Présidentielle à Taïwan : moment de vérité pour la Chine

Les taïwanais doivent choisir entre trois candidats pour le scrutin présidentiel à un tour qui se déroule ce samedi. Derrière cette élection très suivie à l'international, la question du rapprochement de la Chine est au coeur des débats et des tensions. Ces dernières semaines, Pékin s'est montré de plus en plus menaçant.
L'élection est à un tour et les résultats sont attendus dans la journée.
L'élection est à un tour et les résultats sont attendus dans la journée. (Crédits : Reuters)

Jour J pour les habitants de l'île. Des millions de Taïwanais se sont rendu aux urnes ce samedi pour élire leur prochain président.

Les images des médias taïwanais montraient de longues queues face aux bureaux de vote, qui ont fermé à 16h (9h heure de Paris). L'élection est à un tour et les résultats sont attendus dans la soirée (dans la journée à Paris). En 2020, la participation avait frôlé les 75% dans ce territoire de 23 millions d'habitants situé à 180 kilomètres des côtes chinoises et salué comme un modèle de démocratie en Asie. Selon un communiqué de la compagnie ferroviaire taïwanaise, 746.000 personnes devaient prendre le train samedi, la plupart pour rentrer voter dans leur ville d'origine, plus qu'en 2020 (environ 704.000).

Le choix du rapprochement ou non avec la Chine

C'est le cas d'Yvonne, 31 ans, qui part pour Taichung (centre-ouest) et se dit " pas particulièrement inquiète à propos de nos relations avec la Chine, car aucun des candidats n'a osé proposer de mesure radicale ».

Favori du scrutin, le vice-président Lai Ching-te, du Parti démocratique progressiste (DPP), est vu par Pékin comme « un grave danger » car il est sur la même ligne que la présidente sortante, Tsai Ing-wen, qui clame que l'île est de facto indépendante. Depuis l'élection de cette dernière, en 2016, la Chine a coupé toute communication de haut niveau avec Taïwan, qu'elle considère comme une de ses provinces. La société taïwanaise a, de plus, réitéré sa confiance au parti indépendantiste en 2020 en réélisant Tsai Ing-wen suite à la répression de Pékin sur Hong-Kong.

« En 2019, ils ont vu comment Pékin a pris le contrôle total de l'ex-colonie britannique par la répression, bafouant le principe "d'un pays et deux systèmes" selon la charte signée qui devait durer jusqu'en 2047. Ils n'ont pas du tout envie de se retrouver dans ce cas de figure. La situation à Hong Kong est un repoussoir absolu pour la société taïwanaise » expliquait vendredi à La Tribune Jacques Gravereau, fondateur de l'Institut HEC Eurasia.

Lire aussiElections : « Pour les Taïwanais, la situation de Hong Kong est un repoussoir absolu » (Jacques Gravereau, HEC Eurasia)

Face à lui, Hou Yu-ih, candidat du Kuomintang (KMT), principal parti d'opposition, prône un rapprochement avec Pékin. Néanmoins, s'exprimant lors d'une conférence de presse jeudi, Hou Yu-ih a dit rejeter les accusations du DPP d'être un candidat « pro-Chine et qui veut vendre Taïwan ». « Taïwan est un pays démocratique et libre », a-t-il déclaré, et « quoi qu'en pense la Chine, ce que l'opinion publique à Taïwan veut que nous fassions c'est maintenir le statu quo ». La question de la « réunification » ne sera pas au programme s'il est élu, a-t-il aussi promis. Enfin, le troisième candidat, Ko Wen-je, du petit Parti populaire taïwanais (TPP), se présente comme anti-establishment.

Les Taïwanais votent aussi pour renouveler leur Parlement, où le DPP pourrait perdre sa majorité.

Pékin multiplie les menaces

Toute la semaine, Pékin a accentué sa pression diplomatique et militaire. D'abord en appelant les électeurs à faire « le bon choix » puis en affirmant que l'armée chinoise pourrait intervenir sur l'île.

« L'Armée populaire de libération de Chine maintient une vigilance élevée à tout moment et prendra toutes les mesures nécessaires pour écraser fermement les tentatives d''indépendance de Taïwan sous toutes leurs formes », a déclaré le porte-parole du ministère de la Défense, Zhang Xiaogang, dans un communiqué.

