Confidences de ministres écartés par Macron

Après un an au gouvernement, François Braun, Jean-Christophe Combe, Isabelle Rome, Olivier Klein et Jean-François Carenco ont été congédiés en juillet. Retours d’expérience.
Ludovic Vigogne
François Braun, ex-ministre de la Santé et de la Prévention. Jean-François Carenco, ex-ministre délégué aux Outre-Mer. Jean-Christophe Combe, ex-ministre des Solidarités. Olivier Klein, ex-ministre délégué à la Ville et au Logement. Isabelle Rome, ex-ministre déléguée à l’Égalité entre les femmes et les hommes.
François Braun, ex-ministre de la Santé et de la Prévention. Jean-François Carenco, ex-ministre délégué aux Outre-Mer. Jean-Christophe Combe, ex-ministre des Solidarités. Olivier Klein, ex-ministre délégué à la Ville et au Logement. Isabelle Rome, ex-ministre déléguée à l’Égalité entre les femmes et les hommes. (Crédits : © ARTHUR N. ORCHARD/HANS LUCAS VIA REUTERS ; BENOÎT TESSIER/REUTERS ; XOSE BOUZAS/HANS LUCAS VIA REUTERS)

« C'est comme dans les reportages animaliers, les lions s'attaquent aux plus faibles. » Jean-Christophe Combe ne s'en cache pas : il a fait partie de ces derniers. Nommé ministre des Solidarités du gouvernement Borne le 4 juillet 2022, l'ex-directeur général de la Croix-Rouge en a été congédié à peine une année plus tard. En février, il prendra de nouvelles fonctions au sein d'un grand groupe. Aujourd'hui, il a complètement tourné la page de la politique.

Lire aussiTensions avec les Etats-Unis : la Corée du Nord ordonne à ses troupes d'« accélérer les préparatifs de guerre »

Le 20 juillet 2023, cinq autres ministres faisaient aussi leurs cartons un an seulement après être entrés en fonction : Pap Ndiaye (Éducation), François Braun (Santé), Olivier Klein (Ville et Logement), Jean-François Carenco (Outre-Mer) et Isabelle Rome (Égalité femmes-hommes)*. De cette sortie brutale, tous gardent encore des cicatrices. Promus dans la foulée de la réélection d'Emmanuel Macron, ils imaginaient avoir plus de temps pour faire leurs preuves. « Pour moi, il était clair que je ne serais pas là pour tout le quinquennat, mais je pensais que cela s'arrêterait début 2025 », lâche François Braun, qui était encore, le matin du remaniement, sur BFMTV afin de faire le point sur les chantiers qu'il souhaitait lancer. « Je n'ai rien vu venir », admet Olivier Klein. Les jours précédents, avec son cabinet, il phosphorait sur ce qu'il allait faire après les violences qui venaient de secouer le pays. Un message d'Aurélien Rousseau, le directeur de cabinet d'Élisabeth Borne d'alors, l'avait conforté dans ses certitudes. « Tu as été top pendant les émeutes », lui avait-il écrit. Deux jours avant le grand chambardement, le chef de l'État avait convié à dîner à l'Élysée l'ensemble du gouvernement. « J'emmène votre mari en Nouvelle-Calédonie. Il va encore vous manquer », avait lancé le président, en partance la semaine suivante pour l'Océanie, à l'épouse de Jean-François Carenco.

Et puis tout s'est brutalement arrêté. Ils ne le dissimulent pas ; ce ne fut pas un simple mauvais moment à passer. « Le lendemain, on se remet en question : "Qu'est-ce que j'ai mal fait ?" », reconnaît Isabelle Rome. « On ressent un sentiment d'échec, raconte Olivier Klein. Je ne suis pas le champion de l'effet de manche. J'ai essayé d'être moi-même. Humain, sensible, peut-être un peu trop... » « J'ai eu du mal à m'en remettre. J'ai raté deux choses dans ma vie : Sciences-Po et ça », confie Jean-François Carenco. Tous ont été frustrés de ne pouvoir poursuivre ce qu'ils avaient commencé à entreprendre.

