Les libéraux du FDP, discrets faiseurs de rois en Allemagne

En 2013, les libéraux du Freie Demokratische Partei (FDP) disparaissaient du Bundestag. En 2017, ils revenaient, transformés par leur nouveau président Christian Lindner. Courtisés par la CDU-CSU pour former une coalition "Jamaïque" avec les Verts, ils préféraient rester dans l'opposition au regard des compromis à passer. Revenus plus forts en 2021, donnant la priorité à l'orthodoxie budgétaire et à la compétitivité des entreprises mais prônant un vaste plan numérique, ils négocient une entente avec les Verts avant de s'adresser au SPD... ou à la CDU.
Robert Jules
Christian Lindner, leader du FPD, le parti libéral-démocrate.
Christian Lindner, leader du FPD, le parti libéral-démocrate. (Crédits : Reuters)

Vu de France, et son régime présidentiel, la constitution d'un gouvernement en Allemagne apparaît étrange. Dans ce régime parlementaire, ce sont les deux partis qui sont arrivés en troisième et quatrième positions, les écologistes des Grünen et les libéraux du FDP, qui négocient d'abord une entente avant d'aller discuter d'un accord de gouvernement avec le SPD, parti arrivé en tête, pour constituer une coalition "Feux tricolores" (rouge-vert-jaune) ou, en cas d'échec, une coalition "Jamaïque" (noir-vert-jaune) avec la CDU-CSU.

Car sur les 735 sièges du Bundestag, les deux partis "juniors" en totalisent 218 (118 sièges pour les Verts, soit 14,8%, et 92 sièges pour le FDP, soit 11,5%). S'ils sont loin des scores des leaders historiques - le SPD a 206 sièges (25,7%), la CDU-CSU 196 sièges (24,1%) -, ils sont néanmoins devenus incontournables pour obtenir la majorité des 368 sièges, CSU et SPD ne voulant pas reconduire leur "grande coalition" du gouvernement sortant.

"C'est en effet le plus pragmatique, rencontrer les partis leaders, une fois aplanies les différences entre les deux partenaires "juniors"", juge Stefan Keller, stratégiste chez Candriam, société de gestion d'actifs. Selon lui, "c'est entre le parti des Verts et le FDP que le chevauchement est le plus faible, car ils sont en désaccord sur des thèmes politiques clés. Les discussions bilatérales les plus ardues sont donc à prévoir entre les deux futurs partenaires juniors car ils divergent sur le logement, la politique du marché du travail, les règles fiscales et la politique européenne".

Traversée du désert

Ces négociations pourraient prendre plusieurs semaines pour aboutir. Si les Grünen et leurs positions sont plus connus - ils avaient l'ambition de faire jeu égal avec le SPD et la CDU -, ce n'est pas le cas du deuxième parti faiseur de rois, le FDP (Freie Demokratische Partei, Parti libéral-démocrate) qui fait figure de revenant. En effet, en 2013, il n'avait pas réussi à obtenir les 5% nécessaires pour siéger au Bundestag, le faisant disparaître des radars nationaux.

C'est pourtant durant cette traversée du désert que le parti, sous la houlette de son ancien secrétaire général devenu président, Christian Lindner, a préparé le terrain de sa renaissance. Il a renouvelé ses équipes et son organisation, modernisé son programme en intégrant des réformes plus modérées, le tout lui conférant une nouvelle image auprès de ses quelque 65.000 membres. Une démarche gagnante qui lui a permis de revenir siéger au parlement dès 2017, obtenant 10,7% des votes, séduisant un électorat dont la composition sociologique compte les professions libérales, les hauts revenus et les grands acteurs de l'économie, qui sont favorables au progrès technologique et à la mondialisation.

A ce moment-là, la CDU-CSU avait déjà tenté de négocier la constitution d'une coalition "Jamaïque" avec les Verts et le FDP. Mais les discussions n'avaient pas abouti, obligeant Angela Merkel à se tourner vers le SPD. Pour le FDP, il y avait un désaccord de fond sur le programme à cause de positions irréconciliables qui obligeaient le parti libéral à faire trop de compromis. "Mieux vaut ne pas gouverner du tout que mal gouverner", affirmait à l'époque Christian Lindner.

