Catalogne : le processus de sécession freiné par l'absence de gouvernement

Le président de la Catalogne, Artur Mas, n'a pas été réélu par le parlement, faute de soutien de la gauche radicale sécessionniste de la CUP. Cette désunion bloque le processus indépendantiste pour le moment.
Artur Mas n'a pas obtenu sa reconduction par le parlement catalan.

Le président de la Generalitat, Artur Mas, n'a pas réussi son pari. Après près de neuf heures de débat parlementaire, où il s'est défendu des accusations de corruption et où il a tenté de se présenter comme la garantie de la poursuite du processus indépendantiste, le chef de l'exécutif catalan n'a pas obtenu les 68 sièges de la majorité absolue des sièges pour être réélu. Seuls les 62 députés de la liste indépendantistes Junts Pel Sí dont il était le candidat ont voté pour lui. L'autre parti favorable à la sécession avec l'Espagne, la gauche radicale de la CUP, qui dispose de 10 sièges, a refusé de voter en faveur la candidature d'Artur Mas qui, pour elle, représente un politicien responsable de l'austérité et corrompu. « Artur Mas n'a pas expliqué hier ce que demande le pays : soulever les tapis qui couvre la corruption », a justifié le leader la CUP, Antonio Baños qui a poursuivi : « je vote non parce qu'un homme doit se sacrifier pour le peuple. » La Catalogne n'a donc pas de gouvernement.

Processus indépendantiste déjà au point mort

Au lendemain du vote par Junts Pel Sí et la CUP de la déclaration qui enjoignait le futur gouvernement catalan d'engager un processus de « déconnexion » avec l'Espagne, le parlement catalan a donc été incapable de désigner un chef de gouvernement. Dès lors, bien davantage que toute action du gouvernement espagnol, c'est bien cette incapacité des indépendantistes à se mettre d'accord qui rend la déclaration du 9 novembre inopérante. Ce mardi 10 novembre, le processus de séparation avec l'Espagne est bel et bien au point mort. Le gouvernement d'Artur Mas n'est qu'un gouvernement intérimaire, il doit gérer les affaires courantes. Comment pourrait-il engager, sans l'appui du parlement, la feuille de route tracée par la déclaration votée lundi ?

Les compromis de Junts Pel Sí

A qui la faute de ce blocage ? Difficile à dire. Junts Pel Sí a toujours été clair sur la candidature d'Artur Mas et défend celle-ci au nom d'un certain poids international du personnage. Le groupe a fait beaucoup de concessions à la CUP en donnant une couleur très « sociale » à la déclaration commune votée le 9 novembre en donnant la priorité à la sécurité énergétique et au logement pour les familles les plus fragiles. Histoire de s'assurer qu'un nouveau gouvernement Mas ne sera pas un gouvernement « de droite. »

Les arguments d'Artur Mas...

Mais cet attachement au président sortant de Junts Pel Sí manque aussi de prendre en compte une nouvelle réalité politique de la Catalogne : l'indépendantisme a pris un tournant nettement à gauche le 27 septembre avec la poussée de la CUP. Conséquence : dans le spectre politique indépendantiste, Artur Mas est assez marginalisé par son positionnement centriste. Ceci est d'autant plus problématique qu'une candidature moins « marquée » aurait permis de ramener dans le camp sécessionniste une partie de la liste de gauche Catalunya Sí Que Es Pot (CSQEP) qui rassemble les Communistes, les Verts et Podemos.

... et leurs faiblesses

Lors du débat de ce mardi, le leader de CSQEP au parlement, Lluis Rabell, pourtant un de ceux qui avait défendu le « oui » à l'indépendance lors de la consultation du 9 novembre, a eu beau jeu d'insister sur le positionnement à droite d'Artur Mas, sur son opinion favorable au traité de libre-échange transatlantique ou sur ses coupes budgétaires, pour justifier le refus de voter pour lui. Pourtant, CSQEP est une liste fragile où le vote unanime des députés contre la déclaration de lundi n'y a été obtenu qu'en faisant pression sur un député et ne fait pas l'unanimité. Bref, disposer d'un autre candidat pouvait ouvrir des possibilités nouvelles au camp indépendantiste en élargissant sa base et en désamorçant l'argument de la majorité relative des voix.

Les arguments de la CUP...

Du côté de la CUP, l'intransigeance envers la candidature d'Artur Mas se justifie par sa volonté de créer, avec un Etat nouveau, une société nouvelle, plus sociale et moins corrompue. Comment la construire avec un président entouré par les affaires de corruption et, qui, partant, donne, comme ce mardi, des arguments rêvés, aux unionistes et particulièrement au Parti des Citoyens (« Ciudananos ») qui entend « régénérer » l'Espagne et accuse Artur Mas de chercher à échapper à la justice par l'indépendance ? La CUP avait, du reste proposé de voter pour un candidat de compromis, même issu de la CDC. Et Antonio Baños n'a pas fermé la porte mardi en insistant sur l'existence d'une « majorité indépendantiste » et il a refusé toute confrontation avec Junts Pel Sí.

