
La facture du changement climatique s'annonce lourde pour le secteur de l'assurance...et pour les assurés. Ce ne sont pas les assureurs qui alertent mais le régulateur du secteur lui-même. Dans le cadre d'un exercice inédit d'évaluation des risques financiers liés au changement climatique, couvrant les secteurs de la banque et de l'assurance, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) prévient que le coût des sinistres « catastrophes naturelles » pourrait être multiplié par cinq à l'horizon 2050. Et encore, souligne le régulateur, la France est relativement épargnée par les scénarios du GIEC, ce groupe international d'experts chargé de faire des prévisions sur le réchauffement climatique et ses impacts environnementaux.
Un régime Cat Nat équilibré jusqu'en 2040
Selon ce stress test climatique, le coût de la sécheresse, des inondations ou des tempêtes, pourrait connaître des pics importants sur certains départements, ceux d'ailleurs régulièrement touchés par des catastrophes naturelles. Ce risque croissant, les assureurs en ont parfaitement conscience. Mais ils misent à la fois sur le système mutualisé du régime des catastrophes naturelles, en partie subventionné par l'Etat, et des hausses tarifaires lissées dans le temps pour faire face.
Le régime « Cat Nat », qui existe depuis 1982, est pour un régime solide, qui repose sur une cotisation obligatoire prélevée sur chaque contrat d'assurance dommages. Ces cotisations alimentent un fonds d'indemnisation géré par un organisme public, la Caisse centrale de Réassurance (CCR). Et selon les modèles de la CCR, l'équilibre financier du système (unique au monde) est préservé au moins jusqu'en 2040, et ce malgré la hausse de la fréquence et surtout de l'intensité des sinistres.
D'ailleurs, le projet de réforme du régime « Cat Nat », actuellement en discussion au Parlement, ne traite que des conditions d'éligibilité au régime et non des questions de financement. « La question du maintien de ce régime au-delà de 2040 reste cependant posée », avance un grand assureur de la place.
Augmentation des tarifs de 130 à 200% d'ici 2050
Sur l'augmentation des primes, le régulateur ne partage pas l'optimisme des assureurs sur le maintien de leurs ratios combinés grâce à des hausses tarifaires. Selon les estimations de l'ACPR, les primes devraient en effet augmenter de 130 à 200% sur trente ans, soit une hausse annuelle de 2,8% à 3,7% au titre du surcoût lié au changement climatique.
« Cela veut dire que l'appréciation des primes serait très significativement supérieure à l'augmentation du PIB. C'est une hypothèse qui ne va pas de soi, pas plus que l'hypothèse d'une revalorisation de la surprime Cat Nat de 12 à 18% », observe Jean-Paul Faugère, vice-président de l'ACPR, en charge du secteur de l'assurance.
D'autant que les assureurs doivent faire à d'autres enjeux, comme la dégradation structurelle de leurs résultats financiers ou la dérive de certains coûts, comme les pièces détachées automobiles. Sans parler des autres risques systémiques désormais clairement identifiés, comme le cyber-risque ou les pandémies.
Le rôle clé de la réassurance
En clair, souligne le régulateur, la question de la hausse de la charge d'assurance sur les assurés est clairement posée. Et si ces derniers ne suivent pas cette envolée anticipée des prix, un certain nombre de risques ne pourraient plus être couverts et « la frontière de l'assurabilité pourrait ainsi reculer », prévient Jean-Paul Faugère. C'est déjà le cas en Californie où il devient presque impossible de s'assurer contre l'incendie dans certaines zones.
Et encore, tous ces scénarios reposent sur l'hypothèse que la proportion des primes cédées par les assureurs aux réassureurs soit constante dans le temps. Ce qui est historiquement le cas... jusqu'à aujourd'hui. Selon les données mondiales consolidées sur les catastrophes naturelles, la part des sinistres effectivement couverte par les assureurs est d'environ un tiers alors que la part prise en charge par les réassureurs est de l'ordre de 50%.
Assurance et cohésion sociale
Mais encore, faut-il, que les réassureurs aient la capacité à faire à la hausse des sinistres dans les années à venir. La question, pour le régulateur, mérite du moins d'être posée, avec dans certains cas, « des absences de couverture ». Même si, en réalité, le chiffre d'affaires de la réassurance mondiale ne cesse de grimper année après année. « Il existe donc une frontière de l'assurable, au-delà de laquelle les risques ne sont plus assurables mais cette frontière ne cesse de s'élargir avec le temps », estime en revanche, dans un entretien récemment accordé à La Tribune, Denis Kessler, PDG de Scor.
Toutes ces questions dépassent largement le cadre de la stabilité financière du secteur de l'assurance. Et soulignent l'impératif de rester sur la trajectoire définie par les Accords de Paris, sous peine de voir des pans entiers de la société non assurés. De quoi remettre en cause la cohésion de nos sociétés.
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