La France et la Suisse devant la Cour européenne pour « inaction climatique », une première « historique »

La Cour européenne des droits de l'homme va se pencher mercredi sur l'inaction climatique présumée des États. Elle va examiner deux affaires visant la France, poursuivie par l'ancien maire d'une commune menacée par les eaux, et la Suisse, assignée par des retraitées qui dénoncent les effets du réchauffement climatique sur leur santé. Une première dans l'histoire, amenée probablement à se reproduire puisque les plaintes pour contraindre les États à agir pour le climat se multiplient partout en Europe.
La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) va se saisir en audience publique de requêtes climatiques ce mercredi.
La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) va se saisir en audience publique de requêtes climatiques ce mercredi. (Crédits : Vincent Kessler)

C'est une grande première : la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) va se saisir en audience publique de requêtes climatiques ce mercredi 29 mars. La Suisse est assignée par des retraitées qui dénoncent les effets du réchauffement sur leur santé, tandis que la France est poursuivie par l'ancien maire d'une commune menacée par les eaux.

Le dossier suisse ouvrira les débats dès 09h15 et sera suivi par le cas français à partir de 14h15. La Cour ne devrait toutefois pas rendre ses décisions avant plusieurs mois.

Une « inaction climatique » des États déplorée et dénoncée de longue date. Le Giec, le groupe d'experts intergouvernemental sur le climat réuni sous l'égide de l'ONU, a d'ailleurs rappelé la semaine dernière dans sa synthèse l'intérêt majeur qu'auraient les décideurs à investir massivement pour désamorcer la bombe à retardement climatique. Les scientifiques sont sans appel : « les bénéfices économiques et sociaux dépasse[ront] » le coût des mesures à mettre en place, aussi chères soient-elles.

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« Historique »

L'examen de ces deux affaires par la CEDH est un « événement historique », estime Anne Mahrer, 64 ans, l'une des porte-paroles de l'association « Les Aînées pour la protection du climat suisse ». Depuis 20 ans, « tous les rapports montrent que tout le monde est touché » par le réchauffement climatique. Les seniors particulièrement, et plus encore « les femmes âgées », « particulièrement vulnérables en termes cardio-vasculaires ou respiratoires », soutient-elle.

Soutenue par Greenpeace Suisse, cette association compte plus de 2.000 membres, pour une moyenne d'âge de 73 ans. Une cinquantaine d'entre eux fera le déplacement à Strasbourg, où siège la CEDH, a indiqué la porte-parole à l'AFP. Devant la Cour européenne, la structure entend invoquer plusieurs violations par la Confédération helvétique d'articles de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, notamment celui garantissant le droit à la vie.

L'action des Aînées pour contraindre la Suisse à agir davantage pour le climat a démarré dès 2016, avec une série de recours, vains. Au final, le tribunal fédéral, autorité judiciaire suprême en Suisse, avait estimé en substance que « nous n'étions pas touchées de manière particulière », s'agace Anne Mahrer. Or, la Suisse, « un pays riche (...) qui devrait être exemplaire et qui ne l'est pas », est « extrêmement impacté par le changement climatique (...) nos glaciers fondent », s'alarme l'ancienne députée écologiste.

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Une « carence » de la France qui pourrait faire jurisprudence

L'autre dossier sera celui de l'ancien maire de Grande-Synthe (Nord), Damien Carême, devenu depuis député européen Europe Écologie-Les Verts (EELV). En 2019, il avait, en son nom propre et en tant que maire, saisi le Conseil d'État pour « inaction climatique », estimant que sa commune, située sur le littoral, était menacée de submersion.

La plus haute juridiction administrative avait donné raison en juillet 2021 à la commune, laissant neuf mois à la France pour « prendre toutes mesures utiles » afin d'infléchir « la courbe des émissions de gaz à effet de serre » pour être en accord avec les objectifs de l'Accord de Paris (-40% d'ici 2030 par rapport à 1990).

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La requête de Damien Carême, en son nom propre, avait en revanche été rejetée et il avait saisi la CEDH. L'eurodéputé soutient que la « carence » de la France à prendre les mesures nécessaires pour tenir les objectifs le touche « directement » puisqu'elle « augmente les risques que son domicile soit affecté » par la montée des eaux, indique la Cour dans un communiqué.

