La longue marche vers un capitalisme responsable

PARTAGEONS L'ECONOMIE. Comment passer d'un capitalisme uniquement soucieux de rentabilité à un modèle respectueux des critères ESG (environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance) ? Révolutionnaire mais pas impossible ont expliqué Bruno le Maire, Ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance, Jean-Dominique Senard, président du conseil d'administration de Renault, Pascal Demurger, directeur général du groupe MAIF et Emmanuel Faber, ancien président-directeur général de Danone lors de la conférence organisé par la Tribune le 20 mai sur le thème: « engagement et RSE, le temps des actes »..
De gauche à droite, Bruno Le Maire, Jean Dominique Senard, Pascal Demurger, Emmanuel Faber.
De gauche à droite, Bruno Le Maire, Jean Dominique Senard, Pascal Demurger, Emmanuel Faber. (Crédits : DR)

De la Révolution Industrielle à la crise financière de 2007, capitalisme et humanisme n'ont pas souvent été associés. Mais la crise sanitaire actuelle rebat les cartes. Le dérèglement climatique ne laisse plus le choix aux décideurs politiques et économiques : continuer le « business as usual » signerait la fin à brève échéance du modèle social et économique actuel. Heureusement, les choses bougent.

« Au XIXe siècle, les machines exploitaient la planète pour générer du profit. Cela a bien fonctionné durant un siècle. La nouvelle révolution est environnementale. C'est un défi qui demande de nous réinventer totalement et la France a les atouts pour jouer son rôle », estime Bruno Le Maire.

La loi du 22 mai 2019 pour la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, doit permettre aux entreprises de « mieux prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux dans leur stratégie ». Elle introduit aussi les notions de raison d'être et d'entreprise à mission.  À l'origine de ce texte, Bruno le Maire a rappelé que « le profit pour le profit, les gens n'en veulent plus. La création de richesse au détriment de la planète est une impasse. Il faut inventer un autre capitalisme, qui n'épuise pas les ressources et garantisse l'égalité ».

Objectif louable, mais qui risque de se heurter à la réalité d'une épidémie de faillites et de plans sociaux quand on fermera le robinet d'aides publiques, sans doute en fin d'année. Pour le Ministre de l'Économie, « il faut penser les choses autrement ». C'est-à-dire, pour les entreprises, réduire les écarts de rémunération entre les dirigeants  et les salariés, intéresser davantage ces derniers aux résultats, défendre l'égalité femmes/hommes et rendre les modes de production plus vertueux.

Des évolutions déjà à l'œuvre en Europe, continent qui a le plus protégé les salariés durant la crise et édicté la taxonomie verte pour parvenir à la neutralité carbone à horizon 2050. Cette nouvelle classification standardisée pour évaluer la durabilité de 70 activités économiques entrera en vigueur partiellement à la fin de l'année 2021, puis totalement fin 2022. A cette date, les entreprises devront publier les informations concernant leur bilan carbone sur leur site. Mais cette taxonomie verte n'aura de sens que si elle est aussi adoptée par les fonds privés anglo-saxons et les fonds souverains moyen-orientaux. Pour y arriver, il faudra faire sauter plusieurs verrous, dont la reconnaissance du nucléaire, spécialité française, comme énergie propre.

RSE et stratégie d'entreprise, même combat ?

Avec la crise sanitaire et la prise de conscience du danger environnemental, sommes-nous arrivés à un moment de bascule du capitalisme ? Jean Dominique Senard, président du conseil d'administration de Renault et ancien président de Pechiney puis de Michelin, connaît bien le secteur de l'industrie lourde. Le 9 mars 2018, il a remis au Ministre de l'Économie le rapport "L'entreprise, objet d'intérêt collectif " sur le rôle de l'entreprise dans la société française, rédigé avec l'ancienne secrétaire générale de la CFDT Nicole Notat.

Un rapport « reçu fraîchement par le monde économique » selon l'industriel. En trois ans, les lignes ont bougé. « On a longtemps séparé RSE et stratégie et on découvre que c'est la même chose » analyse Jean-Dominique Senard. Un avis partagé par Pascal Demurger, président de la Maif :

« La RSE, qui était rattachée à la communication, l'est désormais à la direction générale. Alors qu'elle consistait souvent à affecter une partie des résultats à de grandes causes, elle implique désormais l'ensemble de l'opérationnel de l'entreprise ».

Certes, mais s'engager dans une stratégie RSE tout en restructurant l'entreprise, avec son lot de réduction d'effectifs, reste une gageure.

Chez Renault, la stratégie RSE est la même que la stratégie de l'entreprise, centrée sur les questions de sécurité, d'environnement et d'inclusivité. Ce qui n'empêche pas les restructurations, qui sont « juste indispensables pour survivre. Si on ne prend pas le taureau par les cornes et qu'on n'anticipe pas pour rassurer, on va droit dans le mur » avertit le président du conseil d'administration de Renault.

