
L'entreprise est sérieuse. Autrement dit, dans le monde de la finance, elle est régulée et enregistrée auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF) comme PSAN (prestataire de services sur actifs numériques). Pour autant, la campagne de pub de la plateforme Coinhouse pour promouvoir, à l'hiver dernier, son livret « Crypto » à 5% garanti, a fait tiquer le régulateur. La promesse d'un « avenir pour ceux qui en (des cryptos) achètent », ou même l'invitation à agir maintenant (« ne soyez pas en retard à la prochaine heure de pointe »), ou plus simplement, l'affirmation, « le bitcoin ça vaut plus le coup », collaient un peu trop aux messages de vrais arnaqueurs, qui pullulent sur les réseaux sociaux, pour escroquer les épargnants un peu trop crédules.
Car les livrets et les cryptos sont les deux tendances à la mode dans l'univers lucratif - 500 à 600 millions d'euros envolés en 2020, selon des estimations du Parquet - de l'arnaque financière. Et encore, c'est sans doute que la partie visible de l'iceberg car beaucoup de victimes ne se manifestent pas auprès des autorités, par honte de s'être fait arnaquer aussi facilement.
« Les cryptos font partie de notre top 2 des arnaques, avec un préjudice moyen déclaré de 40.000 euros au premier trimestre 2022... contre 20.000 en moyenne en 2021. C'est donc bien un sujet de vive préoccupation pour nous », reconnaît Claire Castanet, directrice des relations avec les épargnants et de la protection à l'AMF, lors de la présentation du rapport d'activité 2021 du pôle commun AMF/ACPR (autorité de contrôle prudentiel et de résolution), en charge de veiller aux bonnes pratiques commerciales de l'industrie financière.
« Pour attirer le grand public, le message subliminal « allez-y, ne ratez pas l'occasion », avec cette notion d'urgence, de la bonne affaire à saisir, est l'un des principaux ressorts des arnaques autour des cryptos », précise Claire Castanet.
Le livret, un support de choix pour les arnaqueurs
De son côté, Grégoire Vuarlot, directeur du contrôle des pratiques commerciales à l'ACPR, constate toujours une hausse exponentielle des arnaques autour d'un livret, avec un préjudice moyen de 72.000 euros, qui peut monter dans certains cas à 600.000 euros. « Le livret, c'est rassurant, tout le monde connaît... », avance le superviseur.
Or, contrairement aux termes de banque, ou d'assurance, le livret est une notion passe-partout qui n'est pas du tout encadrée juridiquement. Tout le monde peut donc l'utiliser à tort et à travers, alors même que dans l'esprit des ménages, il renvoie aux livrets réglementés (livret A) et à une image de sécurité et de liquidité.
Les autorités s'attendent même à ce que cette arnaque au faux livret prospère dans un contexte de montée des taux, à l'ombre des vraies campagnes de commercialisation de livrets bancaires qui (re)commencent à fleurir dans le paysage de l'épargne.
Le profil type des victimes est difficile à déterminer tant il touche tout le monde, « des riches comme des pauvres », souligne Benoît de Juvigny, secrétaire général de l'AMF, généralement plus âgé que la moyenne des Français. Quant aux arnaqueurs, ils sont rarement identifiés car localisés dans des pays étrangers, parfois européens comme Chypre, le plus souvent hors d'Europe, comme les pays du Maghreb ou Israël. Les circuits sont complexes et jouent allégrement le saute-pays, ce qui rend les enquêtes difficiles et la coordination judiciaire compliquée.
Cap sur la prévention
C'est pourquoi le seul levier pour l'heure efficace reste la prévention, insistent les autorités. Cela passe par des campagnes radio et TV de prévention auprès du grand public et la promotion du site Assurance Banque Info Service (Abeis) qui alerte sur les faux sites (liste noire) et informe le public (190.000 appels en 2021 et plus de 1,4 million de visites). Ainsi, l'AMF et l'ACPR ont inscrit plus de 1.300 sites frauduleux sur liste noire en 2021, ce qui porte le total des sites bannis à près de 4.000 aujourd'hui.
Le bon sens est également un remède efficace : ne pas répondre à un appel non sollicité, bien regarder les mentions du site, ne jamais communiquer de données bancaires, se méfier des offres alléchantes, comme ses fameuses « soldes » sur des actions cotées, ce qui est en soi une aberration en Bourse. Autre phénomène inquiétant, les usurpations d'identité de professionnels reconnus ou de marques populaires, comme Amazon.
Le plus dangereux, et le moins visible (donc le moins détectable pour les superviseurs), se trouve indiscutablement sur les réseaux sociaux ou les messageries cryptées. Certains influenceurs y jouent également un rôle prépondérant pour attirer des jeunes vers les griffes des arnaqueurs.
Au-delà de l'arnaque, les régulateurs s'inquiètent même des messages véhiculés sur des réseaux comme Tik Tok auprès des très jeunes, sur la promesse d'un enrichissement futur aussi certain que rapide qui rend finalement les études inutiles... Trop beau pour être vrai est sans doute le meilleur réflexe à avoir face à ces illusions qui peuvent coûter très cher.
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