Il n'y a pas un seul pays européen qui ne voit les prix de son électricité s'envoler depuis quelques semaines. La situation la plus spectaculaire se trouve ces derniers jours au Royaume-Uni. En l'absence de vent en mer du Nord, qui fait tourner normalement les pales de centaines d'éoliennes offshore, les énergéticiens ont dû se tourner vers le charbon et le gaz naturel pour répondre à la demande. Cette pression a envoyé le prix de l'électricité sur le marché spot (au comptant) à un niveau historique en dépassant les 424 livres le mégawattheure. Si les achats au comptant sont marginaux au profit de contrats de long terme, le prix spot est un indicateur de la tendance du marché.
Les prix du gaz naturel et du charbon au plus haut
Or, les prix du gaz naturel et du charbon thermique eux-mêmes sont orientés à la hausse sur les marchés internationaux. Sur le marché ICE de Londres, le prix du gaz naturel a progressé de quelque 90% depuis le mois d'août 2020. L'offre mondiale n'arrive pas à suivre une demande soutenue par la combinaison de la forte reprise économique à travers le monde et la réduction du nombre de méthaniers disponibles pour acheminer par voie maritime le gaz naturel liquéfié (GNL).
Quant au charbon thermique, son prix de référence sur les marchés internationaux a triplé depuis août 2020.
Outre ces énergies fossiles, la hausse des prix des quotas de carbone, pour compenser leur combustion, renchérit le coût de production de l'électricité.
Comme le Royaume-Uni dépend pour son électricité en large part de l'éolien - un quart de la production en 2020 -, l'absence de vent pèse donc lourd, et favorise les émissions de carbone.
En Espagne, le gouvernement prend des mesures drastiques
En Espagne, selon l'association des consommateurs Facua, en septembre, la facture mensuelle des ménages s'élève en moyenne à 108,17 euros, soit 41 euros de plus qu'en septembre 2020, ce qui correspond à une hausse de 62%.
Mardi, le gouvernement de gauche de Pedro Sanchez a adopté une mesure de réduction de la taxe spéciale sur l'électricité, qui passe de 5,11% à 0,5%.
Le plan va également imposer une limite aux bénéfices engrangés par les groupes énergétiques, à 2,6 milliards d'euros. La mesure est prévue pour s'appliquer jusqu'au 31 mars 2022. Ce plan est la deuxième initiative pour limiter l'impact de l'envolée des cours.
En juillet, le gouvernement avait déjà imposé une réduction de la TVA, qui était passée de 21% à 10%, et avait suspendu l'impôt sur la vente de production d'électricité.
Conséquence, ces mesures vont réduire les rentrées fiscales que Madrid voulait consacrer à la transition énergétique.
L'Espagne, qui dépend étroitement du gaz naturel pour la production de son électricité, est un des pays qui ont les prix les plus élevés dans l'Union européenne (voir ci-dessous la comparaison pour les ménages pour le deuxième semestre 2020).
Le prix de l'énergie revient à l'agenda de la France
Quant à la France, la cherté de l'électricité va bientôt se retrouver à nouveau sur l'agenda du gouvernement.
La semaine dernière, l'Uniden (l'Union des industries utilisatrices d'énergie), dont les 55 adhérents représentent 70% de la consommation industrielle en France, ont alerté sur leurs difficultés au moment où il est exigé de l'ensemble des secteurs industriels de s'engager dans une économie décarbonée.
L'Uniden estime que la hausse des prix pourrait représenter un surcoût de "1 milliard d'euros pour 2022" et "une augmentation d'un tiers de leur facture d'électricité" (voir ci-dessous les prix de l'électricité en Europe pour les industriels au cours du deuxième semestre 2020).
L'organisation demande au gouvernement de relever le plafond de l'Arenh (accès régulé à l'électricité nucléaire historique), un mécanisme de régulation des prix où EDF revend aux entreprises énergétiques concurrentes une partie de son énergie nucléaire à prix fixe et meilleur marché.
Le plafond actuel est fixé à 100 térawattheures (TWh), mais le gouvernement peut le porter à 150. Toutefois, dans ce cas, EDF supporte le coût de l'augmentation, et si l'entreprise veut le compenser par une hausse du prix de son électricité d'origine nucléaire, il doit obtenir l'aval de la Commission européenne, qui statuera en fonction de l'équilibre des conditions de concurrence. Ce qui peut prendre du temps.
Une flambée qui va alimenter l'inflation
En attendant, les gouvernements à travers l'Europe vont devoir, comme en Espagne, étudier des mesures pour soulager la facture des ménages les plus fragiles, l'électricité étant une dépense contrainte. De même, pour les entreprises, censées accélérer la décarbonation de leurs activités, les prix élevés de l'énergie vont réduire les marges de manœuvre, et se répercuter sur les prix des biens.
Cela va donc alimenter une inflation qui pourrait, si elle était plus que conjoncturelle, placer la Banque centrale européenne (BCE) face à un dilemme : laisser filer la hausse des prix, ou bien agir plus tôt que prévu, en resserrant sa politique monétaire (basée sur des taux bas et 80 milliards d'euros de rachats mensuels de dettes des États et des entreprises).
L'hiver risque d'être chaud pour les décideurs politiques et économiques.
(avec agences)