L'Allemagne va-t-elle entraîner la France dans son sillage ? Empêtrée dans une crise à rallonge, l'économie allemande peine à voir le bout du tunnel. Le prolongement de la guerre en Ukraine et le maintien à un niveau élevé des prix de l'énergie ont plongé l'industrie germanique dans un épais brouillard. Compte tenu de l'interdépendance des deux pays, la poursuite de la récession en Allemagne en 2024 pourrait à moyen terme provoquer des dégâts sur des pans entiers de l'économie hexagonale.
Le resserrement à marche forcée de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) a certes permis de faire freiner l'inflation dans la zone euro. Mais étant donné les délais de transmission de la politique monétaire à l'économie réelle, ses effets pourraient faire trembler l'économie du Vieux continent à plus long terme.
Après les fortes secousses dans l'immobilier et la construction, de nombreux secteurs, déjà meurtris par les confinements à répétition et la crise énergétique, risquent l'asphyxie des deux côtés du Rhin. Sur le plan politique, l'unité de façade affichée lors de la dernière visite du ministre de l'Economie Bruno Le Maire en septembre à son homologue allemand Robert Habeck pourrait bien se fissurer sur la question brûlante des prix de l'énergie.
L'Allemagne, premier partenaire commercial de la France...
La France et l'Allemagne ont construit des relations commerciales privilégiées depuis la chute du mur de Berlin en 1991. En 2022, la balance commerciale des biens entre les deux économies a penché en faveur de l'Allemagne avec 80 milliards d'euros d'exportations tricolores contre 93 milliards d'euros d'importations. Mais « l'Allemagne est le principal contributeur de la demande mondiale adressée à la France », explique Raphael Beaujeu, économiste à la direction générale du Trésor ce vendredi 6 octobre lors d'un séminaire.
Dans le classement des partenaires commerciaux, l'Allemagne arrive largement en tête loin devant l'Italie, les Etats-Unis, ou encore la Belgique et l'Espagne selon l'Insee. En d'autres termes, l'économie allemande est « à la fois le premier client et le premier fournisseur de la France », souligne une récente étude du Trésor. Pendant plusieurs années, la France a pu exporter un volume important de biens dans l'aéronautique ou des voitures. Mais la pandémie a clairement plombé les ventes tricolores de ces deux secteurs, pourtant stratégiques dans l'Hexagone.
...et premier investisseur européen
L'Allemagne n'est pas qu'un partenaire commercial de premier plan pour la France. Sur le front des investissements étrangers, Berlin occupe la seconde marche du podium mondial après les Etats-Unis, et la première marche en Europe selon la Banque de France. Parmi les grands investissements de ces dernières années, on peut citer le géant de la pharmacie Merck, BASF (chimie) ou encore ACC (méga-usine dans le Nord).
Outre ces vastes investissements, l'Allemagne comporte plus de 4.600 filiales allemandes sur le territoire hexagonal faisant travailler environ 320.000 travailleurs. Inversement, la France a recensé 5.700 filiales implantées outre-Rhin faisant travailler 400.000 personnes. Au-delà de ces multiples implantations, de nombreux travailleurs transfrontaliers font des allers-retours quotidiens entre les deux pays contribuant ainsi aux échanges économiques.
L'industrie allemande plus exposée aux soubresauts économiques et géopolitiques
Les longues années de pandémie, la guerre en Ukraine et la crise énergétique ont cependant mis à mal toutes ces relations commerciales. Le modèle économique allemand reposant sur les exportations et un tissu industriel relativement préservé a subi de plein fouet la fermeture des frontières, le coup de frein de la Chine et la flambée des prix de l'énergie.
En seulement quelques années, toutes ces crises ont ébranlé la première économie de la zone euro après des années de domination. Compte tenu de sa dépendance au pétrole et au gaz russes, l'économie germanique est empêtrée dans une crise à rallonge. Ce coup de frein brutal de l'activité outre-Rhin a réduit les opportunités pour les entreprises exportatrices tricolores de trouver des débouchés.
Allemagne : un retard d'investissement chronique
L'autre point noir de l'Allemagne est le retard d'investissements publics dans son économie. « Le retard est assez spectaculaire. Le taux d'investissement est sensiblement inférieur à la moyenne européenne » , observe François Brunet, économiste à la direction générale du Trésor. Dans les infrastructures, « le retard de numérisation est décrié dans les milieux d'affaires », poursuit l'économiste. A cela s'ajoute le manque d'investissement dans les infrastructures de transport pointé du doigt par les économistes.
Souvent félicitée pour « son sérieux budgétaire » dans les milieux conservateurs à l'étranger, l'Allemagne peut également souffrir d'un sous-investissement en raison du frein à la dette inscrit dans sa constitution depuis 2011 et remis en vigueur depuis cet été après la pandémie. « Le cadre budgétaire allemand est encore plus contraignant que le cadre maastrichien. Il contraint le gouvernement dans ses options de politique économique », explique François Brunet. L'onde de choc de la pandémie a obligé l'exécutif allemand à mettre sur pause ces règles budgétaires drastiques. Mais le retour aux règles de rigueur dans les comptes publics pourrait constituer un défi de taille pour financer l'impérieuse transition écologique allemande.
Une démographie allemande à la peine
Enfin, le dernier défi de l'Allemagne concerne sa démographie. Le vieillissement démographique et le ralentissement de la population active outre-Rhin sont loin d'être compensés par les flux migratoires. « Les projections de l'évolution de la population active montrent que la pénurie de main d'œuvre va s'accentuer. Elle concerne tous les secteurs », constate François Brunet.
L'inexorable baisse du taux de natalité en Allemagne va finir par peser dans l'économie. « La population active devrait progresser encore l'année prochaine grâce aux réfugiés ukrainiens. Mais elle devrait ralentir par la suite en raison du vieillissement », poursuit le spécialiste. Si l'Allemagne n'arrive pas à résorber rapidement ce déficit démographique, elle pourrait s'enfoncer dans une longue stagnation largement préjudiciable à la France.