À l'exception d'Olivier Klein, maire de Clichy longtemps encarté au PS, ces « grands brûlés » venaient de la société civile. Au gouvernement, ils ont découvert un univers plus « perso » qu'ils ne croyaient. François Braun était médecin urgentiste. « J'imaginais un fonctionnement plus solidaire, sans faille. J'étais naïf », confesse-t-il, regrettant le « niveau cours de maternelle » de certains collègues qui n'ont pas hésité à glisser quelques peaux de banane sous ses pieds. « On pense entrer dans un collectif au service d'un projet et on se retrouve très vite seul dans son couloir », confirme Jean-Christophe Combe. Souvent, ils se sont sentis sans allié alors qu'ils devaient apprendre sur le tas les codes de leur nouveau métier. « Je n'étais proche de personne, explique Isabelle Rome, venue de la magistrature. Je n'avais pas de poids lourd derrière moi. Je n'étais pas le bras droit d'Édouard Philippe ou de François Bayrou. J'étais l'expression de la société civile par excellence. »

Lire aussiLa fin du bouclier tarifaire sonne le doublement de la taxe sur le gaz

La ministre déléguée à l'Égalité femmes-hommes a aussi dû composer avec les difficultés inhérentes à son portefeuille. « C'est un poste où on tire la manche de tous les ministres. Rien ne va de soi. Vous dépendez des autres. Vous ne pouvez pas exister seul. C'est une limite », décrit-elle, satisfaite malgré tout d'avoir pu bâtir « trois plans d'ampleur » pour lutter contre les discriminations. Ministre de plein exercice, François Braun a dû s'adapter à une autre exigence. « Les sujets médicaux ont une temporalité longue ; or quand on présente un dossier reposant sur une vision à long terme, c'est incompréhensible pour le politique, juge-t-il. Il faut donc concevoir des étapes courtes et des échéances rapides. Cela me fait dire que j'ai raté certaines étapes » Pourtant grand connaisseur des rouages du pouvoir (il a été six années directeur de cabinet de Jean-Louis Borloo lors des quinquennats Chirac et Sarkozy), Jean-François Carenco a de son côté constaté que « l'administration administrante s'était largement autonomisée ». « Elle est plus pesante », assène-t-il. Une anecdote a marqué le ministre délégué aux Outre-Mer. Devant rapporter une ordonnance en Conseil des ministres, il informe cinq minutes auparavant la secrétaire générale du gouvernement qu'il recommandera qu'elle ne soit pas adoptée car il la trouve incompréhensible. On lui rétorquera que c'est juste de la « légistique ». Dans leur quotidien, ils doivent également composer avec une innovation improvisée par Emmanuel Macron lors de la campagne des législatives : les conseils nationaux de la refondation (CNR). Jean-Christophe Combe en a animé un sur le « bien-vieillir ». « C'était très mobilisateur et insuffisamment exploité. Peutêtre qu'il y en a eu trop », conclut-il. Olivier Klein considère être sorti fragilisé du CNR sur le logement, qui s'est mal passé.

Des personnalités plus politiques et moins tendres

Ce dernier connaissait bien Emmanuel Macron. Il n'a pourtant pas eu de tête-à-tête avec lui durant son année gouvernementale. Si c'est également le cas de Jean-Christophe Combe, Isabelle Rome a été une privilégiée. Elle a eu un long entretien avec le président à l'Élysée. À l'occasion d'un déplacement à Dijon, ils échangeront également beaucoup pendant le trajet sur l'intérêt de la constitutionnalisation de l'IVG, pour laquelle elle militait ardemment. « Il invite ses ministres à aller toujours plus loin dans leur démarche intellectuelle », fait-elle remarquer. « C'est un homme d'État. Je suis fan de sa personnalité et de sa réflexion, il ne m'a pas déçu. Je regrette qu'il se soit un peu isolé. Il adore pourtant le contact », témoigne François Braun, qui avait noué un contact privilégié avec le chef de l'État.

Avec Élisabeth Borne, cela a été plus délicat. « Elle n'a pas d'empathie vis-à-vis de ses ministres. Je la connais pourtant depuis longtemps », note Jean-François Carenco. « Ça n'a pas matché d'un point de vue humain », assume François Braun. Si Isabelle Rome dépendait pourtant d'elle, elle n'a jamais eu de rendez-vous avec elle, ni d'échange personnel... À sa décharge, la Première ministre a aussi été le 20 juillet la porteuse de mauvaises nouvelles. Avec tous, Élisabeth Borne mettra en avant un même argument : la nécessité de ministres plus politiques et moins tendres du fait de la majorité relative à l'Assemblée. « Tu es trop gentil. J'ai besoin de killers », s'entendra dire Olivier Klein. « Elle m'a dit qu'elle voulait quelqu'un de plus agressif à l'Assemblée. Mais c'est ce qu'elle a dit à tous », se souvient François Braun. « Il y a un côté "puncheuse" que je n'avais pas. Mais ce n'est pas parce qu'on n'accepte pas la violence du monde politique qu'on n'est pas une combattante », se défend cinq mois plus tard Isabelle Rome. « Moi, on m'a reproché de ne pas avoir fait de la politique à Paris ; c'est pour cela que je ne suis plus là. Mais j'en faisais en outre-mer et on y a gagné les sénatoriales en septembre », ajoute Jean-François Carenco. « On était 42. Combien d'entre nous au total étaient connus des Français ? Et voit-on vraiment la différence avec ceux qui sont entrés après nous? questionne Jean-Christophe Combe. En fait, tout cela a été très contextuel. Élisabeth Borne avait été reconduite, ils avaient besoin de montrer d'une autre manière qu'il y avait du changement. Ils ont fait partir ceux qui étaient les plus faciles à faire partir. »

Lire aussiUn Président n'aurait pas dû dire ça...

