Les déplacements des hommes les plus riches du monde ont parfois des allures de visites d'Etat. Lors de sa venue en Chine au début du mois de juin, le patron de Tesla Elon Musk a été reçu par le ministre des Affaires étrangères, le ministre du Commerce et celui de l'Industrie de Pékin. Le ton des rencontres était fort diplomatique. Elon Musk a loué « la vitalité et le potentiel de développement de la Chine » et déclaré sa « totale confiance dans le marché chinois » selon les communiqués officiels.
Bill Gates a marché dans ses pas deux semaines plus tard. Grande figure du capitalisme américain, l'ancien PDG de Microsoft devenu philanthrope a eu l'honneur d'une entrevue officielle avec Xi Jinping. Le dirigeant chinois l'a même qualifié d'« ami américain ». Quant à Jamie Dimon, directeur de la plus grande banque américaine JP Morgan, il avait exhorté, lors d'un sommet à Shanghai en mai, la Maison Blanche a « ne pas se découpler » de la Chine et à ne pas blesser « la Chine » et « son peuple ».
Apple, JP Morgan, Starbucks, General Motors... et LVMH
Tim Cook l'avait précédé en mars, vantant sur le sol chinois la « relation symbiotique [ndlr, entre les Etats-Unis et la Chine] dont, je le crois, nous avons tous deux bénéficié ». D'autres PDG d'entreprises emblématiques comme General Motors ou Starbucks s'y sont également rendus ces dernières semaines.
En bons chefs d'entreprise, ces derniers sont venus défendre leurs intérêts industriels et commerciaux, soucieux de renouer les liens économiques avec une Chine partiellement coupée du monde par les années de pandémie et de politique « zéro Covid ».
Pourtant, malgré la fin de celle-ci en fin d'année dernière, la reprise tant annoncée tarde à se matérialiser. Pékin table encore sur une croissance du PIB de 5% en 2023, ce qui de l'aveu de nombreux économistes paraît plus qu'optimiste.
Les patrons occidentaux viennent reprendre leurs affaires
« Les grands patrons occidentaux cherchent naturellement à récupérer leur business en Chine, mais il n'y a pas de reprise et c'est devenu un problème pour Pékin. Avec ces visites, le gouvernement chinois, qui adore les symboles, cherche à recréer la confiance chez les consommateurs, les investisseurs et les entrepreneurs », observe David Baverez, essayiste auteur de Chine-Europe : le grand tournant (Le Passeur Editeur, 2021) et investisseur basé à Hong Kong. « Pékin a d'abord essayé de rétablir cette confiance avec Jack Ma [ndlr, le fondateur du géant numérique Alibaba, en disgrâce auprès de l'Etat central, a refait une apparition publique en mars en Chine]. Cela n'a pas marché. Puis, le gouvernement a reçu Bill Gates puis Elon Musk, afin de montrer qu'il est ouvert aux capitaux privés, y compris américains », poursuit-il.
Si Pékin voit d'un bon œil la présence des principaux dirigeants américains sur son sol, il en va de même pour Washington. Ces visites servent aussi les visées de la Maison Blanche. Le secrétaire d'Etat Antony Blinken a, en effet, effectué une visite mi-juin en Chine seulement quelques jours après Elon Musk et Bill Gates. Au tour désormais de Janet Yellen de passer quatre jours sur le sol chinois avec un souci affiché du dialogue alors que les sujets de discorde économique s'empilent.
La Chine incontournable pour les Etats-Unis, et inversement
« Il s'agit de visites probablement coordonnées avec le sommet de l'Etat américain. On sait qu'il va y avoir de plus en plus de tensions géopolitiques entre les deux pays, mais les Etats-Unis veulent garder le contact par les relations économiques avec la Chine pour trouver une forme d'équilibre et éviter un dérapage », analyse Anne-Sophie Alsif, économiste en chef du cabinet BDO France et spécialiste de l'économie internationale, qui rappelle que l'Amérique ne peut pas s'affranchir de l'économie chinoise pour l'instant.
« Avec le programme de réindustrialisation IRA (Inflation Reduction Act), les Américains veulent redevenir leader sur quelques secteurs stratégiques. Pour le reste, les Etats-Unis restent très désindustrialisés et dépendent des approvisionnements depuis la Chine dans de nombreux secteurs. Nos iPhone sont encore fabriqués en Chine, qui reste incontournable pour les Etats-Unis », explique-t-elle.
De l'autre côté, « contrairement à ce que dit la propagande, l'économie chinoise ne parvient pas à compenser sa dépendance aux exportations par la demande intérieure. Pékin maintient une stratégie d'exportation et de compétitivité agressive, notamment en pressurisant les salaires à la baisse », conclut David Baverez.