La réforme des règles budgétaires va-t-elle enfin voir le jour ? Après deux ans d'âpres négociations et d'échanges, les 27 pays de l'Union européenne pourraient parvenir à un accord d'ici la fin de l'année 2024. À l'issue d'un dîner à Bruxelles jeudi soir, les huit heures de discussions entre les ministres des Finances de la France, l'Italie, l'Allemagne et l'Espagne ont abouti à un compromis. Ce vendredi 8 décembre, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire est sorti soulagé de cette interminable réunion. « Nous avons fait des progrès importants cette nuit vers un accord pour de nouvelles règles du pacte de stabilité et de croissance », a déclaré le locataire de Bercy.
Jugées « obsolètes » par plusieurs chefs d'Etat, les règles budgétaires des 3% de déficit et des 60% de dette à ne pas dépasser étaient suspendues depuis le début de la pandémie. À l'époque, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, avait annoncé l'activation de la clause de dérogation des règles des traités. Mais cette clause était suspensive. Pressé par le calendrier, l'ensemble des Etats doivent se mettre d'accord avant le premier janvier 2024 sur les nouvelles règles du pacte de stabilité. Le 19 décembre prochain, les ministres des Finances doivent à nouveau se réunir en Belgique pour un Conseil Ecofin décisif.
De la flexibilité sur les règles, mais temporaire
Le compromis trouvé entre les quatre grandes puissances doit conserver la règle des 3% de déficit et des 60% de la dette à ne pas dépasser. Le principal point de friction entre l'Allemagne et la France concernait la règle de procédure pour déficit excessif. De son côté, l'Hexagone réclamait de la flexibilité sur ces règles en prenant en compte la nécessité d'investir dans la transition écologique et de mettre le paquet sur le budget de la Défense. L'objectif est que les Etats remplissent leurs engagements sur le traité de Paris sur l'environnement et auprès de l'Otan pour le volet militaire avait rappelé Bruno Le Maire à la veille du conseil des ministres européens.
Du côté de l'Allemagne, le ministre des Finances, Christian Lindner, issu du très libéral FDP, demandait une inscription de cette flexibilité limitée dans la durée. Christian Lindner « a accepté que le compromis prenne en compte l'ampleur de la charge de la dette liée à la hausse des taux d'intérêt », explique une source témoin des négociations. « La France a accepté que la flexibilité soit temporaire sur la période 2025-2027. Nous avons trouvé une voie de sortie, mais elle est transitoire », poursuit cette source.
En clair, la dizaine de pays menacés par des procédures de déficits excessifs pourront échapper aux récriminations de la Commission européenne s'ils engagent des investissements dans la transition énergétique ou leur Défense. « L'Etat doit réduire son déficit primaire de 0,5% par an, mais il garde des marges de manœuvre et de la flexibilité ». À ce stade, les détails techniques du compromis n'ont pas été communiqués à tous les pays. « Il y a un risque de braquer les pays qui n'ont pas encore signé. Ces chiffres seraient pris en otage par les pays frugaux pour dire qu'il y a trop de flexibilité ».
Les « pays frugaux » en embuscade
En effet, à quelques mois des élections européennes prévues en juin prochain, la France et l'Allemagne doivent encore obtenir l'aval des « pays frugaux » particulièrement rigides sur les règles de discipline budgétaire. « Les Pays-Bas, la Suède, le Danemark et l'Autriche ont conservé une position très dure pendant la nuit », confie une source diplomatique. « L'Allemagne doit encore convaincre ces pays ».
Pour le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, « la dernière étape est toujours la plus difficile, il ne faut pas minimiser les efforts qu'il nous reste à faire dans les heures et dans les jours qui viennent ». Ce vendredi matin, le ministre des Finances allemand « a condamné le non-respect des règles. Il a tenu cette position dure. Pourquoi a-t-il fait cela ? Pour convaincre les pays frugaux d'adhérer au compromis », souligne un témoin des coulisses de la négociation.
L'Allemagne en « posture difficile »
Pour l'Allemagne, ce type de négociation est devenu un exercice de haute voltige. Le pays traverse une crise inédite. Entre une économie plombée par la récession et un marasme budgétaire, la coalition au pouvoir est secouée de toutes parts. La Cour constitutionnelle de Karlsruhe a considéré, dans un retentissant arrêt rendu en novembre, que le gouvernement contournait le frein à l'endettement en transférant dans un fonds « pour le climat et la transformation » un reliquat de 60 milliards d'euros destiné initialement à amortir les effets de la pandémie de Covid-19.
Ce frein à l'endettement, qui limite le déficit structurel à 0,35% par an et loué pendant des décennies par « les pays frugaux », est désormais amplement critiqué en Allemagne. « Les Allemands sont rappelés à l'ordre par les principes de l'orthodoxie budgétaire, estime Jérôme Creel, économiste à l'OFCE, spécialiste des questions européennes, mais ils ont besoin de souplesse ».« Les Allemands sont dans une mauvaise posture [...] Et même, s'il y a un assouplissement des règles budgétaires, le gouvernement n'est pas à l'abri des attaques juridiques », souligne l'économiste.
Risque de décrochage de l'Union européenne
Plus largement, l'économie européenne traverse une zone de fortes turbulences. Entre la récession en Allemagne et la stagnation en France et en Italie, les ménages et les entreprises sont en plein brouillard. Dans ce contexte morose, le risque de décrochage s'amplifie entre la zone euro et les Etats-Unis. « Nous sommes en train de nous faire larguer par les Américains. C'est maintenant qu'il faut bâtir des usines de panneaux solaires, des éoliennes off-shore », a déclaré un diplomate au fait des dessous des négociations.
Sur le Vieux continent, les milieux patronaux et financiers s'inquiètent surtout des répercussions négatives à moyen terme de la remontée des taux. En resserrant sa politique monétaire à un rythme soutenu, la Banque centrale européenne (BCE) a durci drastiquement les conditions de financement des entreprises et des Etats. Résultat, les perspectives d'investissement sont assombries. L'échec d'un accord sur de nouvelles règles budgétaires pourrait plonger l'Union européenne dans une profonde léthargie.