
Inflation au plus haut, risque de récession, crainte pour le secteur bancaire... Depuis plus d'un an, les menaces s'accumulent sur l'économie mondiale et européenne. Cette dernière n'en est pourtant pas à sa première crise, gardant le souvenir de celle des « subprimes » partie des Etats-Unis et celle de la dette souveraine au sein de la zone euro. Avec, à chaque fois, une action décisive de la Banque centrale européenne (BCE) pour tenter de rétablir la stabilité économique du Vieux Continent.
Cette fois encore, l'institution monétaire est aux commandes pour tenter d'endiguer une inflation qui se situe toujours à un niveau élevé sans pénaliser davantage une croissance économique affaiblie. Alors qu'elle fêtait ses vingt-cinq ans mercredi, elle est donc, plus que jamais, l'objet de toutes les attentions. De 2008 à 2011 en passant par 2022, retour sur trois crises qui ont marqué l'histoire de la BCE.
La crise de 2008
Surnommée, crise des « subprimes », la crise de 2008 tire son nom des crédits à taux moins préférentiels proposés aux ménages américains peu aisés. À cette époque, la Réserve fédérale américaine (Fed) mène depuis 2001 une politique de taux d'intérêt bas. Or, ces crédits à taux variables sont indexés sur le taux de la Fed qui entame un relèvement progressif, passant son taux de 1% à plus de 5% en 2006, du fait de la hausse de l'inflation. Ce resserrement monétaire fait peser une charge beaucoup plus importante pour les ménages ayant contracté ces prêts. Dans le même temps, les prix de l'immobilier chutent. De nombreux emprunteurs se retrouvent donc en défaillance et la valeur de leur bien chute sous le montant du prêt, pénalisant ainsi les établissements créanciers. Cette réaction en chaîne entraîne, notamment, la faillite de la banque d'investissement Lehman Brothers.
La crise financière ne tarde pas à toucher l'Europe. Résultat, cette dernière est contrainte d'agir pour permettre à ses Etats membres de sauver leurs établissements en difficulté. D'autant que, peu de temps avant, la BCE a pris la décision de remonter son taux directeur, soit le taux d'intérêt payé par les banques à la BCE pour se refinancer. Objectif affiché, répondre à une inflation à 4%. Face à l'ampleur du phénomène mondial, l'institution monétaire fait finalement marche arrière. Elle rabaisse ses taux jusqu'à zéro, mais surtout, elle intervient pour réinjecter des liquidités auprès des banques affectées par la crise des « subprimes ». En septembre 2008, elle débloque ainsi 125 milliards d'euros en l'espace d'une seule semaine.
En parallèle, les Etats, qui ont, pour beaucoup, mis sur pied des plans de relance coûteux pour soutenir les secteurs économiques en difficulté, notamment le secteur bancaire, creusent leurs déficits publics. La dette s'installe sur le long terme et s'alourdit jusqu'à remettre en cause son caractère soutenable pour certains Etats membres menant ainsi à la crise de la dette souveraine.
La crise de la dette souveraine
En 2009, l'Irlande et l'Espagne se retrouvent particulièrement en difficulté. La croissance espagnole chute à 0,9%, tandis que son déficit public grimpe à 4,1% du PIB. De même, la Grèce fait état, en novembre de la même année, d'un déficit public de 12,7% du PIB. À l'échelle de la zone euro, le déficit passe de 0,7% du PIB en 2007 à 6,38%.
Résultat, l'écart entre les taux d'emprunt à 10 ans des Etats membres se creuse, signe d'une perte de confiance de la part des investisseurs dans la capacité de certains pays à rembourser leur dette. Sans compter que certains voient leur note dégradée par les agences de notation. En décembre 2009, Fitch Ratings, suivie par Moody's et Standard and Poor's, abaisse d'un cran la note de crédit à long terme de la Grèce augmentant de fait les taux d'intérêt. Au printemps 2010, le gouvernement grec n'a d'autre choix que de faire appel à l'aide internationale.
De son côté, la BCE a annoncé, pour la première fois en 2010, l'achat de titres de dette des Etats en difficulté. En septembre 2012, ces rachats deviennent illimités grâce à un programmé lancé par l'institution financière, sorte de financement indirect des Etats. Deux mois plus tôt, elle a, en outre, abaissé son taux directeur à 0,75%. Elle prend également en charge la supervision unique des banques de la zone euro, et non plus nationale, décidée par les ministres des Finances de la zone euro en septembre 2012.
Le 26 juillet de cette année, le président de l'institution Mario Draghi assure d'ailleurs : la BCE fera « tout ce qui était nécessaire » pour sauver l'euro.
« A ce moment, la BCE vient pallier les carences des autres éléments institutionnels de la zone euro au sein de laquelle il n'y a pas de politique budgétaire commune ou de solidarité, à l'instar du vaste plan d'endettement européen mis sur pied pendant la crise sanitaire. Ces outils n'existent donc pas pour amortir les chocs économiques qui frappent notamment la Grèce, faisant peser une menace sur la stabilité de l'euro, ce qui explique que la BCE prenne un rôle essentiel et politique dans cette crise », analyse Christophe Blot, économiste à l'OFCE.
