
L'évacuation musclée lundi des derniers militants écologistes qui protestaient contre l'extension de la mine à ciel ouvert de charbon de Garzweiler, dans le bassin rhénan, a montré que le gouvernement compte bien sur le charbon pour sécuriser son approvisionnement énergétique dans les prochaines années.
L'opposition à la destruction de Lutzerath, un village proche de la mine devenu pour les écologistes le symbole de la résistance aux combustibles fossiles, avait pourtant mobilisé samedi quelque 35.000 manifestants, dont l'égérie du combat en faveur du climat, la Suédoise Greta Thunberg.
Mais l'extension de la mine exploitée par le géant RWE est jugée vitale par le gouvernement. « C'était nécessaire. Mais bien sûr que c'est un péché vis-à-vis de la politique climatique, et que nous devrions travailler à ce que cela dure le moins de temps possible », s'est justifié lundi Robert Habeck, ministre écologiste de l'Économie.
Depuis l'invasion russe de l'Ukraine et les sanctions imposées notamment par les Européens contre Moscou, le calendrier de sortie du charbon comme source d'énergie qui avait été avancé de 2038 à 2030 à la demande des Verts, dans le cadre du contrat du gouvernement de coalition passé entre sociaux-démocrates, écologistes et libéraux, a dû être reporté à de meilleurs jours.
Envolée des prix du gaz
Néanmoins, ce retour vers la houille n'est pas nouveau en Allemagne. Avant même le déclenchement de la guerre en Ukraine et l'envolée des prix du gaz, le pays avait déjà recours à la lignite dans son bouquet énergétique afin de pallier la sortie du nucléaire et en attendant que les énergies renouvelables se développent suffisamment (voir graphique).
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En 2021, la consommation de charbon avait augmenté de +14% dans l'Union européenne (UE), notamment en Allemagne (+19% avec 26 millions de tonnes supplémentaires) et en Pologne (+12% avec 13 millions de tonnes en plus). Selon l'AIE, la consommation de charbon par les pays de l'UE devrait encore augmenter en 2022, de 9% (+31 millions de tonnes), pour atteindre un total de 377 millions de tonnes, un niveau proche de celui de l'avant-pandémie en 2019.
Pourtant, la demande de charbon en Europe (notamment en Allemagne, voir graphique) avait bien baissé depuis une décennie, atteignant son plus bas point en 2020, lors de la pandémie du Covid-19.
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Une orientation favorisée par les prix bas du gaz naturel, notamment russe, incitant à le substituer au charbon, car beaucoup moins polluant. A contrario, la multiplication par 10 des prix du gaz à partir de la fin 2021 jusqu'à l'automne 2022 a rendu à nouveau le charbon compétitif pour produire de l'électricité, malgré des prix du carbone élevés.
Allemagne et Pologne principaux importateurs de charbon russe
L'invasion de l'Ukraine et les sanctions imposées à Moscou (bannissement des achats de charbon et de pétrole russes) ont changé la donne pour l'Europe qui n'était pas seulement étroitement dépendante de la Russie pour le gaz et le pétrole, mais aussi pour le charbon. Ainsi, les pays de l'UE - principalement l'Allemagne, la Pologne et les Pays-Bas - importaient habituellement 45% de leur charbon de Russie, soit 52 millions de tonnes.
L'Allemagne n'est pas la seule à s'être tournée vers la houille. La Finlande, la France, les Pays-Bas, l'Espagne, l'Italie, le Danemark, la Grèce, la République tchèque, la Hongrie et l'Autriche ont prolongé l'activité de centrales existantes, voire en ont rouvert. Mais cela reste marginal par rapport à l'Allemagne où le charbon a permis de remplacer une capacité totale équivalente à 11,6 GW de production de gaz.
Ces besoins ont également conduit à relancer la production locale. En 2021, elle a augmenté de 10%, déjà soutenue par les prix élevés du gaz naturel. Mais elle est principalement concentrée en Allemagne (38%) et en Pologne (32%), loin devant la République tchèque et la Bulgarie (9% chacune). Selon l'AIE, ces extractions devraient croître de 7% en 2022 pour atteindre 357 millions de tonnes, et augmenter encore de 2,7 millions de tonnes cette année.
En Allemagne, la production de lignite (moins concentrée en carbone que la houille) avait déjà augmenté de 18% en 2021, en raison de la demande des producteurs d'électricité mais aussi des ménages qui reviennent au charbon pour se chauffer car moins cher que le gaz mais aussi le bois. Malgré cette hausse de la production locale, la première économie européenne reste le premier importateur (38 millions de tonnes) hors de la zone Asie Pacifique où se concentre 79% des importations mondiales de charbon.
En 2025, la demande de charbon est prévue de baisser
Toutefois, ce recours intensif au charbon, lié à des conditions exceptionnelles - la nécessité d'en finir avec l'étroite dépendance aux importations d'hydrocarbures russes -, n'est pas appelé à durer selon l'AIE. L'agence prévoit que la production de charbon de l'UE en 2025 sera en baisse de 19% par rapport à ses niveaux de 2022, à 289 millions de tonnes, grâce à l'amélioration de l'efficience énergétique et l'expansion des capacités d'énergie renouvelable. L'année 2025 bénéficiera également du retour aux prix bas du gaz qui se substituera au charbon dans la production d'électricité. L'Europe devrait également bénéficier du retour à la normale dans la production d'électricité nucléaire en France et la mise en service de nouvelles capacités issues d'énergies renouvelables. L'AIE prévoit que la demande de charbon thermique en Allemagne va baisser de 57 millions de tonnes pour tomber à 93 millions de tonnes en 2025. Et si l'on prend la demande à l'échelle européenne, elle devrait passer de 478 millions de tonnes à 371 millions de tonnes en 2025.
De fait, le système d'enchères mis en place par Berlin pour accompagner financièrement la réduction des capacités de production d'électricité à partir du charbon n'a pas été remis en cause. Le gouvernement prévoit toujours de réduire ses centrales de houille (plus concentrée en carbone que la lignite) de 6,2 GW et de 2,9 GW de lignite entre 2021 et 2025.
Depuis des mois, le chancelier Olaf Scholz a martelé qu'il ne renonçait pas à son objectif d'abandonner cette énergie polluante en 2030, et exclut « une renaissance des énergies fossiles, en particulier du charbon ». Reste à savoir si la situation présente ne risque pas de perdurer plus longtemps que prévu.
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