En Inde, l'économie carbure plus que jamais au charbon... par nécessité

Avec la crise énergétique, et les prix internationaux des hydrocarbures, nombre de pays émergents, mais aussi européens, se sont tournés vers le charbon pour satisfaire leur demande d'électricité. En Inde, malgré une production locale de charbon record, les autorités incitent les producteurs d'électricité à augmenter leurs stocks avant septembre de crainte de ne pas pouvoir répondre à la demande d'énergie exigée par une croissance dynamique.
Robert Jules
Vue d'une centrale électrique au charbon à Ahmedabad, principale ville de l'État du Gujarat, au nord-ouest de l'Inde India.
Vue d'une centrale électrique au charbon à Ahmedabad, principale ville de l'État du Gujarat, au nord-ouest de l'Inde India. (Crédits : Reuters)

A l'instar des pays de l'Union européenne avec le gaz, l'Inde cherche à sécuriser ses stocks de charbon pour faire face à la hausse de la demande d'électricité prévue sur la fin de 2023 et début 2024. Dans un avis publié par le ministère de l'Energie indien, les producteurs d'électrons sont donc incités à augmenter de 6% leurs stocks de charbon thermal d'ici septembre, qui représente la source de 70% de l'électricité. Sans cela, estime le ministère, il y aura des pénuries car il manquera 24 millions de tonnes.

Les importations nécessaires

Pourtant, année après année, le pays extrait toujours plus de charbon. La production locale a progressé de 6,3% en 2021, pour atteindre 805 millions de tonnes, et de 11% en 2022, à 893 millions de tonnes. A l'horizon 2025, le milliard de tonnes devrait être atteint. Mais cet effort reste insuffisant. La consommation a atteint 959 millions de tonnes en 2021 (+14,2%) et 1,027 milliard de tonnes en 2022 (+7,1%), selon les dernières données recueillies par l'Agence internationale de l'énergie (AIE).

Les importations restent donc nécessaires. Si elles avaient baissé de 10,3% en 2021, elles ont augmenté à nouveau en 2022, de 7,8% (+152 millions de tonnes). Et elles devraient encore grossir cette année, comme l'anticipe le ministère de l'Energie indien. Le charbonnage et son commerce représentent un secteur primordial chez le géant asiatique. Le milliardiaire indien Gautam Adani, troisième personne la plus riche du monde derrière Bernard Arnault et Elon Musk, a fait fortune principalement dans le négoce du charbon.

Or, même si le charbon reste l'hydrocarbure le meilleur marché, son prix international reste élevé. Contrairement à ceux du gaz naturel et du pétrole qui ont chuté pour revenir à leur niveau d'avant l'invasion russe de l'Ukraine en février 2022, le prix de référence international pour l'Asie, fourni par le marché de Newcastle (Australie), évoluait ce mercredi, juste sous le seuil de 400 dollars la tonne, soit un prix supérieur de 99% à celui où il se trouvait il y a un an.

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charbon prix

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Et il pourrait rester à des niveaux élevés, tant la demande est orientée à la hausse. Contrairement à l'Europe, les Etats-Unis ou la Chine, l'économie indienne affiche un taux de croissance enviable de 7,3% en 2022, une des meilleures performances mondiales dans une conjoncture morose, et devrait encore progresser de 6,6%, en 2023, estime la Banque mondiale.

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Pour faire tourner son économie à un tel rythme, l'Inde, qui va devenir le pays le plus peuplé du monde cette année, a donc besoin de plus d'électricité et donc de charbon. « La consommation de charbon de l'Inde a doublé depuis 2007 à un rythme annuel de 6%, et elle est bien partie pour être le moteur de la croissance de la demande mondiale de charbon », souligne l'AIE. Pour la seule année 2022, le pays a mis en exploitation 64 nouvelles mines.

A l'heure, où les conséquences du dérèglement climatique sont de plus en plus visibles, et les appels à cesser d'utiliser le charbon plus pressants, c'est un paradoxe d'enregistrer des records de consommation de charbon. Car malgré les déclarations, même les économies développées continuent à l'utiliser (voir graphique).

