Marine Le Pen peut se frotter les mains

Dans la discipline et la retenue, le Rassemblement national poursuit silencieusement son enracinement dans les consciences, et chacun des 1 500 jours qui la séparent du prochain scrutin présidentiel pourrait constituer pour Marine Le Pen une marche supplémentaire vers la conquête du sésame. La manière dont Emmanuel Macron a engagé la réforme de la retraite sans traiter le travail est révélatrice d'une politique qui profite pleinement à la candidate RN. A quoi le chef de l'Etat est-il prêt pour conjurer le spectre ?
Marine Le Pen
Marine Le Pen (Crédits : SARAH MEYSSONNIER)

Emmanuel Macron est-il pleinement conscient qu'en 2027 celle ou celui qui lui succèdera pourrait s'appeler Marine Le Pen ? Dans l'environnement proche ou plus éloigné du chef de l'Etat, les cris d'orfraie sont récurrents. Ainsi, cités dans Le Monde (10 février), Bruno Le Maire affirme « penser chaque jour » que le pays « peut basculer au Rassemblement national » et que « chaque usine qui ferme est une permanence du RN qui ouvre » ; « la favorite en 2027 est Marine Le Pen », estiment Edouard Philippe et l'eurodéputé Pascal Canfin ; « Emmanuel Macron est peut-être le dernier président de la République démocrate », prophétise Marlène Schiappa. Excepté le Garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti, qui depuis de nombreuses années alerte sur le « péril Le Pen » qui profite aujourd'hui de la « banalisation du mal », impossible de qualifier la véracité de toutes ces déclarations ; lesquelles sont-elles sincères ? lesquelles relèvent-elles de circonstances politiciennes en plein débat parlementaire éruptif sur les retraites ? lesquelles sont-elles employées pour effrayer l'opinion publique et la coaliser contre le spectre ?

Peu importe finalement. Seule certitude : l'effet repoussoir se dissipe chaque jour un peu plus, au fur et à mesure que la stratégie de respectabilité et de normalisation du RN s'enracine, au fur et à mesure que l'autre extrémité de l'Assemblée nationale se fourvoie dans l'hystérie, au fur et à mesure que la gauche responsable et la droite respectable se délitent. Au fur et à mesure, enfin, que le chef de l'Etat persiste dans sa posture du déni.

Les bras tendus vers le RN

Un Président sans projet de société à partager avec la société ; ignorant que la population est usée après une épreuve du Covid-19 aux multiples séquelles intimes, familiales, psychiques ; enfin, négligeant que cette usure est enflammée par d'autres origines. Parmi elles, la frénésie technologique, consumériste, productiviste qui enfouit les derniers instants de pause, de repos, les ultimes niches de ressourcement ; imagine-t-on dans les domaines personnel comme professionnel, ce que la profusion de mails auxquels il faut répondre, la débauche de sollicitations qui surgissent du téléphone portable, et l'effacement des distances (géographiques et temporelles), sécrètent chaque jour d'injonctions de faire immédiatement et donc d'impatience ? Mesure-t-on ce que l'outil technologique est capable de déshumaniser, lui qui détricote les relations humaines et sociales, qui crée de nouvelles inégalités, qui fragmente la population, lui qui aussi abêtit, recroqueville, isole, dresse les uns contre les autres ?

C'est cette France épuisée qui fustige le report de l'âge légal de la retraite, qui crie son désarroi de ne pas être entendue, qui n'admet pas l'urgence de la réforme - le démographe et historien Hervé Le Bras a scientifiquement déconstruit les prévisions d'espérance de vie sur lesquelles le COR a fondé ses prévisions. C'est cette France que le chef de l'Etat, focalisé sur sa promesse de campagne, semble ne pas entendre, pire : ne pas comprendre. Et c'est cette France qui tend les bras au Rassemblement national.

