Les débats sur la menace inflationniste font rage actuellement. Les différentes annonces des gigantesques plans de relance de Joe Biden et la flambée des prix des matières premières en début d'année ont alimenté les craintes du spectre d'un retour de l'inflation au pays de l'Oncle Sam. La nervosité s'est emparée des marchés financiers à Wall-Street depuis plusieurs semaines. Une partie de la presse américaine et des médias européens ont tiré la sonnette d'alarme sur les risques d'un phénomène de propagation de hausse des prix à l'ensemble des pays du Vieux Continent.
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Avec la sortie de crise qui se profile, les investisseurs ont les yeux rivés sur les indicateurs.
« A court terme, il ne fait guère de doute que l'inflation va augmenter par effet de base aux Etats-Unis. La réouverture de l'économie doit faire face à une hausse de la demande. Jusque là, il n'y a rien d'anormal. Il est logique que les Etats-Unis soient plus concernés par ce phénomène que l'Europe » a expliqué Didier Saint-Georges, membre du comité d'investissement stratégique Carmignac lors d'un séminaire lors d'un webinaire ce 19 mai. «Au-delà de l'effet de base, comment cet effet pourrait-il se prolonger à moyen terme ? Les prévisions de croissance aux Etats-Unis engendrent une euphorie sur les marchés. La forte croissance attendue engendre un risque de surchauffe. Certes le chômage a augmenté mais il baisse très vite. La poussée d'inflation aux Etats-Unis ne devrait pas être qu'un feu de paille. Il ne faut pas sous-estimer la politique américaine de vouloir soutenir les salaires. Le scénario d'inflation aurait un effet de pincement sur les marges des entreprises » a-t-il ajouté.
Ce mercredi, les chiffres de la Commission européenne sur l'inflation montrent que les prix ont effectivement augmenté de 1,6% dans la zone euro au mois d'avril contre 1,3% au mois de mars. Il y a un an, le taux d'inflation était de 0,3%. Il dépasse même les 2% en Allemagne et s'établit à 2% en Espagne. En France, cette hausse atteint 1,6%.
« C'est essentiellement l'effet de base et les prix du pétrole qui ont joué sur la hausse des prix en zone euro » explique l'économiste indépendant Christopher Dembik et ancien directeur de la recherche macro chez Saxo Bank interrogé par La Tribune. « La hausse des prix du pétrole et la réouverture des économies vont avoir des effets sur une période transitoire d'environ six mois » ajoute-t-il. La moyenne en zone euro reste bien en deçà des objectifs de la Banque centrale européenne (BCE) qui vise une inflation « proche mais inférieure à 2% ».
Au Royaume-Uni, le taux d'inflation a nettement accéléré à 1,5% en avril retrouvant son niveau de mars 2020, porté notamment par l'habillement et le carburant, a annoncé mercredi le Bureau national des statistiques (ONS). Cette accélération de l'inflation en avril intervient alors que le pays a engagé le mois dernier une nouvelle phase de redémarrage de l'activité, avec notamment la réouverture des commerces non essentiels. Si les risques d'une poussée inflationniste en Europe ne doivent pas être écartés, il est nécessaire de rappeler que ces pics ne dessinent pas forcément une tendance à moyen ou long terme.
Une réadaptation de l'économie mondiale, des « frictions » entre l'offre et la demande
L'économie mondiale vient de traverser pendant près d'un an et demi une pandémie planétaire. Cette mise sous cloche a fortement perturbé l'offre et la demande à l'échelle du globe. L'histoire du XXème siècle rappelle que lors des pandémies comme la grippe espagnole de 1918 ou lors des deux périodes qui ont suivi les deux guerres mondiales, les économies sont obligées de se réadapter pour passer d'une production de guerre et d'une demande de biens militaires à une production de paix et une demande de biens de consommation pour les loisirs, les voyages, la culture.
Cette réadaptation entraîne nécessairement des frictions entre la production et la consommation. Ce type de phénomène s'est accru il y a quelques mois avec la hausse notamment du prix du fret maritime engendrée par une pénurie de conteneurs au moment où la demande est redevenue très dynamique. Cette pagaille dans le commerce international a poussé les prix du transport à la hausse mais cette épisode ne s'est visiblement pas étendu.
