Inflation, grèves, énergie : l’automne brûlant de Liz Truss

Deux mois après le retrait de Boris Johnson, les 140.000 électeurs du Parti conservateur ont largement désigné Liz Truss pour entrer au 10 Downing Street aux dépens de l’ancien ministre des Finances Rishi Sunak. Avec 57% des suffrages, la ministre de 47 ans devient la quatrième Première ministre britannique depuis le référendum du Brexit en 2016, la troisième femme à ce poste après Margaret Thatcher et Theresa May dans l'histoire du Royaume-Uni. Sa nomination intervient dans un moment chaotique. Dès cet automne et surtout cet hiver, la conjoncture va encore aller en se dégradant. Tous les signaux d’alerte de l’économie britannique virent au rouge vif. A plus long-terme, la feuille de route post-Brexit du pays reste à tracer. Décryptage.
Liz Truss était ministre des Affaires étrangères, à la tête du Foreign Office dans le précédent gouvernement.
Liz Truss était ministre des Affaires étrangères, à la tête du Foreign Office dans le précédent gouvernement. (Crédits : Reuters)

Donnée favorite dans les sondages face à Rishi Sunak au fil de l'été, les comparaisons entre Liz Truss et Margaret Thatcher n'ont pas tardé à fleurir sous la plume des journalistes britanniques. On peut débattre à loisir des traits communs entre la Dame de fer, statue indéboulonnable du panthéon conservateur, et celle qui s'apprête à devenir la nouvelle première ministre du Royaume-Uni. La similitude la plus frappante se trouve ailleurs. Elle tient à la situation comparable du pays au moment de leurs prises de fonction respectives à 43 ans d'intervalle.

En mai 1979, Margaret Thatcher avait hérité d'un pays submergé par l'inflation à 10%, bloqué par d'interminables grèves ouvrières. Le tout dans un contexte international de tensions entre l'Occident et l'URSS qui s'apprêtait à envahir son voisin l'Afghanistan à Noël.

43 ans plus tard, le Royaume-Uni est à également confronté à une hausse des prix de 10%. Les préavis de grève se multiplient et tous revendiquent des hausses de salaires. Quant aux relations entre les Britanniques et les Russes, elles sont aussi glaciales qu'au temps de la Guerre froide depuis que Vladimir Poutine a décidé d'attaquer l'Ukraine le 24 février dernier.

58% en situation de précarité énergétique en janvier

Avec ses incalculables conséquences économiques, la guerre en Ukraine n'en finit plus - entre autres - de creuser le budget des ménages européens. Les Britanniques ne font pas exception, frappés par les mêmes maux que leurs voisins... en pire. A commencer par l'énergie dont les tarifs sont propulsés au sommet. La facture d'énergie des ménages va bondir en moyenne de 80% en octobre, avec un plafond légal des tarifs relevé de 1971 à 3.549 livres par an. Ces prix insoutenables devraient plonger 58% des Britanniques dans une situation de précarité énergétique en janvier prochain d'après l'université d'York.

Comment Liz Truss compte-t-elle s'assurer que ces 45 millions de personnes se chauffent pendant l'hiver ? Rien n'est très clair. « Liz Truss n'a annoncé aucune mesure concrète contre la crise de l'énergie. Elle promet un budget d'urgence mais exclut un plafonnement du prix du gaz et de l'électricité. De même, il n'y a eu aucune proposition de Truss ou de Sunak sur une éventuelle refonte du marché de l'énergie, jusqu'ici très peu régulé », constate Sophie Loussouarn, professeure de civilisation britannique à l'université Jules Verne d'Amiens.

Pas de ligne économique claire

Pourtant, l'explosion des cours de l'énergie apparaît comme le principal moteur de l'inflation. La flambée annuelle des prix dépasse les 10% en juillet outre-Manche. Et l'incendie n'est pas prêt de s'éteindre. La Banque d'Angleterre avance le chiffre de 13% en octobre quand Goldman Sachs évoque un pic à 22,4% en début d'année prochaine. Contrairement à son opposant Sunak qui en faisait son premier objectif, Liz Truss entend endiguer l'inflation mais n'en fait qu'une priorité parmi d'autres. A égalité avec la relance de l'économie alors qu'un scénario de récession en fin d'année paraît de plus en plus crédible.