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charbon consommation

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Si aux Etats-Unis, la part d'électricité générée par le charbon devrait passer de 20% en 2022, à 18% cette année, et à 17% en 2024, selon  les estimations de l'Agence américaine d'information sur l'énergie, publiées mardi, ce n'est pas le cas en Europe. La crise énergétique, qui a commencé à l'automne 2021, due à un enchaînement de dysfonctionnements (absence de vent au Royaume-Uni et en Allemagne, pannes sur les sites nucléaires en France, bas niveau de l'eau dans l'hydraulique...), a été amplifiée par le conflit en Ukraine mené par la Russie. Moscou s'est servi de l'énergie comme moyen de pression sur les pays européens, très dépendants des hydrocarbures russes, sans succès puisque les pays européens ont cherché des alternatives. Et l'une d'elles a été cette année, le charbon, notamment en Pologne et en Allemagne. Conséquences, les importations européennes de charbon ont augmenté de 6%, en provenance de Colombie, d'Indonésie et d'Afrique du sud.

Hausse de la consommation européenne

Cette demande européenne va même contribuer à ce que la consommation mondiale de houille va atteindre un record historique en 2022. Elle devrait progressé de 1,2% pour dépasser les 8 milliards de tonnes, après + 6% en 2021. Une hausse modeste qui s'explique par le ralentissement économique en Chine, dont la politique « zéro Covid » a réduit l'activité des entreprises en confinant strictement la population durant des semaines.

Malgré cela, le marché reste tendu. Si la production de houille a atteint aussi un record historique en 2022, à 8,32 milliards de tonnes (+5,4%), les extractions peinent à répondre aux besoins. « Cela signifie que le charbon continuera d'être de loin la plus grande source d'émissions de dioxyde de carbone du système énergétique mondial », rappelait en décembre l'AIE dans son rapport annuel, pronostiquant que cette situation devrait perdurer au moins jusqu'à 2025.

Si les émergents comptaient sur le gaz moins polluant pour se substituer au charbon, la guerre en Ukraine a changé la donne. En 2022, la demande soudaine de gaz naturel liquéfié (GNL) des pays européens pour remplacer le gaz russe a eu non seulement pour conséquence de faire flamber les prix à des niveaux historiques, mais également de détourner le gaz prévu d'être livré aux économies émergentes comme le Pakistan vers les pays européens prêts à payer au prix fort la reconstitution de leurs stocks de gaz avant l'hiver. Conséquence, nombre de pays émergents ont dû se tourner vers le charbon.

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Cela n'empêche pas l'Inde de vouloir s'émanciper de la pollution du charbon. Lors de la COP 27, le pays s'est porté candidat au système de financement international dont bénéficient l'Afrique du sud et l'Indonésie pour réduire le recours à la houille.

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Pour lutter contre le dérèglement climatique, le Premier ministre indien, Narendra Modi, s'est engagé en novembre dernier, lors du sommet du G20 qui s'est tenu en Indonésie, que 50% de l'électricité produite dans le pays serait issus d'énergies renouvelables à l'horizon 2030. Un objectif ambitieux mais qui reflète la dynamique du pays en la matière. « L'Inde était le deuxième plus grand marché d'Asie pour les nouvelles capacités solaires photovoltaïques et le troisième au niveau mondial (13 GW d'ajouts en 2021). Il s'est classé quatrième pour les installations totales (60,4 GW), dépassant l'Allemagne (59,2 GW) pour la première fois », rappelle l'Agence indienne en charge de la promotion des investissements dans le pays. Mais l'effort apparaît colossal à réaliser au regard de la consommation d'énergie primaire (voir graphique)!

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inde énergie primaire

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Robert Jules
Commentaires 4
à écrit le 11/01/2023 à 21:44
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Je croyais que l Inde achetait le pétrole Russe qu on ne voulait plus .. nous aurait-on menti? Lol

à écrit le 11/01/2023 à 18:03
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Bon, ben alors, vous voyez bien, que ça ne sert à rien que l'Europe lutte contre le réchauffement climatique.

le 11/01/2023 à 18:51
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Effectivement, l'Unions européenne peut prendre toutes les mesures dommageables à l'économie des pays européens qu'elle souhaite, il est très improbable qu'elle soit suivie par le reste du monde, si ce n'est en paroles.

le 11/01/2023 à 22:52
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@Charlie et reponse de Georges Il est vrai que pour le réchauffement climatique c"est mal parti, mais, peut on ne rien faire et tout laisser aller à vau l'eau sous prétexte de "mesures dommageables" à l'économie ? Non. Pas plus qu'on pourrait se ...

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