... et leurs faiblesses

Mais il est certain que la CUP, en refusant de donner son vote au leader du parti le plus puissant du parlement, bloque un processus qu'elle a défendu pendant la campagne avec ferveur, celui de l'indépendance, pour des raisons personnelles. Elle pourrait poser des exigences programmatique (elle l'a fait) pour accepter de voter Artur Mas, mais ce refus ressemble davantage à une obsession qu'à un prise en compte de la réalité. Le processus vers l'indépendance doit durer 18 mois. Pendant ces 18 mois, Artur Mas sera dépendant du vote de la CUP. Et cette dernière est si peu sensible à la « couleur » politique du président de la Generalitat, qu'elle a accepté de voter pour une autre personnalité de la CDC, le parti centriste d'Artur Mas. Si la CUP est prêt à voter pour un candidat d'un parti tâché par les accusations de corruption, pourquoi centrer la critique sur Artur Mas ?

D'autant que ce dernier s'est beaucoup « social-démocratisé » avec son alliance avec la gauche républicaine d'ERC. La vieille CDC n'est plus que l'ombre d'elle-même. Mardi au parlement, Artur Mas a beaucoup critiqué les coupes budgétaires de Mariano Rajoy et il s'est présenté comme le défenseur des investissements dans les infrastructures et de la santé publique.

Le calcul risqué d'Artur Mas

Désormais, les deux partis disposent de deux mois pour se mettre d'accord. Si le 10 janvier prochain, aucun président de la Generalitat n'est élu, le parlement catalan sera dissout automatiquement et les Catalans seront rappelés aux urnes en mars. Et beaucoup à Junts Pel Sí commence à considérer que ce scénario est inévitable. Artur Mas pourrait alors tabler sur un affaiblissement de la CUP, jugée responsable de l'enlisement, pour assurer à Junts Pel Sí la majorité absolue qui lui a manqué le 27 septembre. C'est un calcul fort risqué, car cette incapacité à s'entendre risque d'affaiblir l'ensemble du camp indépendantiste en montrant que les partis sécessionnistes sont incapables de s'entendre sur des questions simples. Ce serait aussi prendre le risque de voir la puissance montante du parti des Citoyens se renforcer et bloquer la majorité à Junts Pel Sí.

Mariano Rajoy, en position de force

Celui qui, sans doute, se réjouit le plus de ce blocage est le président du gouvernement espagnol Mariano Rajoy. Ce dernier peut montrer aux Espagnols son engagement pour l'unité du pays, en lançant la plainte contre la déclaration catalane au Tribunal Constitutionnel (TC). Ce mardi 10 novembre, le Conseil d'Etat espagnol a approuvé cette plainte, qui devrait être déposée mercredi, en estimant que le texte votée par le parlement de Barcelone contrevenait à trois articles de la Constitution espagnole. Le TC devrait censurer cette déclaration, mais Madrid n'a rien d'autres à faire puisque, faute de gouvernement, cette déclaration reste lettre morte. Là aussi, Mariano Rajoy peut attendre mars et faire campagne alors sur le « chaos » indépendantiste pour empêcher toute majorité sécessionniste et annuler par les urnes le vote du 9 novembre.

La proposition de la CUP

Les indépendantistes en sont conscients. Antonio Baños, de la CUP, a proposé une réunion des 72 députés indépendantistes dans une assemblée qui voterait à bulletin secret sur un candidat commun. Artur Mas a accepté. Reste à savoir si la CUP se soumettra à ce vote sans rechigner. Si c'est le cas, le processus indépendantiste pourrait rapidement reprendre du rythme...

Commentaires 8
à écrit le 14/11/2015 à 21:15
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Catalunya si que es pot "podemos" a beau répéter qu'ils ne sont pas partisans de l'indépendance, mais d'un referendum, rien n'y fait, pour les nationalistes, comme pour R.Godin, aujourd'hui "podemos" serait indépendantiste. Iñigo Erejon le N°2 de "po...

à écrit le 12/11/2015 à 8:09
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M.Godin soutient le projet d'indépendance de la Catalogne contre tous les arguments rationnels. Bien sûr qu'Artur Mas est soudainement devenu un partisan fervent de l'indépendance le jour où la justice espagnole s'est penché sur la corruption de Pujo...

à écrit le 11/11/2015 à 14:46
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Tiens, ce n'est plus de la faute du PSOE ? Ni de celle de l'Europe ?

à écrit le 11/11/2015 à 14:13
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Il faudrait avoir ce qu'ils veulent vraiment. Cordialement

à écrit le 11/11/2015 à 13:03
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L'indépendance de la Catalogne n'est pas une revendication récente. Même sans remonter plus loin, on peu constater qu'en 1931, Miguel de Unamuno déclarait devant le parlement espagnol: "il est juste que l'Espagne perde maintenant la Catalogne. Et ell...

à écrit le 11/11/2015 à 12:10
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L’autodétermination des populations est un principe démocratique, la Catalogne est-elle victime de d’une politique Européiste de destruction des nations, le maximum du chômage et la faible croissance qui ne produiraient aucunes réformes efficaces dep...

à écrit le 10/11/2015 à 22:10
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Question de priorité. La lutte contre la corruption passe avant l'indépendance pour ceux qui se croient purs. Donc il n'y a pas de majorité qui mettent l'indépendance et l'autodétermlnation en objectif fondamental. Fonder une nouvelle état devient al...

à écrit le 10/11/2015 à 20:58
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La messe est dite, Madrid n'aura même pas besoin d'élever le ton. La preuve est faite qu'outre l'absence d'une majorité populaire qualifiée (les partis indépendantistes n'ont pas atteint les 50%, alors que pour engager un processus aux conséquences a...

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