L'Europe va-t-elle tomber en récession en 2024? Après une année au ralenti, les perspectives sont sombres. Si les États- Unis ont réussi à maintenir en 2023 une croissance relativement solide de leur produit intérieur brut (2,1 %) malgré l'impact négatif des taux d'intérêt élevés, l'économie du Vieux Continent est restée en panne sèche. Selon les prévisions de la Commission européenne, le PIB devrait légèrement augmenter de 0,6 % en 2023 à la fois dans l'Union européenne et dans les pays de la zone euro. Toutefois, cette évolution ne reflète pas la situation actuelle. Car la zone euro, qui regroupe vingt pays de l'UE dont la France et l'Allemagne, est aujourd'hui au bord de la récession. Elle y est même peut-être déjà entrée.
« La probabilité que la zone euro soit en récession reste particulièrement élevée », expliquait récemment Cyrus de la Rubia, chef économiste à Hamburg Commercial Bank.
« La récession technique pourrait se situer en fin d'année 2023 », abonde Christophe Blot, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et spécialiste de l'Europe. Si, après le recul de 0,1 % du PIB observé au troisième trimestre, le quatrième trimestre devait être lui aussi dans le rouge, la zone euro enchaînerait par conséquent deux trimestres de baisse de PIB consécutifs, le marqueur pour définir la récession. En cause notamment, l'inflation (même si elle ralentit) et le coût élevé du crédit, qui plombent la consommation des ménages et l'investissement des entreprises, mais aussi les difficultés de l'Allemagne, la première économie européenne.
« Actuellement, l'Allemagne est le pays le plus fragile de la zone euro », souligne Christophe Blot, en précisant que « l'Italie présente également des signes de fragilité ».
Outre la montée rapide des taux, le modèle allemand souffre à la fois de la baisse de ses exportations industrielles en raison de la conjoncture internationale morose, notamment en Chine, et de prix de l'énergie trop élevés par rapport à d'autres pays avec la fin des livraisons de gaz russe à bas prix depuis la guerre en Ukraine.
Très légère croissance en France
De son côté, la France se porte certes mieux avec une croissance sur l'année attendue de 0,8 %. Mais elle est clairement aujourd'hui sur le fil du rasoir. Car après avoir reculé de 0,1 % au troisième trimestre, le PIB tricolore devrait stagner au cours des trois derniers mois de l'année, selon l'Insee.
La conjoncture est particulièrement inquiétante. Selon la société américaine d'analyse financière S&P Global, la France a enregistré en décembre « la plus forte contraction » de l'activité du secteur privé parmi les 20 pays de la zone euro. Pour autant, si la zone euro commence mal l'année 2024, la baisse attendue de l'inflation, tombée en novembre au plus bas depuis début 2022 (+2,9 %), devrait constituer un appel d'air. Aucune prévision ne table pour l'heure sur une récession l'an prochain. Avec un retour de la croissance attendu en Allemagne (+0,5 %), l'OFCE prévoit une croissance de 1 % dans la zone euro. En France, l'économie devrait échapper à la récession. Mais la croissance ne sera probablement pas aussi forte que celle espérée par le gouvernement (1,4 %). La Banque de France table de son côté sur 0,9 % et les prévisions de l'Insee, qui ne vont pas au-delà du premier semestre, envisagent une très légère croissance de 0,2 % au premier et au deuxième trimestre. Mais, ces prévisions restent fragiles. Et pour écarter tout risque de récession, de nombreux experts jugent urgent de baisser rapidement les taux d'intérêt pour relancer l'activité économique. Une demande restée pour l'heure sans réponse de la Banque centrale européenne (BCE), focalisée sur les dernières étapes pour venir à bout de l'inflation.
« La Banque centrale européenne est tellement obnubilée par "le dernier kilomètre de la désinflation" qu'elle ne voit pas que la zone euro est en train de prendre le premier kilomètre de la récession », prévient Bruno Cavalier, chef économiste chez ODDO BHF.
Réforme des règles budgétaires
Une baisse des taux s'annonce d'autant plus nécessaire que les pays européens n'ont pas beaucoup de marges de manœuvre budgétaires pour relancer l'activité. Et pour cause : ces difficultés économiques surviennent alors que les pays européens se sont massivement endettés pour résister aux conséquences de la pandémie et de la guerre en Ukraine. À cette explosion de la dette s'est ajoutée l'envolée des taux d'intérêt pour freiner l'inflation sur le Vieux Continent, laquelle a fait gonfler les intérêts sur la dette. En France, ils ont bondi pour atteindre 55 milliards d'euros en 2023 et pourraient même atteindre 74 milliards d'euros en 2027. Résultat : les États vont devoir faire des économies.
« L'amortisseur budgétaire va être moins important en 2024 même si l'orientation budgétaire des pays ne manifeste pas de retour à l'austérité, en revanche, un risque existe en 2025 avec le niveau élevé des dettes, prévient Christophe Blot. Les pays pourraient être tentés de faire de la consolidation budgétaire pour réduire les dettes et les déficits. »
Face au mur d'investissements à réaliser dans la transition écologique et la défense, l'Europe des Vingt-Sept a trouvé un accord fin décembre sur la réforme des règles budgétaires, qui doit garantir le redressement des finances publiques sans compromettre les investissements. Cette réforme doit encore passer par le Parlement européen avant les élections européennes de juin prochain. Une échéance cruciale pour les gouvernements au pouvoir.