La décision lundi de l'Opep+ de réduire pour la première fois depuis un an son quota de production de 100.000 barils par jour (soit 0,1% de la consommation moyenne sur l'année) a surpris le marché. Après l'annonce, les cours du baril ont bondi de 4%, avant de refluer toutefois à leur niveau d'avant la réunion. Mardi, dans l'après-midi, le cours du baril de Brent était en baisse de 2%, à 93,8 dollars, celui du baril de WTI de 1,6%, évoluant au-dessus des 87 dollars. Le panier de l'Opep (voir graphique), qui est une moyenne des 13 bruts des membres, s'affichait lundi à 99,84 dollars.
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« La décision d'annuler l'augmentation de 100.000 barils par jour en septembre est plus symbolique que fondamentalement significative, dans la mesure où elle ne change pas vraiment la dynamique du marché, mais elle fera réfléchir les traders avant de faire baisser les prix comme ils l'ont fait récemment », estime Craig Erlam, analyste chez Oanda.
Sur les marchés à terme, nombre d'investisseurs ont pris des positions pariant sur une chute des prix. En à peine trois mois, les prix du brut se sont dépréciés de quelque 28%. Le ministre saoudien de l'Énergie avait déjà fustigé la semaine dernière cette divergence entre le marché physique et le marché papier (les contrats achetés sur le marché à terme sur les futures échéances). En prenant cette décision, l'Opep+, qui réunit les membres de l'Opep et 10 autres pays dont la Russie, montre qu'elle n'entend pas subir. Et qu'elle n'hésitera pas à agir à nouveau, comme elle le précise dans son communiqué, en convoquant des réunions extraordinaires si l'évolution des conditions économiques l'exige.
Accord sur le nucléaire iranien
Néanmoins, d'autres facteurs penchaient en faveur de cette réduction. Il y a d'abord l'accord sur le dossier du nucléaire iranien. Depuis 16 mois, les négociations achoppent entre Washington et Téhéran, alors qu'Israël s'y oppose considérant que les termes de l'accord ne garantissent pas sa sécurité. Si les négociations devaient aboutir, l'Iran pourrait revenir sur le marché avec la levée des sanctions, sans avoir de quota au sein de l'Opep+. Selon le dernier rapport mensuel de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), le pays a pompé 2,52 millions de barils par jour (mb/j) en juillet, alors qu'il dispose d'une capacité potentielle totale de 3,8 mb/j. Aujourd'hui, il exporte principalement vers la Chine.
Il y a ensuite le ralentissement de l'économie mondiale qui mécaniquement pèse sur la demande mondiale de brut. Dans son dernier bulletin mensuel, l'Opep a révisé la croissance économique mondiale à la baisse, de 0,4 point, à 3,1%, marquée par une moindre activité aux Etats-Unis et en Chine. En juillet, la consommation de la république populaire s'est établie à 14 mb/j, un niveau largement inférieur à sa moyenne de 2021 (15,44 mbj, selon le BP Statistical Review). L'AIE prévoit une remontée à partir de septembre vers les 16 mb/j. Une estimation à prendre avec prudence, car le géant asiatique continue à lutter contre la pandémie du Covid-19 dans plusieurs provinces, ce qui entraîne des confinements stricts, le pays appliquant une approche « zéro Covid » , qui met à l'arrêt les activités.
Un prix plafonné pour le pétrole russe
Par ailleurs, la décision de l'Opep+ intervient à peine quelques jours après que les pays du G7 sont tombés d'accord sur la mise en place d'un mécanisme qui va imposer un prix maximum aux exportations de pétrole russe. Paradoxalement, cette décision légitime la vente de pétrole russe sur le marché international, montrant que les sanctions occidentales n'ont pas atteint leur but. Néanmoins, le mécanisme, même si les modalités d'application n'ont pas été précisées en détail, devrait encadrer strictement les modalités et le prix de ces exportations de brut et de produits raffinés russes. Certains experts en doutent, en particulier si le prix plafonné est trop bas - 20, 30 dollars de décote ? - puisque la mesure vise à restreindre les revenus de Moscou. Si le pétrole russe est bradé, cela favoriserait une concurrence à l'achat par rapport aux autres bruts, et le risque de contournement du mécanisme, suggèrent-ils.
Surtout, face aux pays du G7, l'Opep+ montre que l'axe Riyad-Moscou, colonne vertébrale du partenariat, reste solide. Forgée dans les moments difficiles et une compétition sur les volumes entre la Russie et l'Arabie saoudite qui n'avait fait que des perdants, la défense commune de leurs intérêts est devenue une stratégie gagnante. L'imposition de quotas de production a permis de faire remonter les cours qui avaient chuté à quelque 20 dollars en mars 2020, lorsque l'économie mondiale a été mise à l'arrêt en raison des confinements entraînés par la pandémie. Pesant quelque 44% de l'offre pétrolière mondiale, les membres du partenariat ont ainsi pu profiter d'une combinaison gagnante entre les prix et les volumes, et rester sourds aux injonctions des Occidentaux, notamment des Etats-Unis et de la France d'augmenter leurs extractions d'or noir.
En réalité, l'Opep+ peine déjà à atteindre son objectif de production. Selon l'AIE, la production des pays soumis à quota (dont sont exclus l'Iran, le Venezuela et la Libye) s'est établie à 38,71 mb/j en juillet, un niveau bien inférieur à la cible de 41,45 mb/j. Nombre de membres de l'Opep comme le Nigeria, l'Angola, le Congo ou la Guinée équatoriale n'atteignent pas leurs quotas, de même que d'autres membres du partenariat comme l'Azerbaïdjan, le Kazakhstan et évidemment la Russie, qui pompe 1 mb/j de moins que le sien.
Or les pays exportateurs de l'Opep+ ont besoin d'optimiser leurs revenus pétroliers pour alimenter leur budget public et éviter des troubles sociaux. En 2022, l'Arabie Saoudite a élaboré le sien en se basant sur un prix du baril à 79 dollars. A eux seuls, les revenus pétroliers représentent 66% des revenus du royaume. Pour certains autres pays membres, cette part est encore plus élevée. Nombre d'experts estiment que le cours qui convient aujourd'hui à Riyad est 90 dollars le baril.
Un sous-investissement structurel
Plus structurellement, cette incapacité révèle également le sous-investissement dans le secteur, qui s'est écroulé de 30% en 2020, après les années noires de 2015 et 2016. Ce manque d'investissement explique les tensions actuelles sur le marché et les faibles capacités supplémentaires de production. Selon les projections des économistes de l'Opep, il faudra investir 11.800 milliards de dollars d'ici 2045 sur l'ensemble de la filière, de la prospection jusqu'à la distribution en passant par le raffinage, pour répondre à la demande mondiale d'énergie primaire qui va augmenter de 28% d'ici 2045. La part de pétrole devrait encore y représenter plus de 28% contre 24% pour le gaz cette année-là. Les deux hydrocarbures devraient ainsi fournir, à eux deux, encore plus de la moitié des besoins énergétiques mondiaux, notamment pour les pays économies émergentes, en particulier le continent africain qui compte encore sur le pétrole et le gaz pour accélérer son développement économique.