La colère autour de l'augmentation des prix ne lui laissera pas le temps de temporiser. Les mouvements de grève s'empilent ces dernières semaines chez les cheminots, le fret, les postiers, les employés des télécoms. Dans cette nation peu coutumière de la contestation sociale intempestive - en tout cas moins que son voisin français -, la presse décrit les mois de juillet et d'août 2022 comme l'« été du mécontentement ». Un clin d'œil au célèbre « hiver du mécontentement » de 1978 à 1979. Aujourd'hui, l'inquiétude autour du coût de la vie est sur toutes les lèvres et les pancartes. En première ligne, les syndicats exigent des gains de salaire pour compenser les pertes de pouvoir d'achat. Ces blocages syndicaux se conjuguent avec des mouvements plus spontanés comme « Don't pay uk ». Cette pétition citoyenne affirme le droit de ne pas payer en octobre ses factures d'électricité et de gaz devenues inabordables pour une majorité de foyers.

« Enough is enough »

C'est loin d'être le seul mouvement du genre. « "Enough is enough" a été lancé au début du mois d'août 2022 par des syndicalistes, notamment le Secrétaire Général de RMT, Mick Lynch, soutenu par le maire du Greater Manchester, Andy Burnham. Ce mouvement prévoit 50 manifestations contre l'augmentation des prix de l'énergie en septembre 2022. Aujourd'hui, la Fabian Society (cercle de réflexion rattaché au parti travailliste britannique) et 450.000 personnes soutiennent ces protestations dans 70 villes », souligne l'experte du Royaume-Uni Sophie Loussouarn.

La liste de leurs revendications donne une idée des préoccupations des Britanniques : plafonnement des prix de l'énergie, augmentation des salaires dans le secteur public, augmentation du crédit universel de 80 livres par mois. L'ardoise totale frôle 100 milliards de livres.

Résolue à afficher une détermination toute thatchérienne, son modèle jusqu'à la caricature quand elle copie les tenues de l'Iron lady, Liz Truss n'est pas encline à céder à la rue. Elle promet de « limiter la capacité des syndicats à paralyser notre économie » via une loi sur les grèves qui imposerait davantage d'obligation de service minimum. Une proposition populaire auprès de l'électorat conservateur. C'est-à-dire une petite frange de 200.000 personnes majoritairement « aisée, issue du sud du pays qui ressent moins que d'autres la violence de la crise. On parlerait d'une population WASP aux Etats-Unis », pointe Aurélien Antoine, professeur à l'université Jean Monnet et président de l'Observatoire du Brexit.

L'universitaire insiste sur la violence de la crise sociale en Grande-Bretagne, où l'État est nettement moins protecteur que la France. « Le Royaume-Uni ne bénéficie pas des amortisseurs sociaux, fiscaux, des services publics qui permettraient d'atténuer le choc de l'inflation. Par exemple, c'est un miracle que le NHS (service de santé national) ne se soit pas effondré pendant le Covid. Le surplus de décès par rapport au reste de l'Europe est aussi dû à l'agonie des services de santé britanniques », alerte-t-il.

Sunak et Truss, caricatures de Thatcher

Le délabrement des services publics s'ajoute ainsi à la crise énergétique... qui s'additionne à l'inflation. L'équation économique tient du casse-tête. Encore faudrait-il que Liz Truss ait un programme cohérent pour y répondre. « Le débat pour le leadership conservateur a majoritairement porté sur les impôts, thème récurrent chez les Tories. Truss promet de les baisser immédiatement et indistinctement pour toutes les catégories sociales. Sunak et Truss sont d'abord deux ambitieux très intelligents, sans ligne économique très claire. On frôlait parfois la caricature libérale, notamment dans le souci de ressembler à Thatcher », regrette Aurélien Antoine qui note toutefois une différence de programme quant au rétablissement des services publics.

« Sunak apparaissait plus volontaire à l'image des budgets qu'il a porté en tant que ministre des Finances qui étaient parmi les plus "généreux" accordés par un gouvernement conservateur au NHS ou à la police dans les dernières décennies », analyse le spécialiste du Royaume-Uni qui déplore une campagne sans grand fond, autocentrée autour des questions anglaises et pas sur les enjeux de tout le Royaume. A commencer par le Brexit, un dossier loin d'être refermé tant ses implications sont lourdes.

Winter is coming

« Les dirigeants britanniques ont compris que le Brexit ne serait pas un succès et le but est d'en parler le moins possible ou de faire comme s'il était indolore », observe Aurélien Antoine. Pour Liz Truss, convertie au « hard Brexit » après avoir été favorable en 2016 au « remain », les grandes orientations d'avenir restent à définir: savoir s'il faut favoriser les échanges commerciaux avec le continent ou le grand large, comment fixer la frontière nord-irlandaise ou récupérer la licence bancaire de la City pour opérer dans l'UE.

A ce moment précis, le Brexit n'aide probablement pas à apaiser les difficultés du pays mais toutes ne peuvent pas lui être imputées. Les prix à la hausse dans l'alimentation en sont peut-être la conséquence la plus manifeste. Néanmoins, la crise de l'énergie trouve bien davantage son origine dans la guerre en Ukraine.

