Société Générale entame un chantier historique de réorganisation de ses réseaux bancaires (2/3)

Le projet Vision 2025 vise le rapprochement et la mutualisation des réseaux Société Générale et Crédit du Nord. Le groupe entend mener ce vaste chantier au plus vite pour lancer la « nouvelle banque » dès 2023. Douze groupes de travail sont constitués, avec l’idée de favoriser les mouvements croisés entre les deux réseaux. Quatre grandes négociations avec les syndicats sont prévues dès cette année.
Le chantier Vision 2025 prévoit la fermeture de 600 agences des réseaux Société Générale et Crédit du Nord d'ici 2025.
Le chantier Vision 2025 prévoit la fermeture de 600 agences des réseaux Société Générale et Crédit du Nord d'ici 2025. (Crédits : SG)

C'est un chantier que Société Générale souhaite mener tambour battant. Le projet de rapprochement des réseaux de Société Générale et ceux de sa filiale, le groupe Crédit du Nord, annoncé en décembre, et qui doit se traduire par une réduction de sa base de coûts de 450 millions d'euros d'ici 2024, est sur les rails. C'est un projet majeur pour redresser la rentabilité des activités de détail et muscler un cours de Bourse atone.

Dans une note interne, datée du 21 janvier, Sébastien Proto, directeur général adjoint, en charge des activités de détail, fixe ainsi ses priorités pour 2021 pour lancer les travaux du projet Vision 2025. « Dans ce projet, le rythme est crucial et c'est la raison pour laquelle nous avons souhaité dès maintenant installer cette organisation » permettant de traiter tous les chantiers liés au rapprochement, précise le dirigeant. L'idée est bien d'avancer le plus vite possible pour lancer la « nouvelle banque » au plus tard en 2023.

Favoriser une culture mutuelle

Les premières nominations pour « incarner le projet » ont été ainsi annoncées. Il s'agit, précise le groupe, « de favoriser les mouvements croisés entre les deux réseaux et s'enrichir des cultures mutuelles ». Plusieurs responsables ont ainsi permuté de réseau en fonction des départs à la retraite ou de nominations de responsables de chantiers du projet.

Le patron de la Banque Courtois, filiale du Crédit du Nord, Hervé Rogeau, qui part à la retraite, est remplacé par un manager « rouge et noir », Stéphane Bourdonnec, actuel délégué régional de la zone Marseille de la Société Générale. Dans le même esprit, Didier Pariset, directeur du Crédit du Nord pour la région Nord-Ouest prend la direction du groupe d'agences Société Générale de la région lyonnaise.

Ces échanges de compétences passent également par les métiers. Ainsi, le directeur du Crédit du Nord en Ile-de-France, Sylvain Gueroult, devient directeur du marché des particuliers et des professionnels à la Société Générale, et Bruno Magnin, patron du centre d'affaires régional Ile-de-France de la Société Générale est nommé responsable de la clientèle entreprise du Crédit du Nord. Au total, près de dix nominations sont ainsi annoncées au sein des différents établissements en région.

Une dominante « rouge et noir »

« La direction nous avait déjà expliqué qu'elle procéderait à des nominations croisées afin de réussir la transformation. Ils souhaitaient notamment envoyer des gens de la Générale vers les entités Crédit du Nord, pour faire en sorte que la fusion se passe au mieux, et que les gens s'imprègnent des deux cultures », observe Ludovic Lefebvre, délégué national adjoint CGT à la Société Générale. C'est le cas à Lyon car le nouveau venu vient tout droit du Crédit du Nord.

Pour autant, ces arrivées se concentrent encore pour l'instant du côté de la Société Générale. « Cela démontre bien une volonté d'absorption de la part de la Générale, tandis que le reste du tissu subira la suite du plan », regrette ainsi le syndicat FO, qui y voit là une première pierre en faveur de la régionalisation du futur réseau, alors que les activités de détail de Société Générale sont toujours très centralisées à Paris.

« Cette régionalisation est incontournable, car c'est l'avantage du groupe du Crédit du Nord que de posséder un fort ancrage local. Si nous ne faisons pas ça, nous allons perdre les clients », estime, pour sa part, Ludovic Lefebvre.

Les douze chantiers

Pour mener ce projet, douze groupes de travail ont été constitués sous la responsabilité d'un binôme, composé d'un manager de la Société Générale et d'un manager du Crédit du Nord. Chacun de ces groupes de travail (baptisés chantiers en interne) sont eux-mêmes composés de sous-chantiers en fonction des thématiques à traiter.

Il existe cinq chantiers « métiers » (clients et organisation du réseau, siège et fonctions support, modèle opérationnel, banque privée) et sept chantiers transverses (IT, ressources humaines, relations sociales, juridique, marques, communication). Une équipe dédiée est enfin chargée de la coordination, sous la responsabilité de Nasrine Hasan. L'avenir des marques sera sans doute tranché d'ici 2022 mais pour l'heure, c'est le chantier social qui s'avère le plus sensible.

Inquiétudes sur le front de l'emploi

Le groupe s'est clairement engagé à ne procéder à aucun départ contraint en misant sur les départs naturels à la retraite (environ 1.500 par an). Mais les syndicats redoutent des milliers de suppressions de postes et regrettent le peu d'informations dont ils disposent sur les perspectives de ce projet en termes d'emploi. Certains avancent même un scénario noir de 4.000 suppressions de postes à terme, soit l'équivalent de la moitié des effectifs du Crédit du Nord.

