
Encore inexistante en France il y a trois ans, la pratique du « Say on Climate » s'étend progressivement. En 2021, seuls TotalEnergies, Vinci et Atos avaient sollicité l'avis de leurs actionnaires sur leur stratégie en matière de transition énergétique. En 2022, douze entreprises françaises cotées ont organisé un tel vote, dont Carrefour, EDF, Engie ou Nexity.
D'autres groupes du CAC 40 y songent à mesure que les investisseurs poussent les sujets de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). L'agence de conseil en vote Proxinvest recommande désormais aux actionnaires de sanctionner les dirigeants qui manquent à leurs objectifs climatiques. Certains PDG s'interrogent toutefois sur la pertinence d'un vote annuel au motif qu'il n'est pas nécessairement compatible avec des objectifs de temps long. « Organiser un vote sur la mise en œuvre du « Say on Climate » chaque année n'est pas adapté, car nous manquons aujourd'hui d'un cadre de reporting chiffré assez solide pour que cela ait du sens », déclarait Jean-Pierre Clamadieu mardi à La Tribune, à la veille de l'assemblée générale du groupe où la résolution sur le sujet a certes été rejetée, mais avec un score plus serré que prévu.
Alors, faut-il faire voter chaque année la stratégie climat des entreprises ?
L'organisation d'un vote récurrent sur les objectifs, mais aussi sur la stratégie climatique et sur sa mise en œuvre sont des principes de bonne gouvernance qui doivent s'imposer. Ils sont par ailleurs largement plébiscités par les investisseurs de la place financière de Paris ou par les instances spécialisées sur ces sujets comme la commission Climat et Finance Durable de l'AMF. L'Assemblée générale s'impose naturellement comme le moment clé autour duquel peut s'organiser le dialogue entre la direction des entreprises et leurs actionnaires sur cet enjeu aussi primordial pour la pérennité des business models des entreprises mais aussi pour permettre aux investisseurs de répondre de leurs propres obligations en termes de reporting climatique et à l'égard de leurs propres clients.
La récurrence annuelle du « Say on Climate » est justifiée alors qu'il nous faut réduire de moitié nos émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 et qu'aucune grande entreprise française n'a démontré sa capacité à s'aligner sur une trajectoire d'1,5°C. Les plans climat aujourd'hui soumis au vote des actionnaires sont tellement lacunaires qu'il est pour l'instant indispensable de les revoir annuellement. Et adopter des objectifs est bien, mais les tenir est encore mieux.
Il est donc aussi indispensable d'organiser un vote annuel sur la mise en œuvre des stratégies climatiques des entreprises afin que les actionnaires puissent évaluer les progrès effectués dans leur décarbonation, à l'aune d'un scénario crédible, visant à limiter le réchauffement à 1,5°C sans recourir de manière significative à des technologies à émissions négatives. La récurrence annuelle est également largement justifiée par l'actualité ponctuée de crises et de bouleversements qui, tels que la pandémie ou la guerre en Ukraine, peuvent infliger un changement dans la stratégie climatique des grandes entreprises.
Une stratégie ne se change pas tous les ans, sauf évènement exceptionnel, y compris pour une stratégie climat. Un « Say on Climate » annuel n'a dès lors pas de sens. En revanche, il est important que les entreprises fassent un suivi de l'avancée de leur plan climat : ce qui est en avance, en retard et expliquent les évolutions qu'elles mettent en place pour atteindre les objectifs fixés.
Les entreprises ont nécessairement besoin de temps pour faire évoluer leurs outils industriels, leurs produits et diminuer leur empreinte environnementale. Le plus important étant les investissements qui doivent être dirigés vers la transition de leur modèle d'affaires et la mise en œuvre de nouvelles pratiques vertueuses. Et comme nous avons toujours besoin de pétrole pour faire marcher notre économie, il faut trouver des produits de substitution.
Cela demande de l'innovation, de la chance et surtout du temps... Les ONG ont un rôle à jouer mais il faut aussi s'assurer que les assemblées générales puissent se dérouler « sereinement ». Sinon, le risque pourrait être grand de voir des entreprises organiser à l'avenir des assemblées générales virtuelles avec des questions des actionnaires filtrées.
Il faut déjà mesurer le chemin parcouru : avant 2016, les sujets climatiques étaient peu ou pas abordés par les assemblées générales ou les conseils. Ils figurent aujourd'hui au cœur de la gouvernance car ils ont tout simplement des conséquences vitales pour l'entreprise elle-même.
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