Pourquoi un embargo européen sur le pétrole russe risquerait de faire flamber les cours

La réduction des exportations russes, qui devrait s'accélérer avec un embargo européen, va entraîner une modification des fondamentaux du marché mondial, avec un risque de hausse des cours, et des incertitudes sur le moyen terme.
Robert Jules
Vue générale d'un site de raffinerie du deuxième producteur de pétrole russe, Lukoil, à Volgograd (ex-Stalingrad).
Vue générale d'un site de raffinerie du deuxième producteur de pétrole russe, Lukoil, à Volgograd (ex-Stalingrad). (Crédits : Reuters)

Si les Etats-membres de l'Union européenne (UE) réunis pour un sommet européen ces lundi et mardi trouvent un accord sur un embargo sur les achats de pétrole à la Russie, le marché pétrolier pourrait s'en trouver modifié dans les prochains mois.

Selon les dernières données fournies par l'Agence internationale de l'énergie (AIE), l'Europe (y compris le Royaume Uni) devrait consommer 13,5 millions de barils par jour (mbj) de pétrole brut en 2022, soit 13,6% de la demande mondiale, majoritairement consommés dans le secteur des transports. Quant à l'offre russe, au premier trimestre, elle s'élevait à 12,6 mbj, soit 12,8% de l'offre mondiale. La Russie est le deuxième exportateur mondial de pétrole et l'Europe reste encore son premier client.

En cas d'embargo, l'AIE estime que cela "accélèrera la réorientation des flux commerciaux déjà en cours et obligera les compagnies pétrolières russes à fermer davantage de puits". L'agence anticipe qu'il y aura "une hausse constante de la production (hors Russie), (qui), associée à une croissance plus lente de la demande, en particulier en Chine (soumises à des restrictions d'activité en raison des confinements dus au Covid), permettront de parer à un déficit important de l'offre à court terme".

Compensés par les importations de l'Inde

Nombre de pays européens ont déjà réduit leurs achats de pétrole russe, comme l'atteste la chute de 40% de l'acheminement par rail de brut et de produits raffinés. Selon les données recueillies par l'AIE, la part de l'UE dans les exportations russes est passée de 50% (30% de brut et 20% de produits pétroliers) en janvier-février à 42% (25% de brut et 17% de produits pétroliers) en avril.

Pour le moment, la Russie a réussi à compenser l'arrêt des exportations vers les Etats-Unis et le Royaume-Uni qui avaient déjà imposé un embargo, en réorientant ces volumes vers l'Inde. En janvier, le géant asiatique représentait 1% des exportations pétrolières russes. En avril, 14%.

Mais, la Russie pourrait avoir beaucoup plus de de difficultés pour remplacer le volume de ses clients européens, augmentant les incertitudes sur l'évolution de l'offre et de la demande mondiales. Cette situation devrait se refléter par des prix plus volatils du baril. L'AIE les voit évoluer "dans la fourchette de 100-110 dollars" pour le Brent. Lundi, en journée, ce dernier flirtait avec les 120 dollars tandis que la référence américaine, le WTI, évoluait au-dessus des 115 dollars.

D'autant plus que la production russe est déjà en baisse. L'AIE estime qu'elle pourrait chuter jusqu'à 2 millions de barils par jour (mbj) dès juin. De son côté, la Russie pourrait choisir stratégiquement de réduire sa production privilégiant des prix du baril élevés aux parts de marché. C'est ce que propose Leonid Fedun, le vice-président du deuxième producteur de pétrole russe Lukoil, dans une opinion publiée ce lundi où il argumente en faveur d'un nouveau paradigme pour l'industrie pétrolière du pays "Pourquoi la Russie devrait-elle fournir une production de 10 mbj si nous pouvons consommer et exporter 7 à 8 mbj sans pertes pour le budget de l'Etat. (...) N'est-il pas préférable de vendre 7 barils de brut à 80 dollars chacun que 10 barils à 50 dollars? Doit-on continuer à exporter le même volume qu'avant la crise en acceptant des remises de 30% voire 40%".

Le baril de Brent au-dessus de 150 dollars

Cette perspective est déjà à l'étude chez les observateurs du marché. Vendredi, les experts de Bank of America (BofA) Global Research indiquaient qu'une chute des exportations russes pourrait provoquer une envolée du prix du baril de Brent au-dessus des 150 dollars. "Une augmentation de 30 dollars par baril cette année a réduit la demande de 1,5 million de barils par jour, ce qui ne permet pas un retour à un niveau antérieur à la crise du Covid-19", constatent-ils. En 2019, la consommation mondiale s'était affichée à 100,45 mbj. En 2022, elle devrait atteindre 99,35 mbj, selon les projections de l'AIE.

