Le QE de la BCE n'a pas conduit au laxisme budgétaire, et c'est un problème

Contrairement aux craintes de certains économistes allemands, la baisse des taux provoquée par la politique de la BCE n'a pas conduit à des dérapages budgétaires. Le pacte de stabilité renforcé fonctionne, mais c'est peut-être cela le problème de la zone euro...
La BCE n'a pas conduit les Etats à dépenser plus.

C'était une des peurs principales en Allemagne lorsque Mario Draghi a annoncé le lancement de sa politique d'assouplissement quantitatif (QE) de la Banque centrale européenne (BCE) : la baisse des taux souverains induits par cette politique allait encourager les pays à « baisser la garde » de la « bonne gestion » des dépenses publiques et encourager les déficits et allait les décourager de réaliser les « réformes structurelles ». Le fameux « aléa moral », obsession de l'ordolibéralisme allemand, est, du reste, toujours à l'ordre du jour dans un pays où la cote de popularité de Mario Draghi reste au plus bas.

Récemment, l'ancien économiste en chef de la BCE Otmar Issing, un représentant de la Bundesbank « historique » devenu eurosceptique a déclaré que « l'aléa moral était général » et que « la discipline de marché a disparu avec les interventions de la BCE, il n'y a plus de mécanisme de contrôle des marchés ou de la politique. » L'idée est simple : les taux étant maintenus artificiellement bas par la BCE, les Etats n'ont aucun intérêt à mener une « politique de stabilité » fondée sur la baisse des déficits. Les marchés en sont plus présents pour mettre en garde les Etats qui, partant, agissent sans contrainte et donc mal. Mais face à cette belle logique théorique, que disent les chiffres dix-huit mois après le lancement du QE ?

Réduction du ratio de la dette

Les derniers chiffres d'Eurostat publiés lundi 24 octobre permettent de faire un premier bilan. La dette publique des pays de la zone euro au deuxième trimestre 2016 est passée de 92,1 % du PIB un an plus tôt à 91,2 % du PIB. Malgré cette incitation théorique à la dérive, la dette publique a baissé relativement à la richesse créée dans les mêmes proportions que lors des douze mois précédents puisque le ratio était de 93,1 % du PIB au deuxième trimestre 2014.

Certes, en valeur nominale, la dette cumulée des pays de la zone euro a progressé de 2,47 % en un an à la fin du deuxième trimestre, soit 204 milliards d'euros. C'est une accélération plus rapide par rapport à la progression annuelle entre le deuxième trimestre de 2015 et celui de 2016 qui était de 1,51 %. La croissance de la zone euro l'an passé (2 %) a été particulièrement dopée par la croissance irlandaise (+26,3 %), ce qui pourrait cacher l'essentiel de l'évolution. Mais, pourtant, cette hausse nominale de la dette ne peut être considérée comme le fruit d'un relâchement de la discipline budgétaire en zone euro. Entre 2014 et 2015, les déficits n'ont contribué à faire augmenter la dette que de 1,1 % du PIB. Entre 2013 et 2014, l'effet des déficits était de 2,6 % du PIB et en 2012 de 5 % du PIB.

Des déficits en fort recul

Du reste, les déficits ont continué à reculer en 2015, passant de 2,6 % à 2,1 %, ce qui représente un recul spectaculaire puisqu'il faut remonter à 2007 pour retrouver un chiffre inférieur et que le déficit public était de 6,3 % du PIB en zone euro en 2009. La baisse du ratio de déficit public est de 19,3 %, soit davantage qu'en 2014 (-13 %) et en 2013 (-16 %). Certes, cette baisse s'explique en partie par la baisse du coût de la dette induit par le QE. En 2015, les intérêts payés par l'ensemble des gouvernements de la zone euro représentaient 2,4 % du PIB contre 2,7 % en 2014. Mais on constate que la baisse des déficits est supérieure à la baisse des intérêts versés. Preuve que, non seulement la baisse des taux n'a pas incité les gouvernements à se montrer dépensiers, mais qu'elle s'est accompagnée d'une baisse des dépenses.

La dépense publique en baisse

Et de fait, un coup d'œil sur l'évolution de la dépense publique en zone euro le confirme. La baisse de ces dernières en zone euro a, en effet, accéléré en 2015, passant de 49,4 % à 48,5 % du PIB, un niveau record depuis 2008. La baisse est nette depuis le point haut de 2009 où les dépenses publiques avaient atteint 50,7 % en 2009. Jamais la baisse n'a été aussi forte depuis 2000 et, comme on l'a vu, la baisse du coût de la dette ne saurait expliquer le phénomène, pas davantage que la seule croissance puisque dans les années 2000-2007, la croissance était beaucoup plus forte et que la dépense publique ne baissait pas autant. En fait, les Etats, malgré le QE, sont très économes : les dépenses de consommation finales ont reculé de 0,3 point en 2015 à 20,7 % du PIB contre 21 % en 2014, là encore, du jamais vu depuis 2008. Les dépenses d'investissement, elles, sont stables à 2,7 % du PIB, niveau qui n'a été plus faible qu'une seule fois en vingt ans en zone euro.