Toutes ces questions à trancher autour du Brexit vont immanquablement passer au second plan lors d'un automne brûlant. Et surtout d'un hiver tumultueux si les pires prévisions inflationnistes des analystes de la City se réalisent. Liz Truss est avertie. Elle ne connaîtra pas d'état de grâce. Winter is coming.

Commentaires 16
à écrit le 08/09/2022 à 8:40
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Diminuer les impôts, bloquer les Prix de l'énergie, protéger le pouvoir d'achat des Britanniques... Lets redo the Brexit (il n'a pas été fait sans doute"). Il faudra m'indiquer dans quelle université Liz a étudié l'économie... Thatcher n'a qu'un seu...

à écrit le 08/09/2022 à 8:36
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Diminuer les impôts, bloquer les Prix de l'énergie, protéger le pouvoir d'achat des Britanniques... Lets redo the Brexit (il n'a pas été fait sans doute"). Il faudra m'indiquer dans quelle université Liz a étudié l'économie...

à écrit le 06/09/2022 à 9:52
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Pendant ce temps : À cause de ces augmentations, les professionnels de l'automobile britannique estiment que si le prix d'un plein pour une autonomie de 400 km coûte 59 euros, une recharge rapide permettant de bénéficier de la même autonomie pourra...

à écrit le 05/09/2022 à 23:16
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Lise le charpentier car TRUSS veut dire charpente en français, pourra -t-elle refaire une nouvelle charpente à la Grande Bretagne ? C'est pas impossible car contrairement aux Français les Anglais comprennent mieux les mécanismes économiques, sont aus...

le 06/09/2022 à 12:12
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Ah bon ? En tous cas, il faudra qu’elle arrête de se prendre pour Mme Thatcher car elle n’en a ni le parcours, plutôt louvoyant, ni la vision idéologique.

à écrit le 05/09/2022 à 18:53
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Pas "c.ns" les députés (hommes) Anglais. C'est tellement la "misère", le bazar chez eux que pour faire le "sale" boulot ils ont installé une Thatcher bis. Truss devrait se souvenir des manigances que les députés de son propre parti ont réservé à la...

à écrit le 05/09/2022 à 17:42
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Ah ces pauvres anglais !!!!!

à écrit le 05/09/2022 à 17:31
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La comparaison MT avec LT semble un peu facile, l'architecture économique du monde de 2022 n'a rien à voir avec celui du monde de 1979. Wait and see on va voir si elle sort son pays de l'ornière,comme MT le fit en 1979.

à écrit le 05/09/2022 à 17:07
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J'ai plus confiance dans cette femme et le Royaume Uni qu'en MACRON, la France et l'U.E. lorsqu'on voit que l'euro dévisse face au dollar alors que le sterling malgré les difficultés (énerghies, grèves et inflation comme vous le mentionnez) s'établit...

le 05/09/2022 à 17:28
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C'est sans doute parce que çà marche si bien que l’Écosse et l’Irlande du Nord veulent se séparer de la GB ????? Quand aux perspectives économiques de la GB on ne l'envie pas.

le 05/09/2022 à 22:48
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Il n'y a que ceux qui ne comprennent rien qui pensent que le commonwealth rapporte quelque chose à la Grande Bretagne. Ce n'est qu'une association d'anciennes colonies crée pour donner l'impression aux Anglais qu'ils ont toujours un empire.

à écrit le 05/09/2022 à 16:57
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Elle est méritante mais mal partie : situation qui s'aggrave sur tous les fronts, appauvrissement de la majorité de la population, programme trop rigide, divisions internes, pression des élections à venir, débâcle historique annoncée du parti conserv...

à écrit le 05/09/2022 à 14:28
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Ah bon, Liz Truss n'a pas fait de démagogie ! RDV dans 3 mois quand ils seront à 20% d'inflation.

à écrit le 05/09/2022 à 14:17
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La France devrait s'inspirer du modèle électoral anglais, il permet d'élire des gens compétents comme Liz Truss, alors qu'en France, la démagogie règne en maître. C'est ça qu'il faut à la France, des gens à poigne, qui sont capables de diriger un pay...

le 05/09/2022 à 16:39
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Le modèle électoral anglais a permis l'arrivée au pouvoir de B.Jonhson qui a pris le pouvoir en poussant T.May dehors. Dans ce modèle, le vainqueur est désigné par une poignée d'individus, il gagne son parti et si le parti est en chrage, alors il...

le 05/09/2022 à 17:31
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4me première ministre en 6 ans. Vous croyez que c'est bien ? Cà ressemble à notre 4me république.

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