Sur les marchés, une euphorie mondiale aux allures de bulle

L'année 2018 a démarré en fanfare sur les marchés d'actions. Or presque toutes les places financières du monde avaient terminé 2017 en hausse, les grands indices battant de nouveaux records historiques, portés par une croissance mondiale plus robuste que prévu et un environnement de taux bas. Les niveaux de valorisation élevés, en particulier à Wall Street et chez les FAANG (Facebook, Amazon, Apple, Netflix, Google), laissent craindre une correction. 2018, année du krach ou de l'atterrissage contrôlé ?
Delphine Cuny
A Wall Street, le Dow Jones signe en 2018 son meilleur démarrage annuel depuis 2003 et son 77ème record d'affilée depuis l'élection de Donald Trump, exulte la chaîne Fox Business, la déclinaison financière de la télévision préférée du président américain.
A Wall Street, le Dow Jones signe en 2018 son meilleur démarrage annuel depuis 2003 et son 77ème record d'affilée depuis l'élection de Donald Trump, exulte la chaîne Fox Business, la déclinaison financière de la télévision préférée du président américain. (Crédits : Lucas Jackson)

« A-t-on atteint le point d'exubérance irrationnelle ? »

C'est la question que se posent de nombreux investisseurs et conseillers en placement, relève Melda Mergen, directrice adjointe des marchés d'actions mondiaux chez le gérant d'actifs Columbia Threadneeddle. L'expression fait référence à la fameuse formule employée par Alan Greenspan fin 1996, lorsqu'il était président de la Fed, un pronostic très prématuré, plus de trois ans avant l'explosion de la bulle Internet.

La question est lancinante en ce début d'année, alors que Wall Street enchaîne record sur record. Le Dow Jones, qui regroupe les 30 vedettes de la Bourse américaine, dont Apple, Boeing, ExxonMobil, McDonald's, Microsoft et JP Morgan, a pulvérisé les 25.000 points le 4 janvier, seulement six semaines après avoir dépassé les 24.000 points.. et vient de dépasser les 26.000 points ce mardi 16 janvier. Il avait déjà gagné 25% sur l'ensemble de 2017.

Il signe en 2018 son meilleur démarrage annuel depuis 2003 et son 77e record d'affilée depuis l'élection de Donald Trump, exulte la chaîne Fox Business, la déclinaison financière de la télévision préférée du président américain.

L'année de tous les dangers ?

Le S&P 500, l'indice des 500 plus grandes valeurs de la Bourse de New York, plus large que le Dow, est entré dans un cycle haussier il y a bientôt neuf ans (depuis le point bas de mars 2008 après la crise des subprimes). C'est la deuxième plus longue cavalcade boursière de l'histoire, après celle qui avait démarré en 1987 et qui s'est (mal) terminée à l'été 2000. L'an dernier, le S&P a progressé de 19%, alors que le consensus des analystes anticipait une hausse de 6% ! Le Nasdaq Composite, riche en valeurs technologiques, a bondi de 28% : vendredi 12 janvier, il a encore atteint de nouveaux plus hauts de son histoire en séance et en clôture, à 7.261 points.

2018 signera-t-elle la fin du bull market, le marché haussier, symbolisé par le taureau ? Les stratégistes de JP Morgan anticipent un S&P 500 à 3.000 points en fin d'année, soit un potentiel de hausse de 7,5% par rapport à son cours actuel.

Wall Street n'est cependant pas seule à s'emballer. L'année 2017 restera dans les annales boursières comme particulièrement faste : presque toutes les places financières du monde ont engrangé des gains, et souvent atteint des records depuis la crise financière, à quelques exceptions près telles que la Bourse du Qatar (qui a reculé de 14%), plombée par les tensions diplomatiques avec l'Arabie saoudite, celle du Pakistan (-20%) et celle de Moscou (-4%). L'indice MSCI mondial All Country World Index a bondi de 21,9% en 2017 pour atteindre un plus haut historique.