Aujourd'hui, François Braun a retrouvé les gardes au Samu de Metz et mène une mission au sein du CHR de la ville sur le parcours de soins. Isabelle Rome est première présidente de la cour d'appel de Versailles... Pour certains, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique n'a pas facilité la réinsertion, multipliant la liste des incompatibilités professionnelles à la suite de leur exercice ministériel. Entre eux, ils n'ont pas gardé de lien. « On n'a pas envie de ressasser. Cela fait partie de la résilience », concède Jean-Christophe Combe. Il y a quelques semaines, Olivier Klein, devenu délégué à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT, a cependant profité d'un déplacement à Strasbourg pour déjeuner avec Pap Ndiaye, qui y est le représentant français auprès du Conseil de l'Europe. L'ex-ministre de l'Éducation, qui n'a pas souhaité nous répondre, cultive sa discrétion. Cet automne, il a néanmoins envoyé un SMS de soutien à Ambroise Méjean, président des Jeunes avec Macron, après un communiqué de ce mouvement défendant le principe de l'AME (aide médicale d'État) à l'occasion du débat sur l'immigration. Quand, avant Noël, la conclusion de celui-ci a enflammé jusqu'à l'exécutif, un de ces grands brûlés a confié à son ancien collègue Clément Beaune, qui ne cachait pas son malaise : « Je suis incapable de dire ce que j'aurais fait si j'avais encore été au gouvernement. »

* Si Marlène Schiappa et Geneviève Darrieussecq faisaient également partie du lot, elles étaient entrées au gouvernement dès 2017.

Des vœux présidentiels entre année faste et fébrilité dans la majorité

Pour la septième fois, Emmanuel Macron présentera ses vœux aux Français ce soir à 20 heures depuis l'Élysée. Le chef de l'État pourra se satisfaire d'avoir mené à bien - mais non sans mal - ses deux grands chantiers de 2023, les réformes des retraites et de l'immigration, et il devrait esquisser ceux de l'année à venir: un nouveau train de mesures économiques alors que le chômage connaît une légère remontée, un projet de loi sur la fin de vie... Le 20 décembre, il avait déclaré sur France 5 souhaiter un « nouveau cap ». Le président devrait également mettre en avant les grands rendez-vous qui attendent le pays en 2024, plaçant celui-ci au centre des regards: les Jeux olympiques cet été, la réouverture de Notre-Dame en décembre, les cérémonies pour le 80e anniversaire du Débarquement en juin. Lèvera-t-il une légère partie du voile sur son « rendez-vous avec la nation » promis pour janvier, qu'il avait annoncé dans Le Monde le 9 décembre ? Au sein de la majorité, chacun de ses mots sera scruté, alors qu'un remaniement et un possible remplacement d'Élisabeth Borne à Matignon semblent se profiler. L.V.

Ludovic Vigogne
Commentaires 5
à écrit le 31/12/2023 à 14:52
Signaler
Marrant de lire ces commentaires; à l'heure à laquelle (si on en croit les sondages) la France s'attend à une élection qui verra arriver au pouvoir un duumvirat qui n'a JAMAIS TRAVAILLE...

à écrit le 31/12/2023 à 12:19
Signaler
Nous avons toujours eu une forêt de ministres comme d'ailleurs une horde de parlementaires; dans un cas comme dans l'autre, une minorité est strictement nécessaire, le reste étant purement honoraire ou honorifique. On retrouve rarement dans les entre...

à écrit le 31/12/2023 à 10:58
Signaler
Jusqu' alors trois systèmes tenaient à flots les Etats démocratiques : l' exécutif, le législatif et le judiciaire auquel ,en France pricipalement , il fallait ajouter le Pouvoir Administratif qui d' ailleurs avait la fâcheuse tendance à confisqu...

à écrit le 31/12/2023 à 10:03
Signaler
Nous avons un soi disant président qui attend que l'on lui apporte sur un plateau tout ce qu'il doit "penser" et dire et, servir lui même de fusible à une oligarchie qui n'a pas encore construit son remplaçant !

le 31/12/2023 à 10:14
Signaler
@Bah- Pensez vous sincèrement qu'un Président peut tout penser et tout faire tout seul ?

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.