Autonomie alimentaire : la France pourrait satisfaire plus de 100% de ses besoins (contre 60% aujourd'hui)

L'agriculture française assure moins de la moitié de la consommation nationale de produits agricoles bruts. L'industrie agroalimentaire, elle, couvre aujourd'hui près des trois quarts des besoins en produits transformés. Leur potentiel est bien supérieur : elles pourraient fournir respectivement 98% et 114% de la production nécessaire pour satisfaire la demande interne, calcule une étude.
Giulietta Gamberini
Les taux d'autonomie par filière oscillent entre 22% pour la culture des fruits et 90% pour la fabrication de céréales pour le petits déjeuner.
Les taux d'autonomie par filière oscillent entre 22% pour la culture des fruits et 90% pour la fabrication de céréales pour le petits déjeuner. (Crédits : Reuters)

L'objectif figure désormais en tête de la plupart des propositions de politique alimentaire : en matière d'alimentation, la France doit chercher à être souveraine, entend-on de tous bords depuis la crise sanitaire et maintenant la guerre en Ukraine. Aujourd'hui, toutefois, l'Hexagone est loin d'être autonome. Grandement exportateur, mais aussi fortement importateur, le pays ne fournit aujourd'hui que 60% des aliments nécessaires pour satisfaire la consommation de ses habitants, explique une étude du think tank Utopies.

Ce taux global - calculé en valeur et non pas en volume - est en outre essentiellement porté par la transformation alimentaire, laquelle prise seule, couvre près des trois quarts (72%) des besoins en produits transformés de la population française. La production agricole, elle, assure moins de la moitié de la consommation de produits agricoles bruts (43%), et ce, alors que ces derniers ne pèsent que 7% dans les repas des Français.

A LIRE AUSSI | Importations : la dépendance alimentaire de la France dévore 9 millions d'hectares à l'étranger

Pourtant, la France aurait les moyens d'une autonomie beaucoup plus élevée, de 108%, considère l'étude. L'amont agricole, c'est-à-dire la production - dont 26% des produits sont aujourd'hui exportés directement ou étant incorporés à des aliments transformés - pourrait fournir 98% de la production nécessaire pour satisfaire la demande interne. La transformation alimentaire, aujourd'hui exportée à 24%, pourrait carrément couvrir 114% des besoins.

Une autonomie régionale inférieure à celle nationale

Cet écart entre potentiel et réalité émerge aussi lorsqu'on analyse les différences -marquées - entre filières et régions.

"Si l'on considère l'amont agricole, chacun des secteurs français est en capacité de répondre à plus de 60% de la demande nationale, et la majorité d'entre eux s'avèrent même excédentaires", note l'étude. "Quant aux secteurs de la transformation agroalimentaire, les ¾ auraient la capacité d'approvisionner 100% de la consommation nationale".

Or, les taux d'autonomie par filière oscillent entre 22% pour la culture des fruits et 90% pour la fabrication de céréales pour le petit-déjeuner.

Quant aux régions, en moyenne, le potentiel d'autonomie atteint 131% pour la production agricole et 140% pour la transformation agroalimentaire. Si 100% de la production était tournée vers la demande régionale, seules quatre régions n'auraient pas la capacité productive de couvrir l'ensemble de leur consommation en produits agricoles et transformés (l'Île-de-France, la Provence Alpes Côte d'Azur, la Corse et l'Auvergne Rhône-Alpes pour l'amont agricole). Pourtant aujourd'hui, aucune ne dépasse l'autonomie alimentaire nationale : en moyenne, l'autonomie alimentaire régionale est de 35%, et les taux d'autonomie oscillent entre 1% pour l'Île-de-France et 30% pour la  Bretagne en ce qui concerne la production agricole, et entre 30% pour l'Île-de-France et 56% pour l'Auvergne Rhône-Alpes en matière de transformation agroalimentaire.

47% de la production agricole des régions françaises est en effet exportée, pour 29% vers d'autres régions et pour 71% vers l'international. Quant aux produits transformés, 60% sortent de leurs frontières régionales et sont pour plus de la moitié (55%) exportés vers l'étranger.

Une diversité des activités alimentaires à accroître

Le manque d'autonomie français concerne d'ailleurs aussi les facteurs de production, puisque la quasi-totalité des matières premières des combustibles fossiles, mais aussi trois quarts des intrants chimiques et des équipements agricoles et agroalimentaires, 61% des emballages métalliques (61%) et plus de 40% des emballages en plastique et en carton sont importés, souligne Utopies.

