa vulnérabilité à la corruption, selon le principe du cercle vicieux. De la 122e place sur 180 sur l'indice de perception de la corruption en 2021, le pays est néanmoins passé à la 116ème place en 2022 en raison d'un certain nombre de mesures pour assainir l'Etat ukrainien.

« L'Ukraine, déchirée par la guerre, est l'un des rares pays à s'améliorer de manière significative sur l'IPC, ayant gagné huit points depuis 2013. Le pays est depuis longtemps aux prises avec des abus de pouvoir systémiques, mais a pris des mesures importantes pour améliorer la surveillance et la responsabilité », écrit l'ONG qui met aussi en garde contre les conséquences de la guerre :

« Les efforts de reconstruction et de redressement peuvent être gravement compromis par des malfaiteurs qui empochent des fonds, tant pendant qu'après la guerre »

Début janvier 2023, une série de hauts responsables ukrainiens ont d'ailleurs été démis de leurs fonctions mardi dans la foulée d'une affaire de corruption concernant des approvisionnements de l'armée, premier scandale de cette ampleur depuis le début de l'invasion russe.

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« Le président Vladimir Poutine a resserré son emprise »

À l'origine de ce remaniement, un scandale portant sur un contrat signé par le ministère de la Défense à un prix présumé surévalué et portant sur les produits alimentaires destinés à ses soldats. Selon une enquête du site d'information ZN.UA, ce contrat de 13 milliards de hryvnias (environ 324 millions d'euros) a été passé avec des prix « deux à trois fois plus élevés » que les tarifs en vigueur pour les produits alimentaires de base, rappelle l'AFP.

« Seul un contrôle indépendant peut garantir la distribution efficace et responsable de l'aide au développement et à la reconstruction dont le pays a si désespérément besoin », souligne dans ce contexte Transparency International.

Chez son voisin russe belligérant, la situation n'est guère plus reluisante. La Fédération de Russie est 137ème et perd encore une place sur un an. « Le président Vladimir Poutine a resserré son emprise grâce au pouvoir du porte-monnaie, notamment en accordant des contrats commerciaux lucratifs à ses proches collaborateurs - et en persécutant ceux qui le renient. Il peut désormais exercer une influence sur d'autres nations et poursuivre ses ambitions géopolitiques sans opposition interne. »

« Les conséquences pour le reste du monde sont immenses : l'attaque contre l'Ukraine a provoqué de nouveaux défis politiques, économiques et sécuritaires énormes dans toute l'Europe de l'Est », conclut l'ONG.

ZOOM - En Russie, les parlementaires ne rendront plus publics leurs revenus

La chambre basse du Parlement russe a voté mercredi 25 janvier 2023 un amendement permettant à ses élus de ne plus dévoiler au public leurs revenus et leur patrimoine, mettant fin à une mesure de transparence destinée à lutter contre la corruption.

Selon ce texte, les parlementaires russes ne seront plus obligés, à compter du 1er mars, de rendre publiques leurs déclarations fiscales, et seules des données statistiques anonymisées seront publiées.

L'amendement a été entériné mercredi par la chambre basse, la Douma, et doit désormais être validé par la chambre haute, le Conseil de la fédération, une formalité.

Le mouvement d'opposition d'Alexeï Navalny, emprisonné depuis deux ans, a mené des années durant des enquêtes sur l'enrichissement des élus, ministres et hauts fonctionnaires, dénonçant une corruption endémique encouragée par le régime du président Vladimir Poutine.

Ces opposants s'appuyaient notamment régulièrement sur les déclarations d'impôts des élus pour mettre en évidence le décalage entre leurs revenus déclarés et leur niveau de vie.

(Avec AFP)

Jeanne Dussueil
Commentaires 4
à écrit le 01/02/2023 à 19:13
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J'entends encore sarkosy président de l'Europe, sa profession de foi lors du scandale des subprimes qui disait en substance : "J'éradiquerai tous les paradis fiscaux d'Europe ! " J'ai appris dernièrement que l'Europe était l'endroit où il y en avait...

à écrit le 01/02/2023 à 15:40
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Cet article est un résumé du rapport complet et il faudrait lire celui-ci dans son intégralité, mais c'est tout de même étrange d'apprendre que le classement de l'Ukraine s'améliore alors qu'à sa tête figure un dirigeant dont l'extrême corruption a n...

à écrit le 01/02/2023 à 15:01
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La révolution française fut une victoire de la bourgeoisie sur l'aristocratie et de nos jours c'est la corruption qui dirige le monde avec le soutien des politiques. Une personne passé par la lessiveuse judiciaire pour des histoires de confitures sur...

à écrit le 01/02/2023 à 14:56
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Pas étonnant ! La corruption, permet justement de ralentir toute enquête pour des motifs fallacieux !

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