Les nuages s'amoncellent au-dessus de la Manche. Alors que l'échéance approche à grand pas, les négociations se sont à nouveau envenimées la semaine dernière entre les négociateurs lors d'un sommet européen à Bruxelles. Les 27 pays de l'UE ont exigé des concessions de Londres pour arriver à un accord de libre-échange à temps pour l'appliquer l'année prochaine, quand les règles européennes cesseront de s'appliquer au Royaume-Uni. De son côté, le Premier ministre Boris Johnson a alors déclaré les pourparlers "terminés" et demandé aux Britanniques de se préparer à un "no deal", une perspective potentiellement dévastatrice pour des économies déjà ébranlées par la pandémie de Covid-19. Dans ce contexte dégradé, les économistes d'Euler Hermes dans une récente étude évaluent qu'un Brexit sans accord pourrait faire baisser les exportations européennes de 33 milliards d'euros environ dès la première année de sortie du Royaume des traités commerciaux européens. "Même si le Royaume-Uni a baissé ses tarifs à l'organisation mondiale du commerce (OMC), la hausse des barrières non-tarifaires et la dépréciation de la livre pourraient avoir de fortes répercussions sur les échanges entre le Royaume-Uni et les pays de l'Union européenne" a expliqué la directrice de la recherche macroéconomique chez Euler Hermes, Ana Boata, interrogée par La Tribune.
L'Allemagne, les Pays-Bas et la France en première ligne
Parmi les pays les plus touchés par un "hard Brexit", arrive en premier lieu l'Allemagne avec des pertes estimées à 8,2 milliards d'euros sur une année et 4,215 milliards dans le cadre d'un "soft Brexit". Sans surprise, l'industrie allemande qui est un poids lourd dans les échanges avec le Royaume-Uni, devrait subir de lourdes pertes, notamment dans le matériel de transport, les machines et équipements électriques ou encore les produits chimiques. En outre, l'appareil productif germanique est fortement intégré aux échanges mondiaux et reste très exposé aux soubresauts du commerce mondial. La mise en oeuvre de nouvelles barrières tarifaires et non-tarifaires pourrait venir déstabiliser le circuit des échanges.
Les Pays-Bas arrivent en seconde position sur le podium des pays les plus exposés. Avec un divorce sans accord, les entreprises exportatrices pourraient perdre environ 4,82 milliards d'euros et 2,57 milliards avec un accord. Les ventes de machines et équipements électriques, de produits chimiques et de produits minéraux seraient particulièrement affectés.
La France arrive en troisième position des pays les plus touchés en cas de Brexit dur. Les pertes pour les entreprises exportatrices sont évaluées à 3,6 milliards d'euros et 1,9 milliard d'euros dans le cadre d'un Brexit souple. "L'Allemagne a déjà beaucoup perdu depuis le référendum en 2016. La France s'en sort mieux grâce au stock de contingences. Elle limite la casse grâce à l'agroalimentaire par exemple" explique Ana Boata.
Le scénario noir d'un Brexit sans accord pour le Royaume-Uni
Du côté du Royaume-Uni, les perspectives économiques s'annoncent bien sombres. Selon les calculs des économistes d'Euler Hermes, la récession économique pourrait se prolonger en cas de "hard brexit" avec un PIB à -10,9% en 2020 et -4,8% en 2021. Les exportations pourraient connaître une chute spectaculaire (-13,8%) l'année prochaine si ce scénario se confirme. "Avec une sortie dure, la crise risque de mettre encore plus de temps à se résorber. Une sortie dure en plus du Covid-19 pourrait plonger l'économie du Royaume-Uni en récession" ajoute Ana Boata. La recrudescence de l'épidémie et le renforcement des mesures de restriction pèsent sur les chances d'un rebond rapide de l'activité. "On s'attend à une croissance négative au 4eme trimestre avec les mesures de restriction mises en oeuvre au Royaume-Uni" ajoute-t-elle.
L'incertitude des barrières non tarifaires
Après plusieurs décennies de libre-échange, les pays de l'Union européenne s'interrogent sur l'impact des barrières non tarifaires sur les échanges de biens et services. "La principale incertitude repose sur les barrières non tarifaires. Cette incertitude a un impact [...] La mise en place de barrières non-tarifaires, avec la hausse des procédures administratives et des télédéclarations, peut avoir des conséquences sur le coût des intrants. Le temps de transport de marchandises s'allonge et cela peut avoir des répercussions sur les chaînes de valeur. Tout va dépendre de la technologie mise en oeuvre au passage des frontières et de la nature de l'accord conclu" déclare l'économiste. Même si le gouvernement français tente de rassurer les transporteurs et les entreprises qui réalisent des échanges avec nos voisins outre-Manche, les difficultés rencontrées en début d'année 2020 pourraient à nouveau s'amplifier si le divorce ne se règle pas à l'amiable. En outre, "cette sortie arrive dans un contexte sanitaire très dégradé. Il y a des compromis des deux côtés. Les discours alarmistes au Royaume-Uni, dans la distribution par exemple, incitent à des compromis" conclue-t-elle. Pour le gouvernement britannique, la sortie de crise s'annonce périlleuse.