Airbus 320 NEO : quel niveau de production après 2023 ? La filière aéronautique tranchera d'ici mi-2022

Si la crise sanitaire est loin d'être encore terminée, la filière aéronautique a appris à vivre avec et se projette à nouveau vers l'avenir. La trajectoire, largement conditionnée par la production de la famille A320 NEO d'Airbus, semble ainsi tracée pour les deux prochaines années. Au-delà, les discussions se poursuivent entre le constructeur européen et ses sous-traitants. A la fois patron d'Airbus et du Gifas, Guillaume Faury souhaite qu'elles aboutissent en milieu d'année. Ce dernier explique les trois scénarios possibles.
Léo Barnier
Guillaume Faury, président exécutif d'Airbus, a pris la tête du Gifas en juillet 2021.
Guillaume Faury, président exécutif d'Airbus, a pris la tête du Gifas en juillet 2021. (Crédits : Airbus)

Le message était clair lors de la présentation des vœux du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales : 2020 a été l'année de la crise, brutale et profonde, où la filière a dû s'adapter très fortement, 2021 a été l'année de la résilience et de l'amorce de la reprise. 2022 doit donc être l'année de l'ambition retrouvée.

Guillaume Faury, président exécutif d'Airbus qui a pris la tête du Gifas en juillet, a ainsi déclaré : "Nous avons vu les choses vraiment repartir sur le dernier trimestre 2021. Je pense que cela donne la tendance, le cap pour 2022, qui va être une année de conquête, où tout le monde va se retrouver à l'attaque dans le bon sens du terme, avec une vision positive des choses. Nous serons à nouveau à construire, à embaucher, à faire monter en cadence l'outil industriel. Ce sera une année qui regardera vraiment vers l'avenir."

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2022, année de décision

En ce qui concerne l'avenir, 2022 doit être l'année où la filière se positionne sur ses ambitions à moyen-terme. Tout particulièrement sur la question des cadences de production. Si la trajectoire est désormais fixée jusqu'en 2023, avec en particulier la remontée en puissance jusqu'à 65 exemplaires par mois de la production de la famille A320 NEO d'Airbus - largement dimensionnante pour le tissu aéronautique français - le débat reste ouvert pour la suite. Il met ainsi aux prises les ambitions du constructeur européen avec la capacité de la chaîne d'approvisionnement à suivre le rythme, voire avec les réticences de certains fournisseurs à commencer par Safran.

Interrogé sur la question, le patron d'Airbus et du Gifas a déclaré que : "Pour 2022 et 2023, tout le monde est derrière nous pour la remontée en cadence. Nous n'avons pas vu émerger de réticences, mais des questions sur la montée en cadence au-delà du 'rate 65' et la soutenabilité de taux de production à 70 ou 75 appareils par mois à partir de 2024-2025."

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Le patron d'Airbus a notamment reçu le soutien de Christophe Cador, PDG de Satys et président du comité Aéro-PME du Gifas, : "Pour ce qui est des réticences sur les augmentations de cadence, c'est au contraire une bonne nouvelle pour chacun d'entre nous. [...] Pendant deux ans, nous (la supply chain aéronautique) avons survécu, nous nous sommes adaptés, nous avons livré ce que nous avions à livrer et, rétrospectivement, il y a eu assez peu de défaillance d'entreprises. Et ce, en partie, grâce au maintien des cadences des donneurs d'ordres, avec la définition d'un rythme de production dès avril 2020."

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Tous les scénarios restent possibles

Si Airbus ambitionne effectivement d'atteindre rapidement ces niveaux de production inédits dans l'histoire de l'aéronautique qui conduiraient à livrer 900 avions par an pour la seule famille A320 NEO, Guillaume Faury a réaffirmé qu'aucune décision n'avait été prise pour le moment pour les cadences au-delà de 2023. Il a ainsi évoqué "plusieurs scénarios possibles" : rester à un niveau équivalent à celui prévu à l'été 2023, soit 65 avions par mois, "monter un peu plus haut" ou "beaucoup plus haut". Il a tout de même glissé que "l'ensemble des événements, des campagnes réussies, des prises de commandes du dernier trimestre 2021 viennent contribuer à apporter des réponses sur le niveau de charge et de livraisons qui sera nécessaire au milieu de la décennie".

Déjà entamées l'an dernier, les discussions entre le donneur d'ordres et sa chaîne de sous-traitance vont donc se poursuivre dans les prochaines semaines. "Nous espérons être au clair vers le milieu de l'année 2022 sur les niveaux de production qui seront visés en 2024-2025. Nous sommes toujours dans cette hypothèse de travail", a estimé Guillaume Faury.

Le patron d'Airbus  a également voulu tempérer un éventuel décalage du calendrier : "Ce serait bien que mi-2022 nous ayons des choses claires et simples à dire à nos fournisseurs. Si ce n'est pas le cas à ce moment-là, ça veut dire que les étapes de montée en cadence au-delà de 65 avions par mois se feront plus tard. Nous sommes sur un scénario de décision relativement traditionnel."