Les marchés émergents, que l'on disait il y a un an vulnérables à la « démondialisation » et l'essor des protectionnismes, ont bénéficié de la faiblesse du dollar, de la remontée des prix du pétrole, du charbon et du cuivre, et ont réalisé parmi les meilleures performances: +77% pour l'Argentine, +48% pour la Turquie, +42% pour le Nigeria.

En Europe aussi, bien que pénalisés par la vigueur de l'euro, les grands indices ont souvent atteint de nouveaux records, comme le Dax allemand (+12,5%) et le FTSE londonien (+7,6%), mais pas le CAC 40 (qui pâtit de son mode de calcul hors dividende, lire l'entretien du patron d'Euronext), qui a toutefois progressé de 9,26%, son meilleur score depuis 2013. Au Japon, l'indice Nikkei a gagné un peu plus de 19%. Partout, la croissance mondiale plus robuste que prévu et l'environnement de taux bas, qui favorise les investissements en actions par rapport aux rendements obligataires peu attractifs, ont soutenu les Bourses de valeurs.

Si les perspectives de croissance des revenus et des bénéfices des entreprises sont bonnes, sur fond de croissance mondiale « synchronisée » et de baisse d'impôts massive aux États-Unis, des inquiétudes commencent à poindre. Le stratégiste de marchés de Natixis IM, David Lafferty, décrit ainsi 2018 comme « l'année de tous les dangers », en raison de la réduction des soutiens monétaires des banques centrales et des risques géopolitiques.

Deux experts de Schroders relèvent dans leur note sur les perspectives 2018 que « l'un des principaux risques est l'excès de confiance lui-même. Les valorisations des actions bénéficient d'un soutien du point de vue fondamental, mais elles sont indéniablement élevées par rapport aux moyennes à long terme. Même une fois ajustées en fonction du cycle, les valorisations (à l'aune des ratios cours/bénéfices) sont proches de la limite haute de leur fourchette historique. La marge d'ajustement semble donc faible si les choses venaient à mal tourner et, après huit ans de hausse du marché américain, le risque d'un renversement de tendance augmente indubitablement », écrivent Alex Tedder, le responsable de l'investissement pour les actions américaines et mondiales, et Simon Webber, gérant de portefeuille chez le courtier britannique.

Les FAANG, poids lourds de la cote

Le S&P 500 « se paie » en effet 24 fois les profits (sur 12 mois glissants), un rapport cours-bénéfices (price earning ratio ou PER) plus élevé que la moyenne historique de 17 fois sur vingt ans. Si l'on regarde le ratio de Shiller, qui corrige le PER en divisant la capitalisation boursière par la moyenne du résultat net sur dix ans, ajusté avec l'inflation, le multiple grimpe à 32 fois, ce qui n'est arrivé au S&P 500 qu'en deux occasions en 1929 et en 1997 au début de la bulle Internet (en 2000, il avait atteint un pic de 44 fois !). La capitalisation totale du marché rapportée au PIB américain, un ratio surnommé « l'indicateur Warren Buffett », montre un taux de 145% soit le niveau de décembre 1999 (tout près du sommet de 148%, en mars 2000). Ceci dit, « des valorisations élevées ne sont pas nécessairement le signe d'une correction imminente », temporisent les experts de Schroders.

Si les plus fortes hausses du Dow Jones en 2017 ont été signées par des valeurs traditionnelles de Corporate America (Boeing +89%, Caterpillar +70%), plus d'un quart de la performance du S&P en 2017 revient aux valeurs technologiques, en particulier celles que les Américains appellent les FAANG (Facebook, Amazon, Apple, Netflix, Google), acronyme qui fait écho à notre GAFA, mais s'attache à leur seul parcours boursier. Certains investisseurs s'inquiètent d'une bulle sur ces FAANG, des poids lourds de la cote dont la capitalisation cumulée (2.928 milliards de dollars) dépasse le PIB de la France, à la valorisation parfois astronomique : un PER de 212 fois les bénéfices pour Netflix, de 317 pour Amazon, beaucoup plus raisonnable chez Apple (19 fois), Google-Alphabet (32 fois) ou même Facebook (36 fois).