Hors-sol

Hors-sol Emmanuel Macron ? Sans doute. Mais après tout, le problème n'est pas là. L'envergure des chantiers, des arbitrages, des décisions qu'il conduit au quotidien est telle qu'elle n'est pas compatible avec une présence permanente dans la réalité des Français. Un président normal mais hors-sol dans sa politique nationale et internationale aurait-il été préférable ? Certainement pas, à l'aune de la crise pandémique, de la présidence de l'Europe, et de la guerre en Ukraine pour la gestion desquelles les compétences d'Emmanuel Macron sont, dans l'ensemble, saluées. Le problème de fond réside dans les répercussions que provoquent son exercice vertical du pouvoir, sa marginalisation des corps intermédiaires, son déficit de relais politiques dans les territoires. Sans ces relais appelés à informer, à sensibiliser, à appliquer sa politique, mais surtout à repérer, à désamorcer et à « remonter » les conditions et les aspirations véritables de la population, la fracture est inévitable.

Obsession coûteuse

Le problème réside aussi dans son obsession de draguer l'électorat de « droite républicaine ». Une obsession qui coûte cher : évalue-t-on les dégâts au sein de l'opinion publique qui entraîne son refus de traiter le sujet symbolique et explosif des « superprofits » engloutis à la faveur de la crise du Covid-19 ou de la guerre énergétique ? Croit-il les Français insensibles, lorsque BNP Paribas annonce pour son exercice 2022 simultanément 10,2 milliards d'euros de bénéfice net, des rachats d'actions pour 5 milliards d'euros, et la disparition de 921 postes dans son activité crédit à la consommation « coupable » d'un bénéfice (avant impôt) de « seulement » 1,121 milliards d'euros ? Pense-t-il les Français dupes quand TotalEnergies révèle pour son exercice 2022, 20,5 milliards de dollars de bénéfices et un résultat net ajusté de 36 milliards de dollars réalisés à 92% dans les produits pétroliers et le gaz naturel tout en inondant la sphère publique de son ancrage dans la production d'énergies vertes ? Les téléspectateurs du documentaire de Cash Investigation (26 janvier) consacré au giga chantier d'extraction de pétrole en Ouganda ou à la réalité des fonds « verts » et « responsables » commercialisés par la première banque européenne, sourient... jaune. Marine Le Pen, elle, savoure.

Oublié, le travail

La nature du travail, le rapport au travail, l'organisation du travail, le sens espéré du travail se métamorphosent. Les revendications des opposants à la réforme de la retraite illustrent-elles une France intolérante à l'effort ? réfractaire au travail, comme le soupçonne une partie de l'Amérique qui regarde, incrédule et moqueuse, cette colère ? Serions-nous tellement recroquevillés sur nous-mêmes dans cette ère de l'individualisme et du narcissisme que toute gêne, toute entrave serait considérée insupportable ? Nonobstant dans les rangs de LFI et d'EELV quelques inconditionnels d'une désolante provocation - en tête desquels Sandrine Rousseau assimilant le travail à une « valeur de droite » alors qu'il est levier d'émancipation et d'individuation pour tous -, l'essentiel des acteurs du travail s'accorde sur l'absolue nécessité de débattre du... travail. Ce travail que la crise du Covid-19, l'état environnemental, climatique et social de la planète, la conscientisation d'une civilisation en panne de sens et de perspectives, sont en train de requalifier. Or ce que traduit le passage en force d'Emmanuel Macron avec la réforme des retraites est une cruelle négligence : celle du travail qui, en effet, se transforme.

Les et le collectifs atomisés

Bien sûr, tout de son analyse de la société du travail n'est pas à jeter. Mais chaque problème soulève un revers ou une origine qu'il semble ne pas (vouloir) interpréter. Exemple ? Son admonestation des corporatismes. Oui, ils sont un fléau, par la faute duquel la société est compartimentée en silos et cultive l'iniquité. Laquelle est elle-même une cause de la désunion au sein de la communauté. Qu'il s'agisse de conditions de travail et, en l'occurrence, de retraite, comment un chauffeur-routier peut-il entendre les exigences d'un conducteur SNCF ? une infirmière libérale considérer la colère d'un contrôleur du ciel ? l'employée d'une fragile TPE industrielle respecter les réclamations d'un employé de banque ? l'artisan plombier, l'ouvrier au chômage, l'agriculteur  ou le gardien de l'administration pénitentiaire supporter les doléances d'un contrôleur de la RATP ? La dynamique du mouvement populaire militant pour l'abrogation de la réforme des retraites n'aurait pas dû résister à cet éventail extrêmement hétérogène. Et pourtant, ces mêmes profils sont réunis dans la rue et défilent côte à côte. Preuve que l'origine du mal est plus profonde - le refuge corporatiste est une réaction au dépérissement des et du collectifs, il est une parade à la dissolution des collectifs qui, avant que le néolibéralisme et le capitalisme numérique ne les atomisent, transcendaient les communautés et conjuraient le repli -, preuve que la retraite cristallise d'immenses questionnements sur le travail que le chef d'Etat a fait le choix d'ignorer. Là encore Marine Le Pen se frotte les mains, et avec d'autant plus de plaisir qu'à propos du travail  sa formation brille pas son absence.