De fait, les rumeurs vont bon train et les tensions sont palpables. Ainsi, la nomination d'un manager de la Société Générale à la tête de la Banque Courtois à Toulouse a été mal perçue par les syndicats. La CFDT notamment y voit un signal de la « mort » de la marque. Ce dont l'actuel président du directoire, Hervé Rogeau, se défend : « je trouve très bien que Stéphane Bourdonnec, la personne qui aura à réaliser la nouvelle banque sur cette zone, connaissent les équipes de la Banque Courtois préalablement avant l'entrée en vigueur de la réorganisation » a-t-il récemment confié à La Tribune.

A Lyon, la nomination de Didier Pariset à la tête des agences Société Générale, « entre dans une logique de nous absorber, même si nous n'avons pas davantage d'informations pour l'instant », estime Ysabel Guadamuro, déléguée CFDT Banque-Rhône-Alpes.

Quatre rounds de négociations prévus en 2021

Sur le terrain social « quatre grandes négociations sont prévues cette année », précise Frédéric Guyonnet, président du Syndicat national des banques (SNB). La première, qui doit commencer dès février, portera sur un accord de méthode, et pour laquelle la direction a demandé aux syndicats de désigner des négociateurs. La négociation sur les différents statuts devrait débuter au printemps.

Prévue dans la seconde moitié de l'année, la négociation sur la gestion prévisionnelle de l'emploi donnera une indication plus précise des mutations et éventuelles suppressions de postes à prévoir. Enfin, à la fin de l'année, une négociation sur les instances représentatives du personnel est programmée Les discussions autour de la marque devraient alors s'enclencher dans la foulée, à la fin de l'année, ou au tout début de 2022.

Redéfinition des ancrages territoriaux

Ce chantier suppose une nouvelle organisation territoriale des réseaux qui concerne à la fois les agences bancaires, les centres administratifs et les sièges locaux ou régionaux. Le groupe Société Générale prévoit en effet la fermeture de 600 agences en France d'ici à 2025. « Dans toutes les régions, au minimum dans 60% des cas, l'agence Crédit du Nord est à moins d'un kilomètre de l'agence Société Générale. Nous serons capables à la fois de réduire le nombre d'agences et de rester dans le même nombre de villes », avait précisé Sébastien Proto, en décembre dernier.

Nombre d'agences ont ainsi vocation à « fusionner » pour éviter qu'une agence Crédit du Nord bouscule une agence Société Générale, et vice-versa. Les critères de choix seront indépendants de l'enseigne, promet-on au siège du groupe, mais plutôt en fonction du fonds de commerce, de l'emplacement et de la taille de l'agence, voire de la nature du bail. Il est probable que la taille moyenne d'une agence de la « nouvelle banque » soit sensiblement plus grande qu'actuellement afin de créer des pôles de compétences.

La question se pose également pour les centres de back-office et les sièges. Par exemple, le siège de la Banque Courtois (une centaine de salariés) se trouve à Toulouse alors que la délégation régionale de Société Générale se situe à Bordeaux. La mutualisation prévue des services centraux devrait se faire nécessairement au détriment de l'un des deux sièges. La crainte des syndicats porte ainsi sur des mobilités qui seraient « imposées ». Cette question ne se pose pas partout, notamment à Paris et à Marseille où les sièges sociaux sont dans la même ville.

La région de Lyon sera également un enjeu majeur de cette réorganisation, et la nomination du nouveau patron Société Générale, au profil tourné vers les RH, laisse augurer, selon les syndicats, une profonde réorganisation des équipes. D'autant que Lyon est le second marché domestique de Société Générale, avec un centre d'affaires d'entreprise, deux directions commerciales et des centres de back-office.

Accélération du chantier ?

Certains redoutent également une accélération de la réorganisation annoncée pour 2023, en raison du contexte sanitaire. « Le projet qui nous a été présenté mentionnait qu'il serait possible de créer des filiales au fur et à mesure du projet de réorganisation. Il s'agit d'une phrase anodine, mais cela peut aussi traduire une volonté de commencer cette fusion par de petites entités, pour tester notamment les retours des clients ou les conséquences informatiques », s'interroge Ysabel Guadamuro, déléguée déléguée CFDT Banque-Rhône-Alpes.

« L'un des enjeux pour la réussite de cette transformation sera à la fois d'accompagner la formation, ainsi que la mobilité, pour ceux qui le peuvent. Mais l'on sait déjà que dans certaines régions comme l'Auvergne, la fermeture d'une agence pourrait être difficile à remplacer », traduit Ludovic Lefebvre.

Enfin, autre enjeu et non des moindres, certains craignent également que ce projet, qui fait suite à plusieurs autres plans de réorganisation amorcés par « la Générale » au cours des dix dernières années, ne soit cette fois le prélude d'une ultime phase de consolidation au sein de la filière bancaire française, voire à l'échelle européenne à moyen terme.

« Cela fait un moment que notre direction générale nous dit que la consolidation bancaire européenne est encouragée par Bruxelles. Mais dans le contexte actuel, il est difficile de voir quel groupe aurait les reins assez solides », glisse l'une de nos sources.

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