43 cadres supérieurs de nationalité américaine employés par 16 sociétés chinoises de semi-conducteurs cotées à la Bourse de Shanghaï, Naura Technology, AMEC, Gigadevice, Kingsemi... vont devoir choisir entre garder leur emploi ou perdre leur citoyenneté américaine. Ces cadres, dont certains occupent des postes de direction dans ces sociétés, ont pour la plupart des compétences de haut niveau acquises durant des décennies dans des sociétés américaines de la Silicon Valley.
Nouvelles règles
Cette interdiction fait partie des règles mises à jour par le département du Commerce américain au début du mois d'octobre qui imposent de fortes restrictions aux exportations de puces produites aux Etats-Unis. L'administration Biden veut restreindre l'accès chinois aux puces américaines, mais également aux cerveaux de ces ingénieurs de haut niveau. Le but est de rendre beaucoup plus difficile pour les entreprises technologiques chinoises la possibilité d'attirer de telles compétences. Ces nouvelles règles concernent aussi les laboratoires de R&D installés par certaines entreprises chinoises aux États-Unis comme les géants Tencent et Alibaba, présents à Seattle et dans la Silicon Valley.
« Nos actions protégeront la sécurité nationale et les intérêts de la politique étrangère des Etats-Unis tout en envoyant un message clair selon lequel le leadership technologique américain est une question de valeurs ainsi que d'innovation », avait justifié sans détour la secrétaire adjointe au Commerce pour les exportations, Thea Rozman Kendler, lors de l'annonce des restrictions d'export.
Cette pression va aussi s'exercer aussi sur les entreprises des pays tiers comme le néerlandais ASML et les japonais Mitsubishi et Toshiba pour restreindre leurs exportations vers la Chine, même si elles bénéficient d'un an pour s'aligner sur les nouvelles règles.
Le taïwanais TSMC va produire aux Etats-Unis
Quant au taïwanais TSMC, le leader mondial, qui produit à lui seul plus de la moitié des puces utilisées dans le monde, il est doublement concerné. D'abord, parce que l'île revendiquée par la Chine est source de vives tensions avec les Etats-Unis, qui se sont intensifiées depuis la visite en août de la présidente de la Chambre des représentants américaine, Nancy Pelosi. Ensuite, parce que la Chine représente plus de 10% de son marché en 2020 (17% en 2019). Si TSMC va pouvoir continuer à vendre durant un an ses produits sur le continent chinois, même s'ils contiennent des composants des Etats-Unis, son avenir se dessine vers l'ouest, notamment avec le transfert de technologie. TSMC a d'ailleurs déjà investi dans la construction d'une usine en Arizona dont la production devrait débuter en 2024.
« À court terme, l'impact devrait être gérable pour les producteurs taïwanais et coréens qui ont bénéficié d'exemptions d'un an pour s'approvisionner en équipements pour leurs usines en Chine continentale. Cependant, l'intensification de la rivalité technologique pourrait conduire au découplage de la Chine du reste du monde avec des revenus plus faibles et des coûts plus élevés pour les entreprises de matériel technologique », analyse un rapport de S&P Global Ratings.
La course à la production des puces est devenue un enjeu dans la bataille entre les deux puissances économiques pour le leadership mondial. En promulguant, en août dernier, le Chips and Science Act doté d'un montant de 52 milliards de dollars, le président Joe Biden visait à relancer une production locale de puces dont les pénuries dues aux goulets d'étranglement des chaînes d'approvisionnement post-Covid avaient montrer que le pays n'était plus souverain pour des produits nécessaires au bon fonctionnement de l'économie. Ces puces, qui sont les quatrièmes produits les plus commercialisés au monde derrière les produits pétroliers, sont présentes dans tous les produits numériques, informatiques et électroniques.
Mais l'enjeu est également de garder la suprématie technologique. Il ne s'agit plus d'une mesure protectionniste contre la concurrence étrangère, mais bien d'entraver le développement d'un secteur chinois de semi-conducteurs suffisamment puissant et indépendant qui donnerait à la République populaire un avantage technologique, notamment dans le militaire, l'intelligence artificielle ou encore les super-ordinateurs.
Dépendance de la Chine
Or, aujourd'hui, la Chine reste encore étroitement dépendante des Etats-Unis, de la Corée du Sud, de Taïwan et du Japon, pour assurer le développement de son économie numérique. Selon les données officielles, le secteur représentait une part de 39,8% du PIB chinois en 2021 contre 20,9% en 2012. Les entreprises locales du secteur doivent être des contributrices majeures à la croissance économique. Dans son plan quinquennal (2021-2025), la République populaire vise à porter la valeur ajoutée fournie par ces industries à 10% en 2025 contre 7,8% en 2020.
Dans son programme « Made in China 2025 », le programme élaboré en 2015 par le Premier ministre Li Keqiang, Pékin affichait ses ambitions en matière d'intelligence artificielle, de véhicules autonomes, de technologies de l'information de nouvelle génération, de télécommunications, de robotique ou encore d'aérospatiale, d'ici 2049.
Ce sont ces ambitions que Joe Biden entend aujourd'hui restreindre.