Mème, ISR, SPAC : ces mots-clés qui résument l'année hors normes des marché financiers

L’année 2021 restera sans doute dans les mémoires. Les performances de la Bourse ont surpris, comme d’ailleurs les performances des entreprises qui ont profité à plein de la reprise de l’activité. Mais ces phénomènes nouveaux se sont installés dans le paysage financier, comme cet étranger mouvement collectif autour des actions « mèmes », qui témoigne d’un retour en force du boursicoteur, ou l’institutionnalisation croissante des cryptomonnaies. Cet exercice marque également le changement de cap des politiques monétaires, l’apparition de l’inflation et la quasi célébration de l’investissement responsable. Cinq mots clé pour décrire un année financière atypique.
La hausse des indices en 2021 masque des performances contrastées entre les secteurs et les valeurs.
La hausse des indices en 2021 masque des performances contrastées entre les secteurs et les valeurs. (Crédits : Willy Kurniawan)

#Dispersion

La Bourse a incontestablement eu la cote en 2021. Les performances des principaux indices boursiers sont sans appel (au 28 décembre) : +29% pour le CAC 40, +22,5% pour le Stoxx Europe 600, +27,5% pour le S&P 500 et +22,5% pour le Nasdaq. Avec un tempo qui s'est singulièrement accéléré au dernier trimestre. Pourtant, le champagne ne va pas couler à flot pour fêter l'évènement.

D'abord parce que bien peu d'investisseurs avaient anticipé en début d'année un tel rally sur les actions, alors que les menaces sanitaires étaient loin d'être dissipées. Toujours très investis en cash, les fonds actions n'ont eu de cesse de courir après la hausse des indices, attendant la moindre consolidation (pas moins de six cette année au gré des variants) pour reprendre du risque à meilleur prix. Le flux acheteur n'a donc jamais réellement fait défaut.

Ensuite, parce les performances des indices sont avant tout en trompe-l'œil, qui masquent de nombreuses contre-performances, notamment dans la Tech ou l'industrie. Ainsi, 70% de la performance du Nasdaq repose sur quatre valeurs (et cinq lignes) : Microsoft, Apple, Nvidia et Facebook/Alphabet. « Ce phénomène de concentration se reproduit de cycle en cycle mais il n'avait jamais atteint ce niveau-là », note Christophe Donay, responsable de la recherche économique et de l'allocation d'actifs chez Pictet Wealth Management.

Pour certaines pythies de Wall Street, comme Cathie Wood et son fonds vedette Ark Innovation, l'année 2021 a même tourné au cauchemar. De même, le CAC 40 doit beaucoup au trio de tête des valeurs de luxe, LMVH, Hermès et L'Oréal et au rebond des valeurs bancaires, après plusieurs années de purgatoire.

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Au total, les actions peuvent paraître chères mais elles restent valorisées sur des multiples inférieurs à ceux du pic historique des années 2000, soit 21 fois les résultats 2021 sur le S&P 500 à la fin novembre et 15,8 fois les résultats 2021 sur le Stoxx 600. Quant à la prime de risque, elle se maintient sur sa moyenne historique. Pas d'euphorie donc sur les marchés.

#Mème

Si les marchés actions sont finalement restés raisonnables, eu égard à l'ampleur de la reprise économique et les résultats en forte hausse des entreprises, des phénomènes nouveaux, bien plus exubérants, sont apparus sur les marchés. La richesse rapide accumulée par certains afficionados des actions « même », ces actions décotées dont s'entichent les réseaux sociaux, des cryptomonnaies ou de certaines fintechs a de quoi faire réfléchir les plus grands cadors de Wall Street.

Chacun se souvient de la saga GameStop, qui déclencha un étrange mouvement collectif, entre spéculation et rébellion, et qui fit chuter quelques grands fonds spécialisés dans les ventes à découvert. Beaucoup a également été écrit sur la folle ascension des cryptomonnaies, y compris les plus ubuesques, comme le Dogcoin. Le marché des cryptomonnaies est désormais valorisé autour de 2.500 milliards de dollars (dont 40% pour le bitcoin et 20% pour l'éther) et certaines cryptomonnaies, comme le Solana, se sont affirmées cette année comme les dignes héritières du bitcoin dans les portefeuilles.