Mais l'argent mobilisé tant par l'Europe que par la BCE elle-même ne va pas sans contrepartie. En échange de son soutien monétaire, les instances européennes et l'institution demandent, en effet, que les pays qui en bénéficient « s'engagent à mener un programme de stabilité de la dette », rappelle l'économiste. La Grèce instaure ainsi un premier plan d'austérité, puis un deuxième quelques mois plus tard malgré les manifestations qui éclatent dans le pays.
À force de plans d'austérité, la crise s'apaise. Au prix toutefois d'une nouvelle récession à l'échelle européenne à partir de 2011. D'autant que la situation perdure, pointe encore Christophe Blot, rappelant les soubresauts enregistrés au sein de l'économie grecque en 2015 et italienne en 2018.
La crise de l'inflation
En 2022, c'est une crise d'une nature bien différente, à première vue, qui frappe non seulement l'Europe, mais le monde entier : celle de l'inflation. Au sein de la zone euro, l'évolution des prix connaît une accélération continue atteignant même 10,6% en octobre de la même année. Une situation qui s'explique d'une part par la reprise de l'activité consécutive à la crise sanitaire. Cette période est marquée par un fort report de la demande à laquelle l'offre peine à répondre, provoquant des difficultés d'acheminement. En conséquence, les prix montent.
D'autre part, en février 2022 éclate la guerre en Ukraine, envahie par la Russie. Le conflit fait grimper les prix des matières premières dont le pétrole, les céréales, mais aussi et surtout, ceux de l'énergie, le gaz et l'électricité en tête, dont la hausse avait déjà débuté au sortir de la crise sanitaire. Le taux d'inflation annuel de l'énergie atteint 41,9% au sein de la zone euro en octobre 2022, avant de baisser à 13,7% en février 2023.
Or, la principale mission de la BCE est de maintenir l'inflation à 2%. Pour tenter de la ralentir, l'institution entreprend donc un resserrement de sa politique monétaire à partir de juillet 2022. Fin avril, elle avait ainsi relevé ses taux de 350 points de base. Elle a, de nouveau, procédé à une sixième hausse le 4 mai dernier et estimé que l'heure n'est pas encore venue de mettre un terme à son cycle de resserrement monétaire.
Une solution qui n'est pas sans conséquence. En augmentant ses taux, la BCE entend ainsi freiner la demande, et donc la consommation, pesant de facto sur la croissance au sein de la zone euro. Les prévisions de croissance pour 2023 restent faibles. Le Produit intérieur brut (PIB) devrait, en effet, connaître une croissance de seulement 1,1% en 2023, un chiffre pourtant révisé à la hausse par Bruxelles.
« Le choc que connaît l'économie mondiale étant majoritairement lié à la crise énergétique, on peut donc se demander si relever les taux peut résoudre le problème. Néanmoins, la BCE a un rôle clairement défini avec un objectif fixé à 2% d'inflation. Elle a pour outil la hausse des taux, il est donc assez légitime, du point de vue institutionnel, qu'elle le fasse », commente Christophe Blot qui pointe les enseignements tirés des deux précédentes crises, notamment celle de la dette souveraine quinze ans plus tôt.
À l'instar de 2008, le relèvement des taux d'intérêt pèse sur les finances publiques des Etats, plus particulièrement sur leur capacité à se financer sur les marchés financiers. Principale illustration, mi-juin, l'annonce par la BCE d'un premier relèvement à venir de ses taux directeurs, a fait bondir le taux d'emprunt italien à 10 ans au-dessus des 4%, une première depuis 2014. S'il est ensuite redescendu sous ce seuil, il n'en demeure pas moins que cette envolée soudaine constitue une mauvaise nouvelle pour l'Italie, dont la dette souveraine atteint 151% du PIB, et fait ressurgir le spectre de la crise financière de 2011. De quoi pousser la BCE à réagir.
À la suite d'une réunion exceptionnelle, l'institution a, en effet, annoncé s'être engagée « à agir contre la résurgence des risques de fragmentation », c'est-à-dire l'écart entre le taux allemand à 10 ans, pris comme référence, et celui italien grâce un outil de rachat d'actif ponctuel assorti de conditions.
« Il n'a pour l'instant pas été activé, mais cela illustre le fait qu'elle a tiré les leçons de la crise de la dette souveraine », commente l'économiste de l'OFCE qui pointe également le risque que fait peser un resserrement de la politique monétaire sur le secteur bancaire.
Le relèvement des taux opéré par la Réserve fédérale américaine a, en effet, entraîné la faillite de plusieurs banques régionales dont la Silicon Valley Bank (SVB). « Bien qu'il n'y ait pas d'inquiétudes concernant les banques européennes, on voit ressurgir ce risque financier qui s'est invité assez vite dans le débat illustrant toute l'attention que lui accorde la BCE », conclut-il.
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