L'inflation va-t-elle durer ou pas ? Conflit à la BCE entre "faucons" et "colombes"

Certains membres du Conseil des gouverneurs ont estimé qu'un "scénario d'inflation 'plus élevée pendant plus longtemps' ne pouvait être exclu", souligne leur dernier compte-rendu de réunion. Un discours qui contraste avec le narratif de l'institution selon lequel la hausse actuelle devrait être temporaire.
Jérôme Cristiani
(Crédits : Reuters)

Que se passe-t-il à la BCE ? Sur l'inflation, la position de la présidente de la BCE Christine Lagarde semble bien différente de celle publiée ce jeudi par le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE), organe de décision suprême de l'institution - qu'elle dirige, donc -, qui fixe les taux d'intérêt et conduit la politique monétaire.

Pour mémoire, ce Conseil des gouverneurs est composé des six membres du directoire de la BCE, dont Christine Lagarde, et des gouverneurs des dix-neuf banques centrales nationales des pays de la zone euro.

Ainsi, ce jeudi, on voit d'abord Christine Lagarde assurer que l'inflation va baisser rapidement. Elle était l'invitée de France Inter ce matin, et à la question qui lui était posée d'emblée, sur l'inflation ("Est-ce que les prix vont continuer à augmenter dans les prochaines semaines, les prochains mois?", lui demandait bille en tête Nicolas Demorand): elle assurait, après un long détour pédagogique sur les causes de cette flambée des prix, que l'inflation ne durerait pas:

"Nous [la BCE], nous considérons que, pendant l'année 2022, ça va se stabiliser et baisser graduellement au cours de l'année 2022. Ça va baisser moins que ce que les économistes, tous les économistes, avaient envisagé il y un an, mais ça va baisser", a-t-elle affirmé ce matin sur France Inter. "Sans doute à 3,2% sur l'ensemble de l'année [contre 5% en moyenne sur la zone euro en 2021, Ndlr]."

|Lire : Réforme des critères de Maastricht sur les déficits publics: Lagarde sur la ligne de l'Allemagne ?

Or, plus tard dans la journée ce fameux Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne publie un document intitulé "minutes de la BCE" (comme les "minutes" de la Fed), qui rapporte ce qui s'est dit pendant leur dernière réunion. En l'occurrence, ce dernier compte-rendu conclut que l'inflation pourrait persister à un niveau élevé, au moment de réduire les achats d'actifs en 2022.

Des "minutes" en désaccord avec le narratif de l'institution

Ce document rapporte que certains membres ont estimé qu'un « scénario d'inflation "plus élevée pendant plus longtemps" ne pouvait être exclu », souligne le document, contrastant avec le narratif de l'institution selon lequel la hausse actuelle devrait être temporaire.

L'année 2021 s'est terminée en zone euro par un taux de hausse des prix à la consommation de 5%, tiré par les prix d'énergie et des pénuries.

Pour 2023 et 2024, la BCE table sur un retour à la normale avec une inflation relativement proche de 2 %, son objectif à moyen terme. Mais l'agrégat "pourrait facilement s'avérer supérieur à 2 %".

|Lire: Contenir l'inflation autour de 2% : la BCE et la Banque de France "feront ce qu'il faut" (Villeroy de Galhau)

Une lézarde dans l'habituel consensus

Des sources avaient auparavant indiqué à Reuters que 5 des 25 membres du conseil des gouverneurs s'étaient opposés aux décisions de politique monétaire prises le mois dernier, un chiffre relativement important au sein d'une institution habituée à rechercher le consensus.

"Il a été souligné que le conseil des gouverneurs devait insister sur sa volonté d'ajuster tous ses instruments, le cas échéant, dans un sens ou dans l'autre, afin de stabiliser l'inflation à 2% à moyen terme", indique encore le compte-rendu.

La nécessité de revoir modèles et outils de mesures

Certains facteurs, comme la lutte contre le changement climatique ou le virage numérique des économies, accéléré par la crise sanitaire, pourraient changer les manières de prévoir l'inflation, selon le compte-rendu.

"Les modèles calibrés sur des données pré-pandémiques pourraient ne pas être bien adaptés pour capturer des changements structurels majeurs ou un passage potentiel d'un régime d'inflation plus faible à un régime plus élevé", détaille-t-il.

C'est pourquoi il a été acté en décembre de "prêter une attention particulière aux signaux opportuns émanant de l'économie réelle, notamment ceux des entreprises et des décideurs, plutôt que de s'appuyer principalement sur des modèles et des modèles passés".

La crainte que la croissance des salaires alimente l'inflation

Par ailleurs, plus l'inflation va demeurer au-dessus de l'objectif, plus les salaires pourraient connaître une croissance élevée, alimentant à nouveau l'inflation, souligne le document.

Quoique vigilante au risque d'inflation, la BCE n'a fait qu'un petit pas en décembre vers le resserrement monétaire, à la différence de la Fed américaine qui pourrait relever ses taux dès mars 2022, avec trois ou quatre hausses sur l'ensemble de l'année.

A Francfort, des "inquiétudes" se sont exprimées quant à "toute réduction prématurée" des soutiens monétaires, souligne le compte-rendu.

À la BCE, les "colombes" dominent les "faucons", pour l'instant

Au conseil de la BCE, les "colombes" favorables à un soutien ample de l'économie dominent encore le clan des "faucons", adeptes d'un concours plus restrictif.

Le conseil était du reste divisé sur les modalités du resserrement monétaire de décembre.

Certains ont émis des "réserves" notamment sur "le recalibrage des achats" d'actifs publics et privés, qui passeront d'environ 80 milliards d'euros à 20 milliards en rythme mensuel d'ici octobre, pendant que les taux directeurs resteront à leur plus bas niveau historique.

(avec Reuters et AFP)

Jérôme Cristiani
Commentaires 5
à écrit le 21/01/2022 à 10:11
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Tout le monde veut relever les taux ok mais avec des salaires au raz des pâquerettes c'est une autre énorme danger sui se pointe également. Le problème n'est pas dans cette pensée binaire qui pue la défaite soit on monte les taux soit on les baisses ...

à écrit le 21/01/2022 à 9:01
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Bref! La BCE ne sait plus comment faire de la fausse monnaie pour en obtenir de la vrai!

à écrit le 21/01/2022 à 8:42
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Mme Lagarde ne comprend pas que si le variant Omicron immunise tout le monde et que si la sortie de la pandémie est pour dans 3 mois, ce sera une reprise encore plus forte que depuis quelques semaines. Tous vont alors vouloir rattraper leur finances ...

à écrit le 20/01/2022 à 19:37
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Depuis un an, l'économie de l'Europe brûle, et la BCE regarde, et ne fait rien. Elle ne remonte pas ses taux d'intérêts, alors que n'importe qui ayant des notions basiques d'économie, sait qu'il est urgent de les remonter. Ces dirigeants de la BCE so...

le 21/01/2022 à 8:25
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Tout à fait d'accord, je ne l'aurais pas mieux dit !!!

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