Histoire (s) de la (non) régulation bancaire (2/5) : comment le lobby a neutralisé les lois "anti prêts-rapaces"

La crise des crédits hypothécaires américains risqués, à l'origine de la crise financière de 2008, aurait pu être évitée, si le lobbying intense des établissements financiers n'avait pas empêché d'étendre la loi « anti prêts-rapaces » de la Caroline du Nord aux autres Etats américains.
Christine Lejoux
Les 25 principaux émetteurs de subprimes ont dépensé près de 370 millions de dollars, de 1999 à 2009, en lobbying et financement de partis politiques, selon le Center for Public Integrity. | Reuters

La crise des « subprimes » (crédits hypothécaires américains à risque), à l'origine de la crise financière de 2008, n'était pas une fatalité. Elle aurait pu être évitée grâce à la loi « anti prêts rapaces », adoptée en 1999 par l'Etat de la Caroline du Nord, aux Etats-Unis, affirmait l'économiste Paul Jorion, dans un article publié dans La Tribune du 1er août 2008. Cette loi interdisait d'une part aux établissements financiers de consentir des prêts hypothécaires à des ménages peu solvables, et, d'autre part, d'octroyer un nouveau crédit immobilier dans le seul but de régler les traites d'un précédent emprunt.

Le hic, c'est que cette loi est restée circonscrite à la Caroline du Nord, les banques et les établissements de crédit spécialisés, comme Citigroup, Wells Fargo, Ameriquest et Countrywide Financial, ayant mené un lobbying intense pour empêcher d'autres Etats de prendre des initiatives similaires.

Ameriquest a donné au moins 20,5 millions de dollars à des partis politiques, de 2002 à 2006

Ameriquest, en particulier, n'a pas ménagé ses efforts pour pouvoir continuer à distribuer des subprimes en toute tranquillité. L'établissement de crédit fondé dans les années 1970 par Roland Arnall, ses dirigeants et les épouses de ces derniers ont donné au bas mot 20,5 millions de dollars à des partis politiques, de 2002 à 2006, selon des données de l'Institut national sur le rôle de l'argent dans la politique des Etats (National Institute on Money in State Politics).

Ameriquest n'a pas hésité à viser très haut, l'ancien président des Etats-Unis George W. Bush et l'ex gouverneur de Californie, Arnold Schwarzenegger, comptant parmi les bénéficiaires de ses dons. Le premier recevra quelque 200.000 dollars pour financer sa campagne électorale de 2004, et le second se verra allouer 1,4 million de dollars, ainsi qu'une quantité non négligeable d'invitations à un concert des Rolling Stones...

Ameriquest fera tout pour obtenir l'abolition du Fair Lending Act, en Georgie

C'est que la Caroline du Nord a fait des émules. En 2001, l'Etat de Georgie promulgue le Fair Lending Act, une loi imposant aux établissements financiers accordant des crédits destinés à rembourser des emprunts contractés il y a moins de cinq ans de prouver qu'un tel refinancement procurera un « bénéfice tangible » au consommateur. Ameriquest s'affole, jugeant cette notion de « bénéfice tangible » trop vague et donc quasiment impossible à démontrer. Redoutant de ne plus être en mesure de faire du business en Georgie, du fait de cette loi, Ameriquest va tout faire pour obtenir son abolition.

A commencer par des dons d'argent à certaines personnalités politiques de Georgie. Le gouverneur Mark Taylor recevra ainsi 2.500 dollars en décembre 2001, puis 2.500 dollars supplémentaires en septembre 2002, d'après les données de la Commission d'éthique de l'Etat de Georgie. Cela ne semblant pas suffire, Ameriquest - soutenu par d'autres établissements spécialisés dans les subprimes -menace de ne plus accorder aucun crédit immobilier en Georgie. Quelques mois plus tard, le Sénat de Georgie, puis la Chambre des représentants, rendent les armes, vidant le Fair Lending Act de la quasi-totalité de sa substance.

Le New Jersey modifie le Home Ownership Security Act selon le vœu des lobbyistes

Un an plus tard, c'est au tour du New Jersey de se mettre en tête de réglementer les prêts hypothécaires. Les députés de cet Etat du Nord-Est des Etats-Unis adoptent le Home Ownership Security Act, une loi qui introduit, elle aussi, la fameuse notion de « bénéfice tangible. » Là encore, Ameriquest décide de se battre contre cette nouvelle loi « anti prêts rapaces », avec l'arme que le groupe manie le mieux, à savoir l'argent.

En octobre 2002, cinq sénateurs de l'Etat du New Jersey reçoivent 4.500 dollars de la part du groupe. En pure perte, car, au printemps 2003, la loi est adoptée par le Sénat. Ameriquest redouble d'efforts : 10.000 dollars sont versés aux députés démocrates du New Jersey, 10.000 aux sénateurs démocrates, 7.000 aux sénateurs républicains. Le tour est joué : en juin 2004, le New Jersey modifie le Home Ownership Security Act selon le vœu des lobbyistes.

Les principaux émetteurs de subprimes ont dépensé près de 370 millions de dollars en lobbying

D'autres Etats suivront. Au total, les 25 principaux émetteurs de subprimes ont dépensé près de 370 millions de dollars, de 1999 à 2009, en lobbying et financement de partis politiques, afin de tenter d'empêcher un durcissement de la réglementation de leur secteur, selon une enquête publiée en 2009 par le Center for Public Integrity (CPI), une association à but non lucratif spécialisée dans le journalisme d'investigation. Et la plupart de ces 25 établissements de crédit spécialisés étaient détenus ou financés par de très grandes banques américaines, comme Citigroup, Goldman Sachs, Wells Fargo, JPMorgan, ou bien encore Bank of America.

 

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Christine Lejoux

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