"Les cadres du parti n'avaient qu'une crainte : voir le programme du FDP disparaître au fil des compromis consentis pour gouverner avec la CDU-CSU et les Verts et revivre le traumatisme de la coalition avec la CDU-CSU entre 2009 et 2013 . À l'époque, le FDP n'avait pas réussi sa transition de parti d'opposition à parti de coalition et avait eu de grandes difficultés à se faire entendre auprès de la CDU-CSU", explique Uwe Jun, professeur de sciences politiques à l'Université de Trèves, dans une étude publiée par l'Ifri.

Ne pas se réfugier dans une position de conflit

Cette cure d'opposition au Bundestag s'est faite sur un mode pragmatique : le FDP se montrant tantôt ouvert à la coopération, tantôt dans un rapport de force, tout en restant sur une ligne libérale qui répond aux attentes de ses électeurs : une opposition qui ne se réfugie pas systématiquement dans une position de conflit.

"Le parti prend fermement position sur la politique économique et financière. Sur cette question en particulier, le FDP ne cherche pas un terrain d'entente avec le gouvernement fédéral mais critique sa politique et propose des alternatives. Cette approche se retrouve dans la stratégie de vote de son groupe parlementaire, présidé par Christian Lindner. Sur les 206 votes au Parlement pendant la dernière législature (en date du 25 mars 2021), le FDP a voté 72 fois contre les propositions du gouvernement fédéral, en particulier en matière de politique financière, budgétaire et fiscale", constate Uwe Jun.

Sur le plan idéologique, le FDP reste d'ailleurs bien ancré sur les fondamentaux du libéralisme tant économique et sociétal, avec la volonté de limiter au mieux l'interventionnisme de l'Etat. Il défend la juste évaluation de la performance et l'égalité des chances, mettant en avant la responsabilité individuelle plutôt qu'une augmentation des prestations sociales et des dépenses publiques.

"Selon son programme, le parti entend en priorité diminuer les impôts, en particulier pour les revenus moyens et modestes, simplifier les démarches administratives et mettre en place la retraite par capitalisation sous forme d'actions, en complément à la retraite par répartition. Le FDP demeure par ailleurs favorable au frein à l'endettement (qui limite à 0,35% du PIB la capacité de l'Etat à emprunter chaque année, Ndlr)", souligne Uwe Jun.

Création d'un ministère du Numérique

Toutefois, le FDP place dans ses priorités le développement des infrastructures numériques et la création d'un ministère du Numérique, ce qui lui a permis d'attirer la jeune génération. Le déploiement du haut débit et de la 5G, le développement du numérique dans les écoles, le secteur de la santé et l'administration devraient être un point positif dans les négociations avec ses partenaires. Cette vision du FDP se retrouve à l'échelle européenne dans leur proposition de créer un Cloud européen et un système européen de satellites.

Quant à la question climatique, si elle est évidemment centrale dans le programme des Verts, elle l'est beaucoup moins dans celui du FDP. Les premiers veulent avancer la sortie du charbon du pays de 2038 à 2030, un coût qui va peser sur la compétitivité des entreprises allemandes, et que veulent éviter les libéraux préférant investir dans l'innovation. D'ailleurs, le FDP prévoit de reculer l'atteinte de la neutralité carbone du pays à 2050 (contre 2045 fixé par le gouvernement sortant), alors que les Verts veulent l'avancer à 2040.

Mais, toujours pragmatiques, les libéraux indiquent aussi dans leur programme qu'ils se soumettront à la politique décidée par l'Union européenne en la matière, une autre façon de dire qu'ils sont prêts sur ces sujets à faire des compromis, du moment que le retour le plus rapide possible à l'équilibre du budget n'est pas remis en cause.

Robert Jules
Commentaires 3
à écrit le 02/10/2021 à 22:21
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Votre représentation permanente du monde permet de disculper la grande majorité des citoyens (les 99% qui ne sont pas des super riches) de toute responsabilité dans l'évolution de notre société. Ne laissez pas vos névroses prendre le pas sur une obse...

le 03/10/2021 à 15:34
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" sur une observation du monde tel qu'il est" Allez y, j'attends votre observation du monde "tel qu'il est" avec impatience.

à écrit le 02/10/2021 à 9:17
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Nietzsche disait qu'à partir du moment où une institution libérale naissait elle tuait tacitement l'idée libérale. Tout ces partis dits libéraux n'ont plus rien de libéral, le libéralisme c'est l'absence de l’État dans le fonctionnement économique ré...

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