Qu'est-il prêt à faire ?

Qu'entreprend Emmanuel Macron pour préparer sa succession en 2027 ? Pour préparer et surtout pour armer une succession qui fasse barrage à la candidate du Rassemblement national ? Les plus optimistes parient qu'une fois la réforme des retraites adoptée et débarrassé de la nécessité circonstancielle de complaisance avec LR, il braquera sa politique « gauche et écologie toute ». C'est une piste. Elle n'est pas la seule, et rien ne prouve d'ailleurs qu'elle soit la plus pertinente pour faire rempart. Une autre, plus probable, consolide au contraire sa stratégie actuelle selon laquelle une économie et un marché de l'emploi dynamiques constituent de solides arguments ; pour l'heure, la marche en avant du RN à l'Assemblée nationale l'invalide.

Personne ne peut suspecter le chef de l'Etat de n'être pas lui-même gravement préoccupé par ce spectre, et de vouloir prendre le risque d'être le premier Président de la Ve République à transmettre son pouvoir sur le perron de l'Elysée à un successeur d'extrême droite. Mais est-il prêt à remettre en question ses principes économiques et sociétaux au nom du devoir d'affaiblir le RN ? Cà, personne ne le sait.

Ce qui s'est passé ce dimanche 12 février en Italie ne doit laisser personne insensible. Le parti d'extrême droite Fratelli d'Italia a triomphé lors des élections régionales en Lombardie et dans le Latium. Il est arrivé largement en tête des coalitions de droite qui ont remporté respectivement 56,4% et 51,2% des bulletins. La formation de la présidente du Conseil Giorgia Meloni a tiré profit de deux tendances de fond : une abstention très élevée et des partis de droite républicaine très en retrait. Ca ne rappelle rien ?

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Commentaires 7
à écrit le 16/02/2023 à 13:46
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Le groupe RN réalise un sans faute à l'assemblée depuis qu'ils sont élus. Ils prouvent leur capacité à gouverner.

à écrit le 16/02/2023 à 11:16
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D'ici 2027 nous l'aurons trop vu et son programme est sans mystère, le maître mot est "héritage" a toute les sauces ! Encore un président élu par défaut ?

à écrit le 16/02/2023 à 7:20
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Si les Français étaient vraiment heureux ils ne voteraient pas RN. Le reste ce n'est que de la littérature pour Bobo.

à écrit le 15/02/2023 à 23:30
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D origine algérienne, emploi maîtrise 20 ans d ancienneté , je gagne 2057€ net mensuel en Idf ( pas de primes). Appartenant à La «  petite classe moyenne », étant à 15 ans de la retraite à 62 ans si la réforme des retraites passe, .. je voterai le ...

à écrit le 15/02/2023 à 23:30
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D origine algérienne, emploi maîtrise 20 ans d ancienneté , je gagne 2057€ net mensuel en Idf ( pas de primes). Appartenant à La «  petite classe moyenne », étant à 15 ans de la retraite à 62 ans si la réforme des retraites passe, .. je voterai le ...

à écrit le 15/02/2023 à 12:28
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Ce qu'elle démontre surtout, c'est que la présence du FN sur les bancs de l'A.N. n'a sucune utilité. Si Macron (à qui il reste 4ans+) a un vrai sens politique, une dissolution bien ciblée pourrait "clairsemer" l'extrême droite. L'extrême gauche aussi...

le 15/02/2023 à 17:52
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Une dissolution provoquera la fin de Macron. Vivement que le poudré s'y mette!

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