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En outre, le redémarrage de l'économie en Chine et le rebond aux Etats-Unis ont accéléré des phénomènes de pénurie de certains composants dans plusieurs secteurs comme l'industrie automobile. Les prix des véhicules d'occasion aux Etats-Unis ont décollé face à l'impossibilité des géants de l'automobile de répondre à la demande par exemple. Outre des tensions sur les chaînes d'approvisionnement à l'échelle du globe, la crise a entraîné des destructions de postes importantes et des fermetures de sites. Les problèmes d'appariement risquent de se multiplier entre l'offre et la demande de main d'œuvre dans les mois à venir. En France, beaucoup de restaurateurs ont notamment fait part de leurs difficultés à recruter au moment de la réouverture de leurs restaurants ce 19 mai.
Un « effet de base » à prendre en compte, une période transitoire
D'un point de vue statistique, il est nécessaire de rappeler que la mesure de l'inflation du printemps 2021 doit être comparée à celle du printemps 2020. Si certains prix avaient flambé en mars et avril l'année dernière, d'autres avaient complètement chuté. Cette chute était liée à l'impossibilité de consommer. Après avoir atteint un creux il y a un an, il n'est pas surprenant d'observer une hausse marquée de l'indice des prix. Cet effet de base a d'ailleurs été souligné par l'administration Biden comme un des trois facteurs qui peut contribuer à faire grimper les prix à court terme. A cela s'ajoute la perturbation des chaînes d'approvisionnement et la demande insatisfaite dans les services.
« Nous pensons que ces trois facteurs seront transitoires, et que leurs conséquences diminueront avec le temps, lorsque l'économie se relèvera de la pandémie », estiment deux conseillers de la Maison Blanche cités par l'Agence France Presse.
Même son de cloche chez Christopher Dembik qui y voit un « effet transitoire ». Il faut enfin ajouter que la mesure de l'inflation en temps de crise est plus difficile à appréhender. En effet, l'indice des prix à la consommation peut subir des « effets de composition » en raison notamment des changements des habitudes des consommateurs qui ont fait exploser les ventes en ligne. Ce qui a pu multiplier les difficultés pour avoir une approche plus précise de la mesure de l'indice des prix.
A Bercy, ces poussées inflationnistes ne surprennent pas vraiment. « Il n'y a pas de raison d'être particulièrement inquiet dès que ce choc est un choc de croissance. Si c'est un choc de crédit, ce n'est pas la même affaire. La FED n'est pas très inquiète. Elle a annoncé qu'il y aurait un sursaut d'inflation mais elle estime qu'elle n'est pas durable. Les investisseurs se demandent surtout si la FED va garder intact son engagement à ne pas augmenter les taux avant 2023. Cette hausse des taux que l'on voit actuellement s'insère dans nos scénarios des taux d'intérêt que l'on a retenus dans notre programme de stabilité que la France a déposé au mois d'avril auprès de la Commission européenne. Pour l'instant, nous ne sommes pas surpris » affirme un haut-fonctionnaire interrogé par La Tribune.
Pas de boucle-prix salaire à ce stade
Les prévisions sur l'inflation sont un exercice périlleux du propre aveu de plusieurs économistes. S'il est encore tôt à ce stade pour se projeter sur une évolution durable de la hausse des prix, certains éléments déterminants tendent à rassurer selon certains économistes.
« Le seul élément qui pourrait favoriser une hausse durable de l'inflation est la boucle "prix-salaire". Du côté des Etats-Unis, il y a un peu de tensions salariales mais il est difficile à ce stade de prévoir une hausse sur le long terme. En zone euro, on a vu des tensions marginales dans la restauration dans certains pays. A priori, on n'est pas dans le même scénario qu'aux Etats-Unis. A ce stade, il est beaucoup trop tôt pour dire que ces poussées vont dessiner une tendance. L'effet de boucle prix-salaire ne devrait pas survenir en zone euro. Le taux de sous-emploi est important. Le chômage pourrait encore grimper » explique Christopher Dembik.
Du côté des économistes proches de l'administration Biden, ils soulignent qu'après cette hausse temporaire, « la trajectoire à long terme de l'inflation dépendra en grande partie des attentes liées à l'inflation ». Ainsi, détaillent-ils, si les acteurs économiques pensent que les prix continueront à augmenter, les entreprises, par exemple, « seront moins enclines à ajuster leurs prix et les salaires ». Cela devrait aussi contribuer à la hausse des prix attendue, mais, soulignent-ils, ces attentes d'inflation étaient si faibles auparavant qu'une « hausse (...) en partant d'un niveau anormalement bas est un développement bienvenu ».