Cette situation limite les capacités de résilience de la France face aux divers aléas (climatiques, naturels, industriels, sanitaires, etc.) susceptibles de perturber le fonctionnement de son système alimentaire. D'autant plus que la diversité des activités alimentaires (agricoles, agroalimentaires et d'industries connexes) du pays et de ses régions peut encore être améliorée. Cette diversité est cruciale car elle facilite les échanges de matières et de compétences et est susceptible d'accroître la production locale et de faire face au risque de pénuries. Ainsi Utopie estime cette diversité à 82,3% pour l'ensemble du pays par rapport à la diversité maximale possible. Pour les régions, son taux oscille entre 67,6% en Île-de-France et 81,9% dans les Hauts-de-France.

L'urgence de protéger les terres agricoles

Comment alors maximiser la production tournée vers les besoins domestiques, au niveau national mais encore plus régional, et consolider les filières qui ont une place essentielle dans l'alimentation quotidienne, s'interroge Utopies ? Les actions doivent être ciblées selon les filières en distinguant leurs catégories : par exemple, celles "critiques" - comme la culture de fruits et légumes et la pêche - qui ne produisent pas assez pour répondre à la consommation nationale et dont plus de 25% de la production est exportée. Ou encore celles d'appui" - telles que l'élevage - qui se trouvent dans la situation exactement opposée.

Mais d'une manière générale, le rapport insiste sur la nécessité d'activer plusieurs leviers, en coordonnant les actions de l'Etat et des collectivités territoriales. Tout d'abord, protéger voire développer les terres agricoles, qui ont été divisées par deux depuis 1950, dont le prix a crû de 50% en 20 ans et qui sont de plus en plus concentrées dans un nombre décroissant d'exploitations. Les territoires peuvent jouer un rôle important, via l'élaboration des schémas et plans d'aménagement locaux.

La nécessité d'améliorer les revenus des agriculteurs

Utopies rappelle aussi l'urgence de mieux partager la valeur tout au long de la chaîne alimentaire, afin de contenir l'effondrement de l'emploi agricole, alors qu'un agriculteur sur deux est en âge de partir à la retraite d'ici 2026, et que les emplois agricoles permanents sont passés de 2,3 millions en 1970 à 659.000 en 2020. Un objectif poursuivi par les loi Egalim 1 et 2 adoptées sous le premier mandat d'Emmanuel Macron, mais encore non atteint.

A LIRE AUSSI | Prix de l'alimentation : le gouvernement propose un cadre pour la reprise des négociations entre la grande distribution et les industriels

"Pour atteindre un revenu cible moyen de deux Smics par exploitation agricole, il faudrait, en moyenne, augmenter le montant versé aux agriculteurs de 10% à 15%, toutes filières confondues", calcule Utopies.

"Si cette augmentation était répercutée à parts égales entre les industries agroalimentaires, les intermédiaires et le consommateur final, les industries agroalimentaires observeraient un recul de 2,6% de leur valeur ajoutée, les intermédiaires (transporteurs, distributeurs) verraient reculer leur marge de 1,7% et les consommateurs verraient le prix des aliments augmentés de 0,7%", estime le think tank.

Mais le cabinet de conseil insiste aussi sur la nécessité de diversifier les sources de revenus des producteurs, par plusieurs moyens. Tout d'abord, l'intégration à la ferme de l'étape de la transformation, grâce à l'implantation de petits outils de production comme des micro-conserverie de fruits et légumes ou des yaourteries, éventuellement mutualisées, permettant de capter une plus large part de la valeur ajoutée des produits. Ensuite, par la production d'énergie (solaire, éolienne, issue de la méthanisation), par le développement des dispositifs de paiements pour services environnementaux, ou encore par la multiplication des offres de séjours à la ferme aux particuliers ou aux entreprises.

Des "parentés productives" trop souvent ignorées

Une autre source de résilience mise en avant porte sur une meilleure distribution de la transformation alimentaire sur le territoire, afin de la rapprocher des lieux de production et de la rendre plus efficiente face à la demande locale.

Un objectif qui demande une meilleure connaissance du tissu local par les transformateurs, de nouvelles relations contractuelles avec les producteurs, une révision de la logistique locale incluant le digital...

Afin d'accroître l'offre locale, Utopies rappelle aussi la nécessité de mieux exploiter les "parentés productives" : des compétences ou des technologies déjà utilisées localement et proches de celles recherchées dans les secteurs qu'on veut développer. Des ressources disponibles trop souvent ignorées à cause des cloisonnements entre filières.