L'enjeu, « c'est de faire reconnaître la violation » de la Convention « du fait de l'exposition particulière de Grande-Synthe aux risques de submersion liés au changement climatique et, plus largement, faire reconnaître l'insuffisance du régime juridique (...) en France pour limiter au maximum » les dommages encourus, analyse Théophile Bégel, avocat avec Corinne Lepage de Damien Carême.

« L'enjeu est extrêmement important », a indiqué l'avocate à l'AFP. « Si la cour européenne reconnaissait que la carence climatique viole les droits des individus à la vie et à une vie familiale normale, cette jurisprudence s'appliquerait dans tous les États du conseil de l'Europe et potentiellement dans tous les États du monde ».

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Les plaintes se multiplient partout en Europe

Les deux audiences qui se tiendront ce mercredi interviennent dans un contexte où les plaintes pour contraindre les États à agir pour le climat se multiplient. En France, fin 2021, l'État avait été condamné par un tribunal parisien dans « l'Affaire du siècle », un collectif de quatre ONG soutenues par une pétition de plus de 2,3 millions de citoyens. Début mars, il a été poursuivi par un bureau d'étude spécialisé dans les projets éoliens et photovoltaïques pour son « refus » d'accélérer concrètement le développement des énergies renouvelables. Cette société d'ingénierie basée à Poitiers, Eolise, a déposé auprès du Conseil d'État un recours dont l'issue n'est pas attendue « avant au moins un an ».

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En Europe aussi, les plaintes s'accumulent. En 2019, la Cour suprême des Pays-Bas avait ordonné au gouvernement de réduire ses émissions de gaz à effet de serre d'au moins 25% d'ici 2020, après la plainte d'une association écologiste. Fin janvier, c'est la Fédération allemande pour l'environnement et la conservation de la nature (BUND) qui a déposé un recours contre le gouvernement allemand pour non-respect des objectifs climatiques fixés par la loi allemande. L'ONG dénonce l'inaction de plusieurs ministres du gouvernement de coalition du chancelier Olaf Scholz qui n'auraient pas mis en place les programmes d'urgence nécessaires pour faire baisser les émissions de carbone.

En outre, la CEDH examinera, sans doute après l'été, une autre affaire climatique d'ampleur. Celle de jeunes Portugais qui ont assigné leur pays ainsi que 32 autres États pour leur inaction supposée contre le réchauffement.

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(Avec AFP)

Commentaires 10
à écrit le 27/03/2023 à 19:16
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Et les allemands avec leur charbon?

à écrit le 27/03/2023 à 18:42
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Si part Hazard quelq'un a la solution Miracle qu'il en informé au plus vite les autorités compétentes merci

à écrit le 27/03/2023 à 18:31
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la suisse n'est pas dans l'union européenne , elle est donc souveraine de ses décisions contrairement à nous

à écrit le 27/03/2023 à 18:08
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Un système extrêmement pervers dans lequel des ONG financées par l'UE, voire dans certains cas par notre propre gouvernement, peuvent faire appel à un pouvoir judiciaire supranational pour combattre les décisions souveraines d'un Etat.

à écrit le 27/03/2023 à 14:53
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Il faut vraiment être incompétent pour intenter un tel procès

à écrit le 27/03/2023 à 11:44
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Et le bilan français ne va pas s'arranger vu tout ce qui crame à Paris et dans les bassines! Il va donc falloir revenir en arrière sur la réforme des retraites pour satisfaire Bruxelles. En ce qui concerne la Suisse, encore plus ridicule: ce pays est...

à écrit le 27/03/2023 à 11:42
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On devrait interdire à des ONGs, de plus d’origine extra européenne, de poursuivre en justice des États dirigés par des gens élus par des citoyens…. Ce sont ces derniers, et eux seuls, qui peuvent par leur bulletin de vote approuver ou sanctionner le...

à écrit le 27/03/2023 à 11:17
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A quand un procès contre nos gouvernants parce que "la pluie ça mouille et le soleil ça brûle" ? Il faut fermer tous ces machins qui dérapent continuellement vers le gouvernement des juges : quoi qu'il en coûte !

à écrit le 27/03/2023 à 10:57
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La France et la Suisse, deux des pays avec la Norvège qui ont la plus faible empreinte carbone au monde en ce qui concerne la production d'électricité.......No comment

à écrit le 27/03/2023 à 10:39
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Il est temps de dénoncer les traités sur le Conseil de l'Europe et sa Cour. Cela fait plusieurs fois que la France est condamnée ou sanctionnée. Or, ce n'est pas aux juges de faire la loi par ce biais vicieux.

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