Armistice entre Scor et Covéa : un arrangement qui tombe à pic pour toutes les parties

Le protocole d'accord annoncé, jeudi soir, par Covéa et Scor, qui met fin à une guerre entre les deux groupes, a été salué par les marchés. L’action Scor a grimpé de 8 % vendredi. Il permet finalement à chacun de sortir d’une ornière préjudiciable aux deux groupes et à la place de Paris. Si Scor apparaît sortir vainqueur de ce long conflit, Covéa se renforce encore dans la réassurance et évite un sérieux risque juridique.
Le titre Scor a grimpé de plus de 8 % vendredi suite à l'annonce de la signature d'un protocole d'accord avec Covéa pour mettre fin à leur conflit.
Le titre Scor a grimpé de plus de 8 % vendredi suite à l'annonce de la signature d'un protocole d'accord avec Covéa pour mettre fin à leur conflit. (Crédits : Charles Platiau)

Le protocole d'accord, signé jeudi dernier, entre le réassureur Scor et l'assureur mutualiste Covéa, pour mettre fin à un conflit vieux de près de trois ans, a été salué par les marchés. Le titre Scor a bondi de 8,43% vendredi à 28, 3 euros à la clôture.

Le point clé de cet accord concerne les relations capitalistiques entre les deux groupes. Covéa s'engage en effet à renoncer à toute prise de contrôle de Scor, et même à toute participation au capital, pendant une période de 7 ans. Et le réassureur dispose d'une option d'achat irrévocable sur les 8,4% de son capital détenus par Covéa, au prix d'exercice de 28 euros par action et ce pendant une durée de cinq ans.

Scor dispose ainsi une nouvelle marge de manœuvre sur son capital, notamment celle d'organiser cette sortie comme il le souhaite, par bloc ou au fil de l'eau. Le prix d'exercice constitue dès lors un cours de référence et le marché s'est donc logiquement ajusté à ce prix.

Gagnant gagnant

« L'accord est positif pour Scor et Covéa », souligne Christian Bardoff, analyste chez l'agence de notation Moody's. Il lève, selon lui, une source de tensions pour les équipes dirigeantes, permet à Covéa de diversifier son risque de crédit avec l'acquisition auprès de Scor d'un portefeuille de réassurance vie d'un milliard d'euros, et libère du capital pour le réassureur qu'il peut redéployer dans les activités de réassurance dommages, un marché où les tarifs sont en hausse

« Pour Scor, les points positifs de l'accord semblent l'emporter sur les points négatifs », estime de son côté UBS dans une note, publiée jeudi. Pour l'analyste actions, la transaction est relutive pour le réassureur, dégage du capital réglementaire (de 10 à 20 points de base) et surtout elle lève une hypothèque sur le placement éventuel et non souhaité sur le marché du bloc détenu par de Covéa, ce qui pouvait peser sur le titre. Bien sûr, il enlève également toute prime spéculative sur Scor mais le scénario d'une offre hostile de Covéa sur Scor n'aurait été accepté ni par le régulateur, ni par les conseils d'administration du mutualiste.

Le bon timing pour les parties

La signature de ce protocole a pris les observateurs par surprise. Mais son calendrier ne doit rien au hasard : l'armistice a été signé un moment opportun pour les deux parties. Tout d'abord pour Covéa.

Ses actions en justice contre Denis Kessler, PDG de Scor pour « abus de bien social » et « manipulation de cours » étaient mal engagées depuis que l'Autorité des marchés financiers (AMF) a publiquement (ce qui est exceptionnel) écarté toute idée de manipulation de cours à l'automne 2018, dans la foulée de l'annonce publique par Covéa de son projet d'OPA sur Scor. Cette plainte déposée par Covéa ce printemps auprès du Parquet national financier avait cependant fait mal à la réputation de Denis Kessler, notamment à l'international, même si cette action devait faire pshiiit... dans un ou deux ans au procès.

Mais surtout, Thierry Derez, PDG de Covéa, devait se rendre les 5 et 6 juillet prochains au Tribunal correctionnel de Paris, sur citation directe, pour répondre du grief «d'abus de confiance » (et Covéa de « recel d'abus de confiance »), selon une plainte déposée par Scor début 2019. Le procès aurait dû avoir lieu l'an dernier mais il a été repoussé pour cause de pandémie. Or, là aussi, le procès se présentait mal pour Covéa. Car, entre-temps, au printemps dernier, le Tribunal de commerce de Paris avait lourdement condamné Thierry Derez (et Covéa) pour avoir « manqué à ses obligations contractuelles », en tant qu'administrateur de Scor.