Jeudi, cinq ballons chinois ont franchi la ligne médiane séparant l'île autonome de la Chine, selon le ministère taïwanais de la Défense, qui a aussi repéré dix avions et six navires de guerre. Samedi, des journalistes de l'AFP ont observé un avion de chasse chinois au-dessus de la ville de Pingtan, la plus proche de Taïwan. Et sur le réseau social chinois Weibo, le hashtag « Election à Taïwan » a été bloqué dans la matinée.

Le statut de Taïwan est l'un des sujets les plus explosifs de la rivalité entre la Chine et les Etats-Unis, premier soutien militaire du territoire, et Washington a prévu d'envoyer une « délégation informelle » sur l'île après le vote. Washington ne reconnaît pas Taïwan comme un Etat et considère la République populaire de Chine comme seul gouvernement légitime, mais apporte néanmoins à l'île une aide militaire importante. Les Etats-Unis se disent en faveur d'un statu quo, selon eux garant de la paix. Vendredi, le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a rencontré à Washington Liu Jianchao, à la tête de la division internationale du Comité central du Parti communiste chinois. Il lui a rappelé l'importance de « maintenir la paix et la stabilité dans le détroit de Taïwan ».

Des taïwanais peu inquiets d'une invasion de l'armée chinoise

A Taipei, Liu Pei-chi, professeur de lycée de 40 ans, raille Pékin qu'il qualifie de « tigre de papier ». « Une fois que vous avez compris leurs ruses, vous n'avez plus peur », poursuit cet électeur du DPP. « J'espère pouvoir défendre mon pays, notre démocratie et le faire savoir au monde. »

Un conflit dans le détroit de Taïwan serait désastreux pour l'économie: l'île fournit 70% des semi-conducteurs de la planète et plus de 50% des conteneurs transportés dans le monde transitent par le détroit. Mais une guerre a peu de chances d'éclater pour le moment. « Le scénario vert, c'est le statu quo actuel. Même si le Parti démocratique se maintient au pouvoir à Taïwan,  Pékin a plus à perdre qu'à gagner à une escalade. La Chine se cantonnerait dans ce cas à poursuivre ses gesticulations militaires, ses stratégies d'influence et de désinformation actuelles plus ou moins intenses », précisait  Jacques Gravereau.

En cas de guerre, la Chine s'exposerait à « une perspective d'apocalypse car, même si les Taïwanais sont inférieurs militairement, les Chinois devront faire une traversée maritime de 160 kilomètres, encaisser la perte de centaines de leurs navires coulés par des missiles adverses dans leur traversée, réussir leur débarquement et se déployer dans une île barrée par une grande chaîne montagneuse hérissée de pics de plus de 3.000 mètres. Une opération amphibie n'est jamais  une promenade de santé. D'autant qu'il faut tenir compte de la proximité des bases américaines autour de Taïwan : au Japon, aux Philippines, à Guam, en Corée du sud. Dans un conflit à très haute intensité, les Etats-Unis n'auraient pas d'autre choix que de s'engager militairement, sous peine de perdre le Pacifique et tous leurs alliés asiatiques. Le « coût d'acquisition » de Taïwan en vaut-il la chandelle ? »

(Avec AFP)

Commentaires 4
à écrit le 13/01/2024 à 11:50
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Encore un feuilleton pour occuper nos esprits ! Et, derrière tout çà, un scenarii US ! Vivement la pub ! :-)

à écrit le 13/01/2024 à 11:38
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Bonjour, la démocratie et les libertés sont a défendre chaque jours... Personnellement, je crainds que personne ne souhaite être en confrontation directe avec la Chine... Donc le candidat favorable au rapprochement économique, mais opposés a l'insta...

le 13/01/2024 à 12:59
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La parole de la Chine vaut "tripette". La Chine n"envahira pas Taïwan parce qu'elle a trop à perdre en premier lieu son armée et ensuite un coquille vide.

à écrit le 13/01/2024 à 11:08
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Conseil de lecture : ne manquez pas de lire "Terres rares" de Jean Tuan chez C.L.C. Éditions. Un néo-polar épicurien et érudit qui dévoile certaines menaces que la Chine fait peser sur le monde. Lecture édifiante et distrayante ! Disponible en libr...

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