Le pacte de stabilité fonctionne

Autrement dit, l'argument d'un relâchement des Etats est absolument infondé. Les Etats n'ont pas réellement relâché leurs efforts de consolidation budgétaire. Pour plusieurs raisons : les pays qui sont en excédent budgétaire ou proche de l'excédent, comme l'Allemagne et les Pays-Bas, refusent de réaliser une politique franchement expansionniste et de profiter de leurs marges de manœuvre. Quant aux pays franchement en déficits, ils sont sous la surveillance de la Commission qui dispose d'une surveillance renforcée par les règles adoptées en 2011-2013. Si Bruxelles n'a pas sanctionné les dépassements passés du Portugal et de l'Espagne, elle a contraint les deux pays à un chemin de consolidation sévère. L'Italie, pourtant sous les 3 % fixés par le traité de Maastricht se bat actuellement avec la Commission pour lui faire accepter un creusement de son déficit qui lui permettrait de rester sous les 3 % du PIB, mais qui serait contraire aux directives.

Craintes infondées des Ordolibéraux allemands

Il semble donc que la logique enclenchée en 2010 et accélérée avec les directives Two-Pack et Six-Pack, en 2011 et 2013, portent leurs fruits : le pacte de stabilité a bien été « renforcé » et, contrairement à ce que prétend Otmar Issing, il fonctionne plutôt bien comme « rempart » contre « l'aléa moral » que pourrait causer le QE. Mieux même : la pression des marchés n'a pas disparu, y compris lorsque le QE est en place. C'est ce qu'on a pu constater dans le cas du Portugal. Alors même que le pays continue à abaisser son déficit public, il a subi une forte hausse de ses taux qui a contraint le gouvernement d'Antonio Costa à présenter un budget assez restrictif. Les Ordolibéraux allemands voient donc leur argument favori contre le QE perdre toute consistance. La question demeure cependant de savoir s'il faut s'en réjouir.

Vers un effet budgétaire durablement négatif ?

L'effet budgétaire sur la croissance de la zone euro n'est certes plus franchement négatif, mais il est, au mieux, neutre. Or, c'est un des éléments qui explique la faiblesse persistante de la croissance de la zone euro est l'inefficacité relative des politiques de la BCE. La BCE est parvenue à faire baisser les taux, mais elle peine encore à transformer cette baisse des taux en investissements. Les raisons en sont nombreuses, mais l'une d'entre elles est que le nouveau cadre budgétaire européen très strict ne laisse guère augurer d'un futur soutien public à l'activité.

Le niveau de la dette reste en effet très élevé, fruit des politiques d'austérité des années 2010-2014 qui ont plongé la zone euro dans une récession longue et qui ont empêché toute réduction rapide du ratio.  Les futures trajectoires budgétaires devront prendre en compte la nécessité de réduire la dette. Ceci conduira à obliger de nombreux pays à dégager des excédents primaires permanents. Or, une telle politique est très néfaste pour l'activité : elle signifie qu'il y aura un désinvestissement permanent de l'Etat, y compris comme en Allemagne sur des fonctions cruciales comme les investissements, mais aussi une « ponction » permanente sur l'économie au profit de la dette. Dans les deux cas, l'activité en souffrira et justifie la prudence des investisseurs sur l'avenir.

Conduire une politique européenne d'investissement

Dans un tel contexte, la solution pour changer la donne serait une initiative d'investissement public ambitieuse qui, à la différence de l'actuel plan Juncker, ne se contenterait pas de financer les investissements que pourraient financer le secteur privé. Certes, le niveau de dette publique rend une telle relance délicate au niveau national. Mais un redéploiement du QE vers un plan paneuropéen ambitieux serait une voie possible qui n'alourdirait pas la dette et bénéficierait à l'inflation. Cette hausse des prix viendrait compenser la hausse des taux qui serait à nouveau possible et réduirait le poids réel de la dette. Historiquement, l'inflation est en effet le seul moyen en dehors du défaut de réduire la dette. Cette politique est aujourd'hui exclue par la BCE, la BEI et les dirigeants européens.

Absence de « policy mix »

La zone euro va donc continuer à vivre dans un état de schizophrénie permanent, cherchant d'un côté à dynamiser l'inflation sous-jacente tout en menant une politique budgétaire frileuse ; tentant de réduire la dette par une politique par nature non-inflationniste ; prétendant dynamiser l'investissement à long terme en créant des conditions qui le découragent. L'absence de « dérapage budgétaire » avec le QE, alors même qu'il n'existe aucune politique européenne d'investissements peut apparaître comme une bonne nouvelle, mais elle est la preuve des limites de la politique économique de la zone euro. Contrairement à ce que croient les dirigeants européens, la seule consolidation budgétaire ne créé pas d'activité. Et lorsqu'elle est accompagnée d'une politique monétaire agressive, elle créé les conditions d'un futur choc financier en obligeant les banques centrales à approfondir cette politique par des mesures dangereuses comme les taux négatifs ou les interventions sur les marchés de titres privés. Bref, le QE n'a pas conduit au laxisme budgétaire et c'est peut-être un problème...

