Elles ont mis du temps, mais elles l'ont fait. McDonald's, Coca-Cola, Starbucks et quelques autres multinationales américaines ont annoncé, mardi 8 mars, suspendre leurs opérations en Russie en réaction à l'invasion de l'Ukraine menée par Moscou. Plusieurs de ces entreprises faisaient depuis quelques jours l'objet d'un appel au boycott sur les réseaux sociaux, tandis que des investisseurs commençaient à poser des questions.
Les symboles de la culture américaine plient bagage
McDonald's a décidé de fermer temporairement ses 850 restaurants en Russie. « La situation est extraordinairement difficile pour une marque mondiale comme la nôtre et il y a de nombreuses considérations à prendre en compte », a souligné le patron de la chaîne de fast-food, Chris Kempczinski.
Le groupe compte dans le pays 62.000 employés, qu'il va continuer de payer, et de multiples fournisseurs. La Russie représente 9% de son chiffre d'affaires et 3% de son bénéfice opérationnel. « Dans le même temps, respecter nos valeurs signifie que nous ne pouvons pas ignorer les souffrances humaines inutiles qui se déroulent en Ukraine », a-t-il ajouté.
Starbucks, qui jusqu'à présent faisait valoir que ses 130 cafés en Russie étaient gérés sous franchise par un groupe koweïtien, a finalement indiqué que ce dernier avait accepté de fermer temporairement les établissements portant son nom.
Coca-Cola va suspendre ses opérations dans le pays. Son concurrent PepsiCo, présent en Russie depuis plus de 60 ans, a choisi de cesser la vente de ses boissons gazeuses mais de continuer à fournir des aliments jugés essentiels, comme la poudre pour bébés. Son patron Ramon Laguarta a aussi mis en avant l'importance de continuer à soutenir ses 20.000 collaborateurs dans le pays.
Yum! Brands, dont les quelque 1.000 restaurants KFC et 50 établissements Pizza Hut en Russie sont presque tous gérés par des propriétaires indépendants, avait de son côté annoncé lundi 7 mars au soir l'arrêt de ses investissements dans le pays. Puis le lendemain, le groupe a ajouté que l'activité des restaurants KFC qu'il gère en mains propres était suspendue. Quant aux franchises de Pizza Hut, elles devraient l'être aussi. Le groupe a précisé que les profits tirés des activités en Russie seraient redirigés vers des actions humanitaires.
Entre partir ou rester, certaines entreprises hésitent encore
Au total, plus de 290 grandes entreprises ayant une présence importante en Russie ont annoncé leur retrait, selon un inventaire tenu à jour par une équipe de l'université de Yale. Son initiateur, le professeur de gestion Jeffrey Sonnenfeld, a plusieurs fois mis en avant le rôle qu'avait eu dans la chute de l'Apartheid le départ volontaire de 200 grands groupes de l'Afrique du Sud dans les années 1980.
Une trentaine de multinationales restent encore sur la liste des entreprises ayant une exposition significative à la Russie. Certains groupes peuvent avoir des raisons légitimes de rester, remarquent plusieurs experts en éthique et communication interrogés par l'AFP, citant en premier lieu la sécurité des employés.
Certaines sociétés peuvent être hésitantes car elles pensent pouvoir jouer un rôle d'intermédiaire entre les parties ou parce qu'elles fabriquent dans le pays des produits essentiels comme des ingrédients pharmaceutiques, remarque aussi Tim Fort, professeur en éthique des affaires à l'Université d'Indiana. Toutefois, ajoute-t-il, « c'est sans doute le bon moment pour choisir un camp et cela ne me semble pas très difficile de le faire ».
Sortir la population russe des discours officiels qui minimisent l'ampleur du conflit
La décision d'une seule entreprise « ne va pas faire pencher la balance, mais il y a un effet d'accumulation », avance Tim Fort. Et une société aussi connue que McDonald's peut avoir une réelle influence en Russie au moment où la population n'a presque plus accès qu'au discours officiel, qui minimise l'ampleur du conflit. Lena, étudiante de 18 ans, pense par exemple que les sanctions « ne sont pas la faute de la Russie, mais de l'Occident ».
« Les Russes pourront survivre sans Big Mac, mais ils vont surtout se demander pourquoi McDonald's ferme, se demander ce qui se passe vraiment », ajoute Tim Fort. La fermeture du McDonald's de Moscou interroge en effet Stépan, un Bélarusse de 17 ans. « C'est vraiment dommage, mais quel est le rapport entre Mcdonald's et le conflit en Ukraine ? », demande-t-il.
