De quoi la Banque nationale suisse (BNS) est-elle le nom ?

LIVRE. Dans « BNS. Rien ne va plus » (éditions Favre), l'économiste Michel Santi dresse un bilan sévère de l'action menée depuis le début des années 2000 par la BNS, la banque centrale suisse, qui s'est soldée par l'annonce en début d'année d'une perte équivalent à 133 milliards d'euros. Des agissements qui s'inscrivent dans le rôle joué par les banques centrales d'assureur en dernière instance d'un système financier devenu « too big to fail », comme l'illustre aujourd'hui le sauvetage du vénérable Credit Suisse par sa compatriote UBS avec l'aide et les garanties des pouvoirs publics et de la BNS.
Robert Jules
Michel Santi publie aux éditions Favre, « BNS. Rien ne va plus » dans lequel il dresse un bilan sévère de l'action menée depuis le début des années 2000 par la banque centrale suisse.
Michel Santi publie aux éditions Favre, « BNS. Rien ne va plus » dans lequel il dresse un bilan sévère de l'action menée depuis le début des années 2000 par la banque centrale suisse. (Crédits : Reuters)

Le livre de Michel Santi, « BNS. Rien ne va plus » (éditions Favre), tombe à point nommé en pleine turbulence du secteur bancaire. L'auteur (chroniqueur à La Tribune), fin connaisseur des arcanes de la finance internationale est un ancien trader ayant travaillé pour des banques suisses et devenu par la suite gérant de hedge funds. Son ouvrage se penche sur l'histoire récente de la Banque nationale suisse (BNS), la banque centrale du pays. Or, cette dernière vient d'octroyer une ligne de liquidité de 200 milliards de francs suisses dans le cadre du sauvetage de la vénérable institution qu'était le Credit Suisse, avalé par la banque UBS en quelques jours avec la bénédiction, et évidemment les garanties financières, des pouvoirs publics.

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Or, en début d'année, la BNS avait annoncé avoir subi une perte de 130 milliards de francs suisses (133 milliards d'euros), en raison de la baisse des valorisations sur les marchés financiers et de sa défense de la devise helvétique. En effet, pour mener sa politique monétaire, la BNS s'appuie sur un vaste portefeuille de placements qui comprend notamment de l'or, des actions et des obligations. Conséquence, aucun versement ne sera réalisé à la Confédération et aux cantons du pays, et ce, jusqu'en 2027. En 2021, 6 milliards de francs avaient été reversés grâce à un bénéfice de 26,3 milliards de francs suisses.

Un « gigantesque hedge fund »

Mais est-ce le rôle d'une banque centrale que d'investir sur des marchés financiers internationaux, par définition volatils, qui plus est lorsqu'il finance des collectivités ? Michel Santi en doute. Pour le montrer, il rappelle les dérives spéculatives qui scandent l'histoire de l'institution depuis 2010, la transformant en un « gigantesque hedge fund », selon l'auteur, dont le bilan s'élève à plus de 1.000 milliards de francs suisses. Emblématique de cette gestion erratique de la BNS, décrite en détail par Michel Santi, la liquidation au début des années 2000 de l'important stock d'or alors que les cours étaient au plus bas, à 351 dollars l'once (aujourd'hui, il évolue à près de 2.000 dollars) avec un manque à gagner de près de 70 milliards de francs suisses! Cette opération aurait dû entraîner une réaction des citoyens, d'autant plus qu'elle écornait l'image du pays réputé pour la confiance qu'il inspirait dans le milieu financier international. Hélas, « le citoyen suisse - étant de nature discipliné et respectueux - n'a jamais remis en question la stratégie de sa banque centrale dont la réputation est restée intacte », regrette l'auteur.

Néanmoins, l'institution monétaire suisse n'aurait pas connu une telle transformation si le cadre financier global n'avait pas lui aussi changé. À partir des années 1990, c'est à un véritable bouleversement culturel auquel on assiste. « Il s'avère que la financiarisation, devenue aujourd'hui extrême, de la science économique et des marchés a profité à ces banques centrales qui ont démontré une adaptation exemplaire en embauchant des experts hautement qualifiés certes, mais sans aucune culture historique ni même économique, car des géants comme Keynes ou Minsky étaient relégués au rang d'antiquités encombrantes... », déplore Michel Santi. Avec la déréglementation de la finance à l'œuvre depuis plus de trente ans et la rapidité des opérations de transferts offerte par la numérisation, la finance perd sa dimension humaine pour devenir un jeu d'optimisation des gains géré par des modèles mathématiques. Or, à ce jeu-là, la BNS, qui veut occuper les premiers rôles sur la scène internationale, s'est brûlée les ailes.

Priorité aux marchés financiers

Car à la faveur des crises financières qui se sont succédé depuis la fin des années 1990, les banques centrales se sont transformées en assureur en dernière instance pour sauver les économies - on se souvient de Mario Draghi, président de la BCE, annonçant la défense de l'euro, « quoi qu'il en coûte » -, en s'adressant aux marchés financiers devenus leurs premiers interlocuteurs reléguant au deuxième plan les gouvernements et leurs politiques économiques. Pour le constater, il suffit aujourd'hui d'écouter une conférence de Jerome Powell (Fed) ou de Christine Lagarde (BCE) pour le constater.

Et c'est là le problème aujourd'hui, le système bancaire et financier est assuré d'être toujours sauvé, même s'il faut laisser de temps à autre un établissement sombrer (Lehman Brothers hier, Credit Suisse aujourd'hui). « Ce sont nos banques centrales qui ont créé les « Too big to fail » (trop gros pour faire faillite) », pointe Michel Santi, les deux entités formant désormais « les deux facettes d'une même pièce ».

Cette évolution a eu pour conséquence que loin d'être au service des citoyens, les politiques monétaires menées par les banques centrales ont été menées au gré « des expérimentations même les plus hasardeuses de cette organisation bureaucratique suprême qui est à l'intersection entre l'Etat et la finance », tacle l'auteur.

Néanmoins, le citoyen helvète qu'est Michel Santi ne veut pas désespérer au regard de l'histoire du pays. La BNS, dépositaire d'une partie du patrimoine du peuple suisse, pourrait retrouver son statut qui a fait sa réputation d'antan en devenant à nouveau « un pôle d'attraction à l'échelle universelle ».

Pour cela, elle doit emprunter une autre voie en relevant notamment le défi posé par la nécessité d'évoluer vers un modèle économique qui remet la finance au service des personnes, ce qui, aujourd'hui, passe par la priorité donnée au défi climatique, dont les menaces sont plus graves que celles des spéculateurs.

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Michel Santi « BNS: rien ne va plus. Une banque centrale ne devrait pas faire ça », éditions Favre, 96 pages, 13,50 euros, mis en vente le 13 avril.

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Robert Jules

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Commentaire 1
à écrit le 30/03/2023 à 13:15
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En Suisse comme partout dans le Monde les bénéfices sont privatisés et les pertes socialisees. Tout le Monde aura compris que la finance est une fantastique échelle de Ponzi avec le "hic" de la remplacer par quoi? Il est désormais impossible qu'elle...

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