Le réassureur a toujours dénoncé le fait que Thierry Derez aurait profité d'informations confidentielles obtenues en tant qu'administrateur de Scor pour préparer son offre de rachat de la société. De son côté, le patron de Covéa a toujours soutenu qu'il avait agi « dans l'intérêt social » de l'entreprise (Scor).

Le Tribunal de commerce n'était pas de cet avis et son jugement aurait pesé lourd devant le Tribunal correctionnel, surtout selon une procédure en citation directe (pas d'enquête mais jugement sur pièces). Une condamnation éventuelle de Thierry Derez aurait alors eu de lourdes conséquences pour son maintien à la tête de Covéa, surtout après le jugement (qui fait l'objet d'un appel) du Tribunal de commerce. Rappelons qu'un dirigeant de groupe d'assurance, selon la réglementation, se doit d'être « honorable et compétent ».

D'autant que Covéa avait subi un deuxième échec de croissance externe dans la réassurance en renonçant à son OPA sur PartnerRe à l'été 2020, compte de l'impact de la crise sanitaire sur la valorisation des réassureurs. Sans compter les relations longtemps tendues entre Thierry Derez et le régulateur sur les questions de gouvernance. Tensions qui se sont quelque peu apaisées depuis la nomination d'un numéro deux et d'un administrateur référent au sein du groupe mutualiste. Bref, Thierry Derez a sans doute jugé que le jeu judiciaire n'en valait plus la chandelle.

Soulagement chez Scor

Du côté de chez Scor, le soulagement doit être également de mise. Denis Kessler a obtenu ce qu'il a toujours défendu avec acharnement : ne pas passer sous le contrôle du mutualiste. Mais ces procès à répétition étaient clairement une entrave à la bonne marche du groupe et une pression permanente sur son cours de Bourse. Ce protocole d'accord intervient même à quinze jours d'une assemblée générale délicate pour le groupe. Tout d'abord, sur la question de la gouvernance, un domaine dans lequel Scor a toujours voulu se montrer exemplaire.

Or, en mai dernier, cinq mois après avoir désigné Benoît Ribadeau-Dumas, ancien directeur de cabinet du premier ministre Edouard Philippe, comme successeur de Denis Kessler au poste de directeur général, le conseil de Scor a brutalement du changé son fusil d'épaule en nommant à sa place un cadre de maison, Laurent Rousseau, sous la pression du régulateur. Ce parachutage complètement raté avait fait mauvaise impression et pouvait poser question en assemblée générale alors que Denis Kessler devait être nommé président du groupe.

Ensuite, Scor est régulièrement attaqué sur son parcours boursier, jugé contre performant par rapport à ses pairs. L'action ne décolle pas depuis trois ans et a moins rebondi que ses concurrents depuis le trou d'air de mars 2020. L'horizon des 43 euros offerts par Covéa en septembre 2018 apparaît bien lointain...

Une assemblée générale sous pression

Le fonds activiste CIAM reste en embuscade et ne cesse de réclamer un changement de stratégie et de gouvernance chez Scor. Ce dernier a en effet été plus impacté que ses concurrents par la pandémie compte tenu de sa forte exposition dans la réassurance vie aux Etats-Unis, où les décès ont explosé. Enfin, les querelles juridiques, gagnées ou perdues, ne sont jamais de bons signaux auprès des investisseurs, surtout américains. La signature de ce protocole permet donc à Denis Kessler se présenter en meilleure posture à la prochaine assemblée générale.

Les guerres se terminent en général soit par épuisement d'un adversaire où lorsqu'aucune des parties ne trouve plus intérêt à poursuivre le combat. C'est la seconde hypothèse qui a sans doute prévalu. Il aura fallu ensuite toute l'habileté des deux médiateurs, Claude Tendil (Scor) et Jean-Claude Seys (Covéa), deux assureurs respectés, sous l'œil attentif du régulateur, pour conclure un accord à l'amiable qui, une fois n'est pas coutume, est clair, précis et surtout transparent. C'est un soulagement aussi pour la place de Paris, qui devient pourtant coutumière d'affrontements entre de grandes entreprises françaises.

Il reste à tirer ce long conflit des enseignements pour clarifier le rôle des administrateurs dans le conseil des grandes entreprises, où l'entre soi et l'ambiguïté des intérêts continuent de régner.

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