Commentaires 15
à écrit le 27/10/2016 à 16:42
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Vu le grand n'importe quoi sur les chiffres (évolution du pourcentage confondue avec évolution de la quantité), ce n'est plus du journalisme, c'est du pamphlet ! Vraiment bizarre de voir ce genre de choses dans un journal a priori sérieux comme La T...

à écrit le 27/10/2016 à 16:33
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Ca serait bien d'arrêter d'avoir une écriture approximative - qui peut parfois faire soupçonner une pensée approximative. La phrase "La baisse des dépenses publiques en zone euro a accéléré en 2015, passant de 49,4 % à 48,5 % du PIB" n'a aucun sen...

à écrit le 27/10/2016 à 14:48
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Seules quatre nations sont dignes de faire partie de la Zone Euro : L'Allemagne, Les Pays Bas, L'Autriche et la Finlande. Toutes les autres doivent être virées !

à écrit le 27/10/2016 à 11:38
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/// DECROISANCE/// TOUS DOIT ALLEZ VERS UN DECROISANCE MAITRISE? PAS D INFLATIONS ET PAS D ENPRUNT AUGNENTENT LA DETTE? EN ECONOMIE QUI RENBOURSE CES DETTES S ENRICHIE? N ATTENDEZ PAS DES SOLUTIONS DES HOMMES POLITIQUE CE SONTEUX QUI EN SONT LA CAUS...

à écrit le 27/10/2016 à 10:36
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Des peuples toujours plus oppressés financièrement, des oligarchies toujours plus avantagées, c'est ça la politique générale européenne, et ils s'étonnent qu'on la déteste.

le 27/10/2016 à 17:06
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Oui, mais non : c'est ça la politique générale européenne, non : c'est mondial!

à écrit le 27/10/2016 à 9:43
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pas de laxisme? ok , dites nous quelles reformes ont ete faites en france (oui bon, hormis ' le mariage pour tous', hein...) zero 4% de deficit voire plus quand on a des taux a zero, ca pourrait faire sourire, mais c'est en fait tres inquietant

à écrit le 27/10/2016 à 8:45
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Cette situation et à la fois le fruit des conséquences de la crise et de la non harmonisation entre pays qui aurait du être préalable. Du coup on fait l'harmonisation dans le dur. Ca choque en France où on n'est pas habitué à suivre une politique sur...

à écrit le 26/10/2016 à 23:49
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On ne peut diaboliser l'austérité à la Schäuble pour ensuite se vanter que la moyenne statistique se trouve à la bonne place, car elle ne s'y trouverait pas sans cette austérité de certains. En plus, la décision de s'endetter n'est pas prise par une ...

à écrit le 26/10/2016 à 21:08
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Bonsoir Monsieur Godin. Vous retombez dans votre travers habituel : si nous socialisons plus de pertes en endettant les états, les profits seront encore "mieux" privatisés. Peut-être voulez-vous une concentration de richesse encore pire, .. non..??

à écrit le 26/10/2016 à 20:52
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L'exemple français est là pour valider les analyses "ordolibérales" : une dépense publique (57% du PIB) bien au delà de la moyenne européenne, de même que la dette publique (100% du PIB, qui n'est tenable que grâce à des taux quasi nuls), une réducti...

le 26/10/2016 à 22:12
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A partir du moment OU la dépense publique est principalement axée sur l'éducation et la santé, le ROI est TOUJOURS largement favorable. Sinon, allez vivre aux us : eux n'ont toujours pas compris... La preuve : les cowboys sont contre tout état SAUF p...

le 27/10/2016 à 0:14
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Yvan, arrêtez vos approximations : l'éducation en France est la pire jamais vue !!! et la santé n'a jamais été à un aussi bas niveau !!! nos ingenieurs n'ont jamais été aussi nuls et incapables !!!

le 27/10/2016 à 5:25
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La question qui se pose est "dépensons nous bien pur l'éducation ?" . a voir l'évolution de PISA, c'est peu évident, beaucoup de pays dépensant moins obtenant de bien meilleurs résultats. Et surtout la France recule régulièrement dans ce classement.

à écrit le 26/10/2016 à 18:19
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Si vous aussi vous vous mettez à dire que les taux négatifs ne sont pas un problème, les bras m'en tombent , mais attendons quelques mois et on en reparle.. A par lenglet qui disait qu'il n'y avait pas de Q.E. je ne vois pas ou vous voulez en venir...

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