D'autant que malgré l'appel du G7 à augmenter la production, l'Opep fait la sourde oreille, considérant le marché correctement alimenté. Pourtant, en avril, la production de l'Opep+ (partenariat entre les 13 membres de l'Opep et 10 autres pays exportateurs, dont la Russie) était inférieure de 2,5 mbj à son objectif, indique Standard & Poor's Global. Ce qui peut faire douter de la crédibilité du partenariat aux yeux des pays consommateurs. Mais, même s'il arrive à échéance en septembre, les liens entre la Russie et l'Arabie Saoudite sont suffisamment solides pour qu'il soit renouvelé, estiment les experts de S&P Global. Selon leurs projections, pour répondre à la demande mondiale, "l'Opep+ devrait pomper 2 mbj de plus que leur objectif prévu au troisième trimestre et 1,2 mbj de plus que celui fixé au quatrième trimestre, avant que la baisse de la demande saisonnière et la croissance de la production chez les producteurs hors l'Opep+ exige des membres du partenariat un volume inférieur à leur objectif de production du premier trimestre 2023".

Obsédés par une chute brutale des cours qui engendre des déficits budgétaires pour les Etats exportateurs, les membres de l'Opep+ (43,8% de la production mondiale en avril) se veulent prudents car il demeure un certain nombre d'inconnues comme l'obtention d'un accord sur le nucléaire iranien qui permettrait à Téhéran d'obtenir une levée des sanctions, notamment sur ses exportations de pétrole et de gaz, l'éruption de nouveaux variants du Covid-19, synonyme de chute de la demande pétrolière, ou encore des prix élevés qui détruiraient dans ce cas aussi une partie de la demande.

C'est d'ailleurs un des buts de l'embargo européen. Il vise non seulement à priver la Russie de revenus financiers qui lui permettent de poursuivre sa guerre contre l'Ukraine mais aussi à favoriser la sobriété énergétique pour lutter contre le réchauffement climatique, un objectif déjà fixé dans le plan NextgenerationEU.

Subventions à la consommation de pétrole

La dépendance aux hydrocarbures russes a accéléré la prise de conscience de la nécessité de s'en émanciper, ce qui a conduit la Commission européenne à lancer le 18 mai l'initiative REPowerEU, dotée de 210 milliards d'euros, qui vise notamment à développer les économies d'énergies.

Pourtant, cela n'a pas empêché nombre de pays de prendre le contrepied d'un tel objectif de sobriété en subventionnant pour des raisons politiques la consommation de carburant. Ainsi, "les 14 millions d'euros de réduction des taxes sur l'énergie annoncés par les 18 pays européens depuis mars ont entraîné une consommation supplémentaire de pétrole de 3,3 millions de tonnes équivalent pétrole (MToe). Si cette mesure est prolongée, elle leur coûtera 52 milliards d'euros et ajoutera 12,9 MToe en consommation de pétrole supplémentaire", a calculé la Fédération européenne pour le transport et l'environnement, qui préconise plutôt de laisser s'afficher la réalité des prix du marché afin de réduire la demande, et de cibler les ménages à faibles et moyens revenus pour les aider sous la forme d'une allocation mensuelle.

Robert Jules
Commentaires 5
à écrit le 31/05/2022 à 19:19
Signaler
Par la force des choses, nous allons devoir abandonner notre "politique de l'offre" accompagné de ses éternelles publicités qui nous font pédaler dans la semoule! Revenons sur terre, revenons a une politique qui solutionne les besoins!

à écrit le 31/05/2022 à 8:16
Signaler
La flambée du brute est ridiculement faible par rapport à la flambée de des taxes dont la TICPE et la TVA. Par ailleurs, l'offre russe ne représente que ~20 % du marché donc en cas de retrait total les prix ne devrait théoriquement par augmenter...

à écrit le 30/05/2022 à 19:31
Signaler
Une flambée des prix du pétrole (et du gaz) va nous obliger à développer d'autres sources d'énergies. Ne nous dit on pas à longueur de journaux télévisés que pétrole et gaz sont nocifs pour la planète ? On attend quoi?

à écrit le 30/05/2022 à 19:08
Signaler
Bonjour, Une réduction des commandes de pétrole risque de déclencher un sunami... Mais nous devons surtout réduire notre dépendance au pétrole ... Plus de biocarburent , plus d'essence symétrique, plus de mobilité électrique et surtout plus d'hydrog...

le 30/05/2022 à 19:48
Signaler
@rogger. Essence symétrique 😂…….synthétique plutôt.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.