Car le tournant est désormais engagé : 2021 aura clairement marqué un changement de statut des cryptomonnaies, de simple curiosité pour geeks à un actif plus respectable, éligible dans les portefeuilles. Les cryptomonnaies ont même leur ETF (fonds indiciels), symbole de l'intégration de ces monnaies virtuelles à la finance institutionnelle. Revers de la médaille : les « cryptos » sont de plus en plus sensibles aux mécanismes de marché traditionnels, comme les contrats à terme, qui sont devenus les supports privilégiés des institutionnels pour investir dans ces actifs alternatifs (généralement, les fonds n'ont pas le droit d'investir directement dans une crypto).

Reste que la fête pourrait bien se terminer. Une violente correction des actions « meme » est en cours. GameStop a ainsi perdu de 26% sur un mois à 148 dollars, ce qui porte néanmoins son gain depuis le début de l'année à... près de 700% ! Encore faut-il que les investisseurs n'aient pas acheté la valeur à son plus haut du 27 janvier (482 dollars !).

Symbole de cette folie spéculative de début d'année, Robinhood, la plateforme de trading sans frais, sans qui rien n'aurait été possible, en fait également les frais, en perdant près de la moitié de sa valeur depuis son introduction en Bourse en juillet dernier.

Hasard, la correction de fin d'année touche également les cryptomonnaies. Le bitcoin a perdu 18% de sa valeur sur un mois à 47.600 dollars (mais gagne toujours 60% depuis le début de l'année). Une correction qui s'expliquerait par le débouclage de fin de d'année des contrats à terme.

Autre symbole de cette finance hors sol, la plateforme d'échange de cryptomonnaies Coinbase parvient d'ailleurs tout juste à se maintenir au-dessus de son prix de référence (250 dollars l'action) de la veille de son introduction en Bourse en avril. Pour de nombreux observateurs, 2022 aura valeur de test pour le marché des cryptos alors que beaucoup parient sur un dégonflement de la bulle dans les prochains mois.

En attendant, les régulateurs entendent bien mettre de l'ordre dans cette nouvelle finance et gardent un œil sur les « nouveaux influenceurs » des réseaux sociaux, le magnat Elon Musk en tête, qui rêvent de faire la pluie et le beau temps sur les marchés. Car, l'une des leçons de cette année 2021, aura été également le grand retour des particuliers sur la Bourse, et surtout des boursicoteurs, galvanisés sur les réseaux sociaux.

#SPAC

Les SPAC (Special purpose acquisition company) sont également une incarnation de cette nouvelle finance décomplexée. Ils ont pris leur envol aux Etats-Unis en 2020 avant de connaître une frénésie d'introductions en Bourse au premier trimestre, puis une certaine accalmie au grand soulagement des régulateurs américains. L'Europe a suivi mais à pas très mesurés et très encadrés. Au 30 septembre, 470 SPAC ont été lancés (dont 447 aux Etats-Unis, les deux tiers au premier trimestre) pour 114 milliards de dollars levés (versus 70 milliards en 2020).

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Pour mémoire, un SPAC est un véhicule coté dont l'unique objet social est de réaliser, dans un délai de 18 à 24 mois, l'acquisition d'une société non cotée avant de fusionner avec elle afin que ce soit la cible qui reste cotée en Bourse (opération de despacking). Le SPAC doit donc lever des fonds avant même de concrétiser son projet, sur le seule « bonne mine » de ses « sponsors », généralement des entrepreneurs, des banquiers d'affaires, mais aussi parfois des célébrités du show business.

Pour les partisans, c'est un moyen rapide et efficace d'introduire une société en croissance en Bourse, sans attendre un track record de résultats suffisant pour envisager une introduction en Bourse classique. Les investisseurs du SPAC misent ainsi sur le flair des sponsors pour dégoter les meilleures affaires au meilleur prix.

Pour les détracteurs (nombreux), le SPAC permet au pire d'enrichir ses sponsors, au mieux de réaliser un parcours boursier plus que médiocre (après acquisition). Le gendarme de Wall Street a cependant sifflé les arrêts de jeu en rappelant que les SPAC doivent être soumis aux mêmes règles de transparence que les sociétés qui s'introduisent en Bourse, notamment en ce qui concerne les prévisions de la cible non cotée. Chacun s'attend désormais à une certaine normalisation du marché.

#Conundrum

Les taux longs restent obstinément bas. Le marché continue de donner tord aux pessimistes qui tablent sur une poussée des taux sur fond de retour de l'inflation et du clap de fin, donné en septembre et confirmé en décembre, de la politique monétaire ultra-accommodante de la Fed. Alors que les marchés anticipent désormais trois hausses des taux courts aux Etats-Unis en 2022 (soit 0,9% à la fin de l'année prochaine), l'emprunt du Trésor américain à 10 ans s'effrite sous les 1,5%.

