Les assureurs vie sous la pression des taux bas

Dans un environnement de taux historiquement bas, les assureurs sont contraints de se réinventer au plus vite pour enrayer la chute des rendements de l’assurance vie et maintenir un haut niveau de solvabilité.
Juliette Raynal
(Crédits : Kevin Schneider via Pixabay (CC0 Creative Commons))

Les assureurs européens auront-ils les reins suffisamment solides dans un contexte de taux durablement bas ? Cette incertitude vient chahuter le secteur depuis que la baisse des taux s'est accélérée avec le passage en territoire négatif des obligations d'Etat à dix ans, l'été dernier. Dans cet environnement inédit, la rentabilité des activités d'assurance vie est mise à rude épreuve, notamment sur le marché français.

Dans l'Hexagone, les placements en fonds en euros souscrits dans le cadre d'un contrat d'assurance vie, sont très appréciés des particuliers. Ils représentent 1.400 milliards d'euros sur les 1.700 milliards d'euros de l'encours total de l'assurance vie. Le succès du fonds en euros est directement lié à la garantie du capital, aux  taux attractifs proposés et à la disponibilité de l'épargne. Mais ces mêmes garanties deviennent un véritable casse-tête pour les assureurs car ces placements sécurisés sont majoritairement investis sur le long terme en dette souveraine, autrement dit dans des emprunts d'Etat, dont le rendement est proche de zéro, voire négatif. Or, en parallèle, le taux moyen servi aux assurés s'élevait à 1,8% l'année dernière. Si les assureurs ont pu proposer un taux beaucoup plus intéressant que celui d'autres placements non risqués comme le Livret A (0,75%), c'est parce qu'ils s'appuyaient jusqu'à présent sur un stock d'obligations dont le rendement est plus important.

"Aujourd'hui, un assureur perd de l'argent sur chaque nouvelle prime sur le fonds en euros", pointe Gildas Robert, directeur conseil actuariat et finance du cabinet de conseil Optimind.

Taux servis en assurance vie

Rendement OAT

Chute des ratios

Au-delà de leur rentabilité, la solvabilité des assureurs, c'est-à-dire leur capacité à avoir suffisamment de capital pour répondre aux besoins de leurs assurés, est directement touchée par ce phénomène. Sur le marché français, le ratio moyen de couverture du capital requis a dégringolé de 26 points entre décembre 2018 et septembre 2019. CNP Assurances, leader de l'assurance vie dans l'Hexagone, a ainsi vu son ratio passer de 187% à 161% sur cette période.

Cette dégradation des ratios a même mené les agences de notation Moody's et Fitch à placer en surveillance négative le secteur de l'assurance. Certaines compagnies n'ont pas attendu ce signal pour contrecarrer les effets des taux bas et ont déjà renforcé leur capital pour être en mesure d'accueillir de nouveaux flux d'épargne. Suravenir, filiale du groupe Crédit Mutuel Arkéa, a été recapitalisée à hauteur de 540 millions d'euros. D'autres ont eu recours à la dette.

Doit-on s'inquiéter de ces mesures de précaution ? "La réponse est non", a assuré Bernard Delas, vice-président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), adossée à la Banque de France, lors d'une conférence organisée par le régulateur financier le 4 décembre dernier. Selon lui, "le niveau de capitalisation du secteur de l'assurance français est à la fois adéquat et prudent". Il rappelle que "les capitaux propres couvrent en moyenne près de deux fois le minimum exigé par la réglementation".

Il n'empêche que l'image renvoyée par cette chute des ratios dérange. "Ce que nous demande le régulateur, c'est qu'après un choc, on soit au même niveau qu'avant un choc", s'est récemment plaint Thierry Martel, le président de l'Association des assureurs mutualistes (AMM) et directeur général de Groupama.

S'adapter d'urgence

Pour y remédier, certains assureurs mutualistes ont demandé un coup de pouce à Bercy plaidant pour une application plus souple des règles de solvabilité. Leur proposition consiste à pouvoir prendre en compte dans leurs fonds propres la provision pour participation aux excédents (PPE dans le jargon), c'est-à-dire les réserves mises de côté au fil de l'eau par l'assureur pour protéger l'épargne des assurés, comme c'est le cas chez nos voisins allemands. "Cette PPE appartient bien aux épargnants et ce n'est nullement remis en cause. Elle serait simplement prise en compte dans le calcul du ratio de solvabilité", précise Gildas Robert.