D'autres ne comptent pas s'apitoyer. « Qu'ils ferment s'ils veulent ! », s'agace Nikolaï, 42 ans, qui sort du restaurant un Big Mac à la main. « Les vies sauvées dans le Donbass (territoire séparatiste prorusse de l'est de l'Ukraine que Moscou affirme défendre contre un "génocide", ndlr) sont beaucoup plus importantes que de bien manger », abonde Stanislav, 18 ans. Vassili, 40 ans, est du même avis : « Fermez ce que vous voulez, on n'en sera que plus fort », s'exclame cet ancien militaire, qui juge que le conflit en Ukraine est lié au fait que « l'Otan nous encercle » et souligne avoir « le plus grand respect pour Poutine, seul face au monde entier ».
Attention au retour de bâton
Pour Richard Painter, professeur à l'Université du Minnesota, les entreprises doivent penser au message à faire passer, à savoir que « la Russie ne peut pas engager une guerre en Ukraine tout en participant à l'économie mondiale ». Avec les sanctions économiques imposées par les gouvernements occidentaux, « c'est le meilleur moyen de traiter avec la Russie plutôt que de l'affronter militairement », affirme-t-il.
Pour Mark Hass, spécialiste de la communication à l'Université de l'État de l'Arizona, les intérêts économiques des entreprises qui ont choisi jusqu'à présent de ne pas quitter la Russie « dépassent encore sans doute les risques pour leur réputation ». Certains groupes font peut-être le pari que les critiques vont pleuvoir à court terme, avant de retomber. Mais attention au retour de bâton. Pour l'expert, « si les réseaux sociaux commencent à vous identifier comme l'entreprise prête à faire du business avec un agresseur autocrate qui tue des milliers de personnes en Ukraine, alors le problème prend une autre ampleur et peut affecter votre activité bien au-delà de la Russie ».
Une opportunité pour la Russie ?
Si depuis 40 ans, les Moscovites ont connu moult périodes de crise, de pénuries ou d'hyperinflation, les deux dernières décennies sous Vladimir Poutine ont représenté pour beaucoup une ère de prospérité certaine et d'accès à la consommation. Le pouvoir russe a beau répéter que la Russie se remettra rapidement des sanctions internationales imposées depuis le 24 février et l'entrée des troupes russes en Ukraine, beaucoup s'attendent à des lendemains sombres. « Tous les luxes auxquels on s'était habitué ces dernières années, les produits d'importation, les vêtements, appartiennent déjà au passé », regrette Ioulia, 55 ans.
Nombre de Russes se rendent dans les boutiques avant que ces dernières ne ferment. Comme Ksenia, étudiante de 19 ans. Un peu gênée, la jeune fille explique être « venue acheter une dernière fois (ses) marques préférées parce que tout est en train de fermer ». Et puis « la hausse des prix, ça tape au portefeuille ». Mais elle essaye aussi de voir les choses du bon côté. « Des marques russes peuvent les remplacer, peut-être que les sanctions feront du bien au marché russe ».
Vladimir Poutine n'a de cesse de dire depuis des années que les représailles économiques doivent être une opportunité pour la Russie de produire ses propres marchandises. Si dans l'agroalimentaire ou le textile des progrès ont été faits, pour les technologies, les avancées ont été minimes jusqu'ici. Mais certains habitants plébiscitent ce retour à une souveraineté russe. À l'instar de Tamara, 70 ans. « Tout doit être de chez nous, vrai et naturel ! », s'enflamme la retraitée. « À l'époque soviétique on avait quoi ? Rien ! Et on vivait normalement, tranquillement ».
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Le gouvernement russe accélère sur la nationalisation d'actifs étrangers
Russie unie, le parti au pouvoir à Moscou, a annoncé mercredi qu'un comité gouvernemental avait validé la première étape législative censée conduire à la nationalisation d'actifs d'entreprises étrangères ayant quitté le marché russe.
Dans un communiqué publié sur la messagerie Telegram, le mouvement du président Vladimir Poutine ajoute que le comité de l'activité législative a apporté son soutien à un texte de loi autorisant le placement sous administration judiciaire des entreprises détenues à plus de 25% par des étrangers issus d'"Etats inamicaux", afin de prévenir des faillites et de préserver l'emploi.
(Avec AFP et Reuters)