Dans le secteur minier, rachats et fusions s'intensifient

Les besoins en métaux stratégiques exigés par la transition énergétique accélèrent les opérations de fusion et de rachat entre entreprises minières. Le montant de ces opérations devrait doubler en 2023 par rapport à l'année dernière. Mais si cette consolidation permet des économies d'échelle et des synergies pour les groupes en question, elle ne crée pas les nouvelles capacités de production indispensables pour répondre à la future demande.
Robert Jules
Des mines de lithium dans le désert d'Atacama au Chili.
Des mines de lithium dans le désert d'Atacama au Chili. (Crédits : Reuters)

La hausse de la demande de métaux stratégiques comme le cuivre, le nickel et le lithium, liée à la transition énergétique (véhicules électriques, panneaux solaires, éoliennes) et à l'investissement public dans la décarbonation (l'Inflation Reduction Act aux Etats-Unis, REPowerEU dans l'Union européenne et le plan « vert » en France) devraient déclencher de nouveaux investissements attirés par des prix des métaux élevés, même s'ils restent volatils.

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Ces derniers ont reflué ces derniers mois, après les pics atteints dans les semaines qui ont suivi le début de la guerre déclenchée en Ukraine par la Russie. L'indice des « non ferreux » sur le London Metal Exchange (LME) accuse une baisse de plus de 18% sur un an, quand l'indice S&P mining qui regroupe 97 des plus importantes compagnies minières cotées était à peine en hausse de près de 4% sur un an. Cette stagnation reste conjoncturelle. La Chine, premier consommateur de métaux, n'a pas encore vu sa demande repartir à la hausse.

Des opérations à plusieurs milliards de dollars

Pour augmenter l'offre, les compagnies minières doivent augmenter leurs réserves, ce qui passe aujourd'hui par la consolidation du secteur. « Les compagnies minières continuent à faire des acquisitions et des investissements sachant que quels que soient les problèmes qu'elles rencontrent aujourd'hui, les besoins de métaux pour faire la transition énergétique et le risque de déficit de l'offre sont inélastiques », préviennent dans leur enquête annuelle sur le secteur les experts du cabinet d'avocats international White & Case. Comprendre : la demande de métaux sera colossale, quels que soient leurs prix.

Ainsi, en matière de rachats et de fusions, le montant devrait atteindre 65 milliards de dollars en 2023 contre 36 milliards de dollars en 2022, soit son plus haut  niveau depuis 2012, selon le cabinet d'études Dealogic.

Ces dernières semaines, certaines opérations ont été emblématiques. L'australo-britannique BHP Billiton, la première compagnie minière mondiale en termes de valorisation, a finalisé en début de mois le rachat de 100% de la compagnie minière australienne OZ Minerals pour 6,4 milliards de dollars. « Cette acquisition renforce le portefeuille de BHP dans le cuivre et le nickel », a justifié son directeur exécutif, Mike Henry. Selon lui, dans les 30 prochaines années, la production de cuivre devra doubler et celle de nickel quadrupler pour répondre à la demande.

Pour le triple de ce montant, 19 milliards de dollars, la compagnie étasunienne Newmont, premier groupe aurifère mondial, mais aussi producteur de cuivre, d'argent, de zinc et de plomb, va acquérir Newcrest, un producteur d'or mais aussi de cuivre. Selon Newmont, cela va permettre d'ajouter 50 millions de livres de cuivre (près de 22.700 tonnes) par an à sa production.

Dans le lithium, l'Australien Allkem rachète l'étasunien Livent pour 10 milliards de dollars pour créer un nouveau groupe qui va lui permettre de se hisser à la troisième place mondiale derrière le Chilien SQM et l'Américain Albemarle. Ce dernier veut également se renforcer. Il vient de lancer une offre sur un autre producteur de lithium, l'Australien Liontow Resources, pour 3 milliards de dollars, que ce dernier rejette pour le moment. Au Canada, le producteur de cuivre Hudbay Minerals va acheter son compatriote Copper Mountain Mining pour 439 millions de dollars.

De son côté, le géant Glencore veut acquérir le canadien Teck Resources (cuivre, zinc, mais aussi charbon) pour 23 milliards de dollars. Malgré le montant élevé, Teck rejette l'offre, car il a pour projet de valoriser son activité en scindant en deux entités: métaux et charbon.

Hausse des coûts de production

Pour ces groupes cotés en Bourse, ces rachats permettent d'ajouter des réserves minières à leurs actifs, un critère sur lequel se basent les investisseurs. C'est un moyen plus rapide et facile d'augmenter sa production que la prospection de nouveaux sites et leur exploitation.

« Les projets sur des sites opérationnels, comme l'extension de friches industrielles, peuvent être difficiles à développer en raison de problèmes d'autorisation, de l'opposition des populations locales et, dans un contexte d'inflation et de tension sur le marché du travail, de coûts de production plus élevés. Ces dernières années, les projets dans le secteur minier ont pris plus de temps que prévu pour leur réalisation et dépassent les budgets initiaux tandis que les perturbations de production ont quasiment doublé par rapport à la fin des années 2010 », constatait mardi à Barcelone Mike Henry, directeur exécutif de BHP Billiton, lors de la conférence annuelle Global Metals, Mining & Steel organisée par Bank of America.

Le responsable de BHP confirmait le résultat de l'enquête réalisée annuellement auprès des groupes miniers par le cabinet White & Case: l'incertitude majeure en 2023 est à leurs yeux les coûts générés par l'inflation, suivie du risque géopolitique et des prix de l'énergie.

La hausse des coûts de production ainsi que celui du capital se reflète déjà dans les chiffres. Les investissements (capex) devraient augmenter de près de 13% cette année, pour atteindre 71,6 milliards de dollars, mais à un rythme moindre, après 20% en 2022 et 19% en 2021, selon les estimations de Global Data, qui base ses calculs sur les vingt plus importantes compagnies minières du monde. Un ralentissement dû « aux retards, aux taux de change favorables et aux reports de projets », selon Global Data.

Les groupes miniers continuent toutefois à chercher de nouveaux gisements. « Les budgets dédiés à l'exploration ont augmenté de 16% entre 2021 et 2022, à 13,01 milliards de dollars », selon un rapport sur les tendances du secteur minier de S&P Global Insights, avec une hausse de 88% pour le lithium et de 45% pour le nickel.

Manque d'investissement dans de nouvelles capacités

Mais cela reste insuffisant. « Il n'y a tout simplement pas assez de capitaux investis dans le secteur du cuivre pour répondre à la demande attendue. Le besoin est d'environ 250 milliards de dollars d'ici la fin de la décennie. Or, le montant des projets actuellement prévus sur cette période ne s'élève qu'à environ 40 ou 50 milliards de dollars, donc il manque une part importante. Certes, des prix plus élevés favoriseront de nouveaux investissements et une offre plus importante. Mais cela prend du temps », affirme le directeur exécutif de BHP Billiton.

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Or, au regard des montants engagés, les compagnies préfèrent aujourd'hui consacrer davantage d'argent à la consolidation qu'à l'exploitation de nouveaux projets. Si elles gagnent en synergie, en revanche, elles n'ajoutent que marginalement de nouvelles capacités de production. Ce qui va poser un problème dans un proche avenir.

Robert Jules

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