Cette solution, qui permettrait de "toiletter" le ratio des assureurs à court terme, ne fait pas forcément l'unanimité.

"Ce serait le rêve mais je m'en méfie. Si c'est la seule solution apportée à la situation actuelle, alors on peut s'attendre à ce que certains acteurs aient de gros problèmes. En tant qu'entreprise, c'est notre devoir de s'adapter aux circonstances et de ne pas attendre uniquement un changement de la réglementation", a jugé Jacques Richier, le patron d'Allianz France, lors d'une rencontre avec la presse début décembre.

Cette urgence de s'adapter, le régulateur ne cesse de la rappeler. "Les assureurs n'ont pas d'autres choix que de progressivement faire évoluer et diversifier leur offre produit", a insisté le vice président de l'ACPR. Même son de cloche du côté du gouvernement : "La transformation du modèle de l'assurance vie est inéluctable et irréversible", avait déclaré Bruno Le Maire, le ministre des Finances, lors de la conférence internationale de la Fédération française de l'assurance (FFA). Le message est clair : "L'assurance vie en euros telle que nous la connaissons n'est pas pérenne si l'environnement de taux bas perdure", résume Gildas Robert.

Produits d'épargne alternatifs

Tout l'enjeu consiste donc à inciter les assurés, qui en ont les capacités, à se tourner vers d'autres produits que le fonds en euros, comme les unités de compte (UC), plus rémunératrices car investies en partie en actions, mais aussi plus risquées. Dans cette optique, plusieurs assureurs (Swiss Life, Generali, Allianz France) ont déjà annoncé une baisse significative de la rémunération de leurs fonds en euros. La filiale de l'assureur allemand y a également durci ses conditions d'entrée. La souscription est désormais réservée aux clients apportant un capital minimum de 30.000 euros et enclins à en placer au moins 30% en UC. Les compagnies d'assurance misent également sur le nouveau plan d'épargne retraite (PER), largement soutenu par le gouvernement en parallèle de la réforme des retraites par répartition. Le fonds euros croissance modernisé figure aussi parmi les produits d'épargne alternatifs.

"Mais s'éloigner des produits garantis traditionnels est un défi", juge Benjamin Serra, senior vice president chez Moody's. Dans sa perspective pour le secteur de l'assurance en 2020, l'agence de notation estime qu'il sera plus difficile pour les assureurs de vendre des produits basés sur des unités de compte en 2020, compte tenu des prévisions macroéconomiques, de la volatilité croissante des marchés financiers et de l'aversion aux risques des épargnants.

De possibles rapprochements, mais pas de mouvements majeurs

Face à ces difficultés, de possibles rapprochements sur le marché ne sont pas exclus.

"Je ne crois pas à des mouvements majeurs, mais des petits assureurs spécialisés en assurance vie pourraient être amenés à se consolider ou à sortir du marché car leur ratio de couverture est beaucoup plus impacté par les taux bas que les grosses compagnies d'assurance ou les bancassureurs, qui peuvent compenser la baisse de la rentabilité de l'épargne par d'autres activités. Nous pourrions assister à la conclusion de partenariats stratégiques dans une logique de diversification, ce qui leur permettrait de conserver leur indépendance", estime Gildas Robert.

Si la robustesse des assureurs européens n'est pas remise en cause à l'instant T, le danger à plus long terme ne doit pas être écarté et les compagnies d'assurance seront surveillées de près par le régulateur au cours des prochains mois, d'autant que d'autres défis s'imposent à elles comme la prise en compte du risque climatique.  "Les marges de sécurité dont dispose le secteur sont largement suffisantes. Elles ne sont pas pour autant excessives car les assureurs doivent aussi être prêts à faire face, si elle se produisait, à une crise financière majeure", prévient Bernard Delas.

Juliette Raynal

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Commentaire 1
à écrit le 02/01/2020 à 3:46
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