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Être convaincant face à Safran

Pour obtenir gain de cause, Airbus va devoir convaincre ses fournisseurs de la viabilité à long terme de ces cadences sans précédent. La tâche n'est pas aisée, à l'image de la position affichée par Olivier Andriès, directeur général du groupe Safran. En décembre, il déclarait ainsi : "Au-delà de notre engagement pour 2023 (sur la cadence 65), c'est trop tôt pour prendre une décision. [...] Nous avons une vision (de la demande, ndlr) qui est plus prudente que celle des avionneurs". Safran table ainsi sur une croissance du trafic moyen-courrier de 2,9% par an en moyenne entre 2019 et 2040, là où Airbus et Boeing entrevoient plutôt sur une hausse de 4%.

Le constructeur européen va aussi devoir s'assurer de la capacité de la filière aéronautique monter aussi haut, alors qu'en parallèle la production du 737 MAX redémarre ou que Dassault Aviation s'apprête à accélérer la production de ses Rafale pour répondre à la demande export. Cette capacité est d'autant plus fragile que les sous-traitants payent encore l'impact de la crise et sont déjà confrontés à des tensions pour atteindre les objectifs à court terme et arriver à la cadence 65, même s'il s'agit de "bons problèmes" comme le souligne Guillaume Faury.

S'il n'évoque pas de réticences à l'augmentation de cadence, Christophe Cador expose les données de l'équation, en particulier celle des ressources humaines : "À très court terme, les enjeux sont de livrer ce que nous devons livrer en 2022. Les augmentations de cadence sont déjà une réalité. C'est aussi un enjeu. Pour nous PME, c'est le recrutement et l'attractivité. C'était déjà un problème avant même la crise d'attirer des jeunes. Et après les baisses d'effectifs, comment repartir ? "

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Une force de travail à reconstituer

Si tous les acteurs soulignent l'aide déterminante de l'Etat, notamment à travers l'activité partielle de longue durée (APLD), pour limiter les destructions d'emplois, la filière a tout de même perdu du monde dans la crise. Les 400 entreprises membres du Gifas, qui comptait 202.000 salariés fin 2019, ont ainsi perdu 4 % de leurs effectifs au cours de l'année 2020 et probablement encore 4 % au début de l'année 2021, soit environ 15.000 emplois en tout.

Sans la minimiser, Guillaume Faury a relativisé cette situation, au regard des 28 % d'activité perdus par la filière en 2020 (-40 % pour les avions commerciaux), et affirmé que la filière avait passé le point bas et s'était remise à embaucher. Ainsi 6.000 à 7.000 personnes ont intégré le secteur dans la seconde moitié de 2021.

Sans avancer de chiffres, Guillaume Faury estime que les besoins seront décuplés dès cette année. Même son de cloche chez Christophe Cador, qui explique que la commission Emploi du Gifas a évalué qu'il y aurait environ 15.000 embauches en 2022, même si les chiffres restent encore à affermir. Martin Sion, président de Safran Electronics & Defense et du Groupe des équipements aéronautiques et de défense (GEAD) du GIFAS, a pour sa part précisé que ces besoins de recrutement concernaient tous les domaines, "cols bleus et cols blancs", même si la production est sans doute le domaine le plus touché aujourd'hui. A moyen terme, les métiers de l'ingénierie seront également impactés alors que les besoins se feront plus pressants pour préparer les futures générations d'avions et de moteurs.

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Les matières premières, sources d'attention et de tensions

Parmi les autres difficultés à surmonter à court terme, la question de l'approvisionnement en matières premières et en énergie se fait aussi de plus en plus prégnante. "La hausse du prix des matières premières est un fait aujourd'hui, note Martin Sion. Il y a eu une très bonne coordination au sein du Gifas pour sécuriser l'approvisionnement de manière à pouvoir assurer le 'ramp up'. Et il y a eu une bonne coordination entre les différentes sociétés du Gifas avec les donneurs d'ordres pour trouver des mécanismes qui permettent à l'ensemble de la filière, y compris les PME, de passer des commandes suffisamment en avance afin d'être sûr d'avoir la matière pour redémarrer."

Au-delà des efforts faits pour assurer la disponibilité des matières premières, le président du GEAD reconnaît que la hausse des prix crée des tensions dans les discussions commerciales au sein de la filière pour répercuter la hausse des coûts engendrée.

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Capacité d'investissement dégradée

La capacité d'investissement des entreprises, particulièrement en amont de la supply chain, pourrait également être un frein. D'importants efforts ont déjà été faits avant crise pour moderniser les outils de production et la crise a largement mis à mal les trésoreries. Les différents acteurs doivent également s'adapter au développement des exigences écologiques et accélérer la décarbonation de leur production.

Enfin, même si cela représente un potentiel d'amélioration forte de la compétitivité, les sous-traitants doivent poursuivre leur numérisation pour établir une véritable continuité sur l'ensemble de la chaîne de valeur. "La crise a un peu ralenti (la numérisation), mais elle a aussi énormément révélé l'importance du digital. Nous allons ressortir avec une vitesse d'engagement du secteur beaucoup plus forte qu'avant la crise", conclut ainsi Guillaume Faury.

Ces besoins d'investissements pourraient contribuer à accélérer la consolidation du secteur. Après avoir fait figure d'Arlésienne pendant les deux premières années de la crise, le mouvement semble aujourd'hui se concrétiser.

Léo Barnier

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