La Maif a elle fait un geste fort en direction de ses clients en leur remboursant leur police d'assurance automobile suite aux confinements et à la baisse de 85% des sinistres routiers. Une initiative coûteuse (100 millions d'euros) qui a fait plonger le résultat financier mais s'avère bénéfique en termes d'image de marque et de fidélisation:

« En 2020 on a eu des résultats de développement historique et 2021 est partie sur une tendance encore supérieure. Quand on fait des choses justes, on en tire profit sur le long terme », se félicite Pascal Demurger.

Un chemin alternatif pour le capitalisme


Malgré cet exemple positif, il est probable que les entreprises ne changeront leurs pratiques que si elles y voient un intérêt. Un levier de bascule pourrait être une politique fiscale adaptée qui récompenserait les sociétés vertueuses et pénaliseraient les mauvais élèves.

« Est-ce que la politique fiscale doit être la même pour toutes les entreprises ? Est-ce que la commande publique doit intégrer de manière obligatoire des dimensions environnementales et sociales ? Est-ce que les aides publiques doivent être accordées sans tenir compte de l'engagement des entreprises ? » s'interroge à raison le directeur général de la Maif.

Chez Renault, on veut faire la « Renaultution », soit la fusion entre amélioration économique et de sérieux engagements RSE.

« Renault va se redresser et redevenir d'ici quelques années une entreprise de pointe qui sera un exemple européen en matière de RSE », prédit Jean-Dominique Sénard.

Danone avait aussi cet objectif, porté par Emmanuel Faber, qui a dirigé le groupe de 2014 à mars 2021. Mais ce chevalier blanc de la RSE, soucieux d'environnement et d'aide au développement - il a lancé en 2006 le projet de coentreprise en social business Grameen Danone Foods au Bangladesh avec le prix Nobel de la paix Muhammad Yunus - a été éjecté sous la pression de deux fonds activistes, Bluebell Capital et Artisan Partners. Motif : de mauvaises performances financières comparées à ses concurrents Nestlé et Unilever. Un contre-exemple d'une stratégie économique compatible avec la RSE qui a agité le monde des affaires, même si Jean-Dominique Sénard relativise cet épisode : « la direction d'Emmanuel Faber n'est pas en cause, tous les plans prévus vont se poursuivre. Il ne faut pas se laisser décourager par des cas particuliers ».

Le départ forcé d'Emmanuel Faber peut-il remettre en question le statut d'entreprise à mission ? Pas pour l'intéressé, qui pense « qu'une entreprise comme Danone qui traverse une crise aussi grave, avec des marchés qui se sont effondrés, un cours en bourse en baisse de 3%, un conseil qui dysfonctionne, un PDG remercié au milieu d'un plan de transformation avec suppressions d'emplois soutenu par les syndicats, et qui continue à être une entreprise à mission, on ne peut pas imaginer une épreuve du feu plus importante. Cela prouve que ce modèle est solide. Le statut d'entreprise à mission a joué un rôle de stabilisateur ».

Reste que, pour l'instant, seule une partie infinitésimale des entreprises a adopté ce statut (88 sur 2,7 millions en 2020), dont une majorité de PME de moins de 50 salariés. Mais l'ex PDG de Danone reste optimiste. Il pense que le capitalisme peut emprunter un « chemin alternatif » à celui de la croissance et du profit : « les systèmes capitalistes, tels qu'on les a laissés vivre, sont dans une forme d'impasse s'ils ne se transforment pas. Ils vont devoir changer, de gré ou de force ». Vœu pieu ou prophétie ? Verdict en 2030, date limite de conservation du capitalisme old school.

VIDEOS

 >> Partageons l'économie, le replay sur latribune.fr et ici aussi sur Spotify.

Commentaires 4
à écrit le 03/06/2021 à 13:42
Signaler
Les gens ne sont pas plus responsables aujourd'hui que dans les années 50, en revanche, ils sont plus hypocrites

à écrit le 03/06/2021 à 13:15
Signaler
88 sur 2.7 millions, on peut pas dire que ça ai eu du succès. Ca me semble plus être un couteux emballage de vertosocial washing qu'autre chose. L'empilage de normes et d'obligations françaises est déjà plus que bien suffisant.

à écrit le 03/06/2021 à 13:14
Signaler
"Mais la crise sanitaire actuelle rebat les cartes. " Où voyez vous un quelconque changement autre que les bavardages et autres promesses habituelles svp ? A part Mac Do qui banni ses jouets en plastique je ne vois rien. Vous savez que tout ces d...

à écrit le 03/06/2021 à 13:07
Signaler
C’eût été le moment de rappeler que pour faciliter la "reprise économique" en période de covid, le gouvernement a ordonné aux préfets de réduire les études d'impact environnemental et de faciliter l'obtention des permis de construire (par exemple). O...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.