« Les multiples classiques comme le PER ne fonctionnent pas avec des sociétés en forte croissance et qui investissent énormément comme Amazon pour bâtir des plateformes qui augmentent les barrières à l'entrée chaque jour. Amazon est l'entreprise la plus controversée depuis vingt ans et son cours a progressé en moyenne de 38% par an en vingt ans ! » nous confie Benoît Flamant, responsable de gestion Digital chez Finaltis.

« Une dimension très importante de la valorisation tient aux perspectives de croissance, à la conviction du marché que ces entreprises du digital peuvent maintenir un taux de 25 à 30% par an, quand des sociétés plus matures enregistreront moins de 10% de progression de leur chiffre d'affaires, rappelle cet expert. Et on a oublié que 2016 n'avait pas été une bonne année boursière pour les valeurs de l'Internet et du digital. »

Chez Janus Henderson Investors, Alison Porter, gérante actions technologiques internationales, confiante sur le potentiel à long terme de ces valeurs, met toutefois en garde :

« La croissance des valeurs technologiques pourrait attirer une masse considérable de capitaux publics et privés, et conduire à une concurrence irrationnelle et à une valorisation extrêmement exubérante des titres sur certains secteurs du marché. »

L' «indice de la peur» reste bas

S'il balaie tout parallèle avec 2000, à l'époque où les entreprises du Net naissant ne réalisaient souvent pas de chiffre d'affaires, Benoît Flamant pointe un risque :

« Les FAANG n'ont pas de réalité industrielle, c'est une pure création boursière regroupant les plus grosses valeurs technologiques et les plus performantes, derrière lesquelles on adosse des instruments financiers : cela crée de nouvelles corrélations techniques qui peuvent être vicieuses, entre des secteurs qui n'ont rien à voir entre eux, l'électronique grand public, la publicité en ligne, l'e-commerce. C'est un facteur de risque sachant que ces valeurs, dans le top 10 des capitalisations, ont un poids important dans les indices. »

La moindre déception de l'une des valeurs, à la publication de résultats par exemple, pourrait potentiellement faire décrocher les autres FAANG, et les indices avec elles. Le fameux catalyseur nécessaire à une « correction », un reflux modéré qui permettrait aux marchés de reprendre leur souffle et d'éviter un krach.

Mais à ce stade, aucune nervosité n'est palpable : l'indice de volatilité VIX, que l'on appelle l'« indice de la peur », reste historiquement bas (autour des 10 dollars). Ceci dit, il l'était aussi en 2007 avant de flamber plus tard à l'automne 2008, à la chute de Lehman Brothers.

Selon la récente enquête annuelle menée à l'automne par le Boston Consulting Group, « le sentiment des investisseurs apparaît à son niveau le plus bearish (pessimiste, baissier) depuis la crise financière ». Plus des deux tiers des investisseurs sondés par le cabinet de conseil jugent les marchés financiers surévalués et « près de la moitié des sondés (46%) est pessimiste sur les marchés d'actions pour la nouvelle année, une hausse significative par rapport aux 32% de 2016 et 19% de 2015 ». Environ 80% s'attendent même à une récession dans les trois ans à venir.

« L'expansion infinie des multiples n'est pas possible. Cela fait dix ans que nous n'avons pas eu de crise, elle arrivera peut-être dans deux ans aux États-Unis et un peu plus tard en Europe. Il faut que les entreprises s'y préparent, se mettent en ordre de bataille en réalisant les transformations nécessaires, notamment pour s'adapter à la révolution numérique, fait valoir Jérôme Hervé, du cabinet BCG. D'ailleurs, les investisseurs interrogés demandent au management d'arrêter de se préoccuper du court terme pour se concentrer sur les enjeux de long terme. »

[Article mis à jour à 17h45 sur le passage des 26.000 points par le Dow Jones]

_____

CAPITALISATION BOURSIÈRE DES FAANG (en milliards de dollars) au 12/01/2017

  • Apple 900
  • Google-Alphabet 782
  • Amazon 628
  • Facebook 523
  • Netflix 95
  • TOTAL 2.928
Delphine Cuny

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 16/01/2018 à 16:18
Signaler
Planche à billets = bulle

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.