Le think tank suggère de mobiliser les entreprises locales disposant des savoir-faire permettant de développer de nouvelles productions, notamment en facilitant leur accès aux outils productifs ; à encourager les collaborations et mutualisations locales ; à favoriser l'émergence les projets valorisant les ressources locales, y compris les coproduits et les déchets.

"Un formidable défi politique et citoyen"

Enfin, accroître la résilience implique aussi d'innover, pour accélérer l'adaptation des filières au défi écologique et climatique, notamment en diversifiant la production comme la consommation. Et pour cause : à titre d'exemple, chaque augmentation d'un degré de température mondiale ferait diminuer les rendements en blé de 6%. Utopies fait appel à la créativité des acteurs agroalimentaires, mais encourage aussi le développement de dynamiques de mutualisation des flux par zones d'activité.

"(...) la question alimentaire, plus que toutes les autres, va nécessiter d'œuvrer à la fois dans les champs de la planification (stratégie agricole, investissement dans les infrastructures industrielles et logistiques...), de l'innovation (résilience des semences, sobriété des process, décarbonation de l'offre alimentaire), de la réglementation (intégration des externalités environnementales dans les cadres comptables, fiscalité carbone), et du changement de comportements (capacité de l'aval à collaborer avec l'amont agricole, construction d'un prix juste, évolution des pratiques d'achat et composition de l'assiette)", résume Utopies.

"L'intégration des externalités négatives et positives - comme la valeur du local pour le consommateur - peut notamment avoir un effet radical sur les prix, et ainsi sur les choix des consommateurs et des distributeurs", espère Annabelle Richard, auteur de l'étude.

"En cela la résilience alimentaire constitue une question complexe et passionnante, qui porte en elle tous les enjeux sociétaux du XXIe siècle. Elle est aussi, bien au-delà de la simple question technique à laquelle elle est parfois réduite, un formidable défi politique et citoyen", conclut le cabinet.

Giulietta Gamberini

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 9
à écrit le 27/04/2022 à 18:33
Signaler
lors de mon premier cours de marketing, le prof a dit ' je vais vous dire la difference entre need et want'....need, c'est les besoins, tout le monde a besoin d'un tas de trucs...want c'est la meme chose, mais ou on est pret a payer ( parce qu'on peu...

à écrit le 27/04/2022 à 13:43
Signaler
On pourrait commencer à remplacer une partie du maïs par du tournesol.

à écrit le 27/04/2022 à 9:09
Signaler
Ce n'est pas pour rien que l'on met la France sous dépendance, c'est pour l'arrimer a l'idéologie unioniste!

à écrit le 26/04/2022 à 20:53
Signaler
Les sols sont en effets très mal utilisés, si on avait misé sur la permaculture au lieu de l'agro-industrie notre pays serait bien plus apaisé socialement car il y aurait du vrai travail, mangerait bien et mieux sans parler des multiples initiatives ...

le 26/04/2022 à 22:54
Signaler
je suis d'accord avec vous, mais combien de gens peuvent payer les légumes à un prix très élevé ??

le 27/04/2022 à 10:30
Signaler
Des gens qui ont de vrais salaires et pas l'aumône en effet cela demande aussi un véritable effort sur le principe du travail valorisant et valorisé, travail qui ne peut s'épanouir dans un contexte de dumping social permanent.

à écrit le 26/04/2022 à 20:35
Signaler
Autonomie alimentaire, ça dépend de quoi on parle. Si on inclut les produits qu'on consomme mais qui poussent sous les tropiques, c'est sûr qu'on n'est pas autonome. Pour le blé, les patates, les huiles de colza, de tournesol, avec un peu d'organisat...

à écrit le 26/04/2022 à 17:51
Signaler
Des chiffres un peu biaisés vus dans un système autarcique a la enver hoxha. Mais il reste vrai qu'il y a 3 ans il y avait eu un rapport du sénat La France, un champion agricole mondial : pour combien de temps encore ? Rapport d'information de M. L...

à écrit le 26/04/2022 à 17:23
Signaler
La France a perdu son autonomie (ou autosuffisance) alimentaire en 2021, une première depuis 1946. Et c'est bien parti pour être la même chose en 2022. C'est la politique de l'UE/Schwab/Davos et donc la feuille de route de Macron. Quel est le but de ...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.