Pas plus de hausse de taux long en Europe, certes toujours en décalage de cycle avec les Etats-Unis. Le Bund allemand à 10 ans reste désespérément en territoire négatif. D'où un aplatissement de la courbe des taux qui reflète, en théorie, un prochain ralentissement très marqué de l'économie, auquel personne ne croît. Cela fait donc des semaines que les investisseurs s'interrogent sur le refus des taux longs à remonter.

C'est la fameuse « énigme » ou « conumdrum » constatée dans les années 2000 par Alan Greenspan, alors président de la Fed. Comment les taux longs peuvent rester aussi bas alors que la Fed a donné le signal de la hausse des taux courts ? Certes, il y a beaucoup de paradigmes qui ne fonctionnent plus, comme la courbe de Philips (corrélation négative entre taux de chômage et inflation, peut être en voie de réveil), ou bien la corrélation positive entre prix du pétrole et taux longs.

Reste que cette énigme inquiète les gérants, qui ne cessent de mettre en place des couvertures contre la hausse des taux avant de les déboucler précipitamment. Il faut dire que les messages des différentes banques centrales sont désormais divergents. La Banque du Japon, la Banque nationale suisse et la Banque centrale européenne optent pour un statu quo sur les taux. A l'inverse, la Fed et la Banque d'Angleterre sont engagées dans un mouvement de hausse. Quant à la Chine, elle doit relancer son économie et pourrait baisser ses taux. Une chose est sûre : toutes les banques centrales auront à piloter un atterrissage de l'économie en 2022, en prenant soin d'éviter une sortie de piste.

#ISR

Aujourd'hui plus qu'hier, il faut sauver la planète. Et pour sauver la planète, il faut investir dans des fonds ISR (Investissement socialement responsable). C'est désormais le credo de l'industrie de la gestion d'actifs, «nous plaçons l'ESG au cœur de nos processus de gestion », qui répond ainsi à une incontestable demande sociétale mais qui y voit également une planche de salut pour la gestion active, de plus en plus mise à mal face à l'explosion de la gestion indicielle à bas coûts. Surtout qu'en 2021, la gestion active aura eu bien du mal à battre les indices.

L'ISR ou bien la finance durable, la finance à impact, finance thématique, bref toutes ces approches de l'investissement qui intègrent des critères extra-financiers, n'est pas nouveau. Le cadre institutionnel date de 2006 (principes des Nations Unies), l'impulsion de 2015 avec les Accords de Paris, et sa diffusion en France auprès du grand public de la Loi Pacte de 2019 qui ouvre les portes de l'assurance-vie aux fonds ISR. Ensuite, la crise sanitaire semble avoir réveillé les consciences.

Tout le monde semble désormais convaincu de la pertinence de l'approche et personne de toute façon ne se risquerait à louper le train qui passe. Même les géants américains, comme BlackRock, jusqu'ici peu concernés, ont succombé à la vague verte. Et la gestion indicielle tente désormais de rattraper son retard en multipliant les ETF ESG.

Mais l'enjeu désormais pour la finance est d'être à la hauteur des attentes et surtout de ne pas décevoir. Le procès en « greenwashing » n'est jamais loin, et les ONG et les régulateurs veillent au grain. En août, le gestionnaire allemand DWS a ainsi été accusé d'avoir surestimé ses encours gérés selon les critères ESG. L'impact sur l'image de la société a été désastreuse. Les limites des différents labels « ISR » commencent à apparaître et toute la difficulté est d'expliquer pourquoi des valeurs très carbonées, comme TotalEnergies, restent au portefeuille. Après les principes, l'heure est donc venue de mettre le nez dans le moteur et de regarder précisément comme il tourne.

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Commentaires 2
à écrit le 02/01/2022 à 21:11
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Je suis l'heureux propriétaire de quelques parts d'un fonds labellisé ISR au sein d'une assurance vie. Malheureusement, je me rends compte après trois ans (il est recommandé de les conserver cinq ans) que ce fonds aura perdu de l'argent en 2021. C'es...

à écrit le 29/12/2021 à 17:38
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C'est surtout l'argent gratuit procuré par les banques centrales remboursé par tout le monde au travers de l'inflation qui résume les excès de sebum des marchés flibustiers...

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