Le prix du baril de pétrole brut va atteindre 150 dollars, voire plus, dans les six prochains mois. Un niveau par conséquent supérieur au record de juillet 2008 où il a flirté avec les 148 dollars ! Ce pronostic sombre n'est pas formulé par n'importe qui, mais par Jeremy Weir, PDG de Trafigura, l'un des plus importants négociants de matières premières au monde, en particulier de pétrole.
Un tel niveau constituerait une hausse de quelque 22% par rapport au cours actuel du Brent, qui évoluait en fin de matinée au-dessus des 123 dollars le baril, tandis que celui de WTI se situait sous les 122 dollars.
"Nous sommes dans une situation critique", a-t-il indiqué lors d'un débat organisé mardi par le Financial Times. Selon lui, l'embargo des pays occidentaux sur les importations de pétrole en provenance de la Russie, imposé en réponse à son invasion de l'Ukraine en février, est venu exacerber les tensions sur une offre limitée "en raison d'années de sous-investissement". Ces prix élevés pourraient entraîner "une destruction de la demande probablement à la fin de l'année", prévoit le PDG de Trafigura.
Il n'est pas le seul à voir cette hausse dans sa boule de cristal. Dans une note adressée à leurs clients, les experts de la banque américaine Goldman Sachs ont révisé à la hausse leurs projections de cours moyen du Brent pour le troisième trimestre de 125 à 140 dollars.
Demande saisonnière
Outre une demande saisonnière qui augmente de 2 millions de barils par jour (mb/j) entre les deuxième et troisième trimestre, cette révision est justifiée par la résorption de l'excédent du marché en avril et mai favorisé par le recours aux réserves stratégiques des pays de l'OCDE et le quasi arrêt de l'activité économique dû aux confinements en Chine, notamment à Shanghaï.
Mais avec l'embargo européen sur les importations de pétrole russe, la reprise de l'activité en cours en Chine et le pic de consommation d'essence de la saison estivale, la modeste hausse de l'offre de l'Opep+, plus théorique que réelle, ne suffira pas à équilibrer un marché qui va se retrouver dans un déficit structurel.
Pourtant, estimait début février Fitch Solutions, "les investissements pétroliers et gaziers mondiaux devraient afficher une deuxième année de croissance en 2022, augmentant de 11,6 % en glissement annuel pour atteindre 533 milliards de dollars après que les prévisions de 2021 suggèrent une croissance de 14,1 %, les prix élevés du pétrole favorisant un retour sur investissement".
Mais cela ne sera visiblement pas suffisant dans un contexte où la transition énergétique milite en faveur d'un désinvestissement dans le secteur pour réduire la dépendance aux hydrocarbures, dont les émissions de gaz à effet de serre contribuent largement au réchauffement climatique.
Vigueur du dollar
A ces difficultés, s'ajoute un facteur monétaire. La vigueur du dollar rend mécaniquement plus onéreux les achats de pétrole - largement libellés en billet vert - pour les pays importateurs, notamment pour l'Europe et le Japon, ou encore le Royaume uni. Si exprimé en dollars, le prix du baril de Brent reste 20% en dessous de son record historique de 2008, en revanche, il est au plus haut historique lorsqu'il est exprimé en euros, en sterling ou en yen. Globalement, c'est 35% de la demande mondiale qui est ainsi payée à ces prix historiques, estime l'agence Bloomberg.
A contrario, ces prix élevés profitent aux compagnies pétrolières. Ainsi, le cours de l'action d'Exxon Mobil a battu cette semaine son record historique à plus de 105 dollars, sur le marché boursier de New York. Sur un an, le cours s'est apprécié de 67%, tout comme l'indice Dow Jones US Oil&Gas, qui agrège les cours de 36 sociétés américaines du secteur. Il a bondi de 64% en un an.