
LA TRIBUNE- Le décret d'annulation des crédits budgétaires pour la défense doit prochainement sortir. Faut-il donner crédit au ministère qui indique que c'est simplement une avance budgétaire ?
FRANÇOIS CORNUT-GENTILLE- Comme le dira certainement le ministère des Armées, il s'agit d'une opération de gestion courante pour financer les mesures du plan de résilience. Il s'agit effectivement d'annuler des crédits, qui sont dans la fameuse réserve de précaution. C'est une opération budgétaire classique. Cette encoche pourra peut-être être corrigée par une loi de finances rectificative. Je pense qu'ils sont sincères et qu'il n'y a pas de plan de réduction du budget de défense aujourd'hui. Mais cette mesure n'envoie pas un très bon signal.
Donc, pas de risque que les armées perdent 300 millions d'euros dans un contexte économique, puis budgétaire qui va se tendre ?
Il y a quand même une prise de risque de ce gouvernement pour deux raisons. Il annonce une loi de finances rectificative à la veille d'un changement de majorité et nous ne savons pas non plus quel sera le climat économique dans quatre mois. Nous ne savons pas qui sera au pouvoir dans quelques mois. Le nouveau gouvernement sera-t-il en mesure dans une loi de finances rectificative de réajuster les crédits du ministère des Armées ? Nous n'en sommes pas sûrs. Second point, tous les candidats à la présidentielle ont annoncé qu'il fallait a minima maintenir le budget de la défense, voire l'augmenter à l'avenir. Cela veut dire en termes de perspectives financières de franchir trois marches à trois milliards entre 2023 et 2025. Voire plus pour ceux qui estiment qu'il faut aller au-delà. Il faut se rappeler quand même que nous sommes dans une conjoncture économique post-Covid.
Quels sont les enjeux de cette période ?
Cette période va générer de nombreuses demandes en France, où il y aura une forte pression sociale, notamment dans les hôpitaux, mais aussi une pression d'augmenter la plupart des budgets de certains ministères, y compris régaliens. Parallèlement, la hausse des taux d'intérêts est engagée. Nous allons donc être dans une situation extrêmement difficile. Que vaudra alors l'engagement du gouvernement actuel de rendre les 300 millions et des différents candidats pour les armées quand la conjoncture économique va se tendre ? Ce qui ne manquera pas d'intervenir. Mais j'espère bien qu'il y aura un budget rectificatif, y compris si la conjoncture économique se retourne.
Quelles solutions ?
J'estime que des encoches, même provisoires dans ce contexte-là, accrédite l'idée que la défense n'est pas aussi prioritaire que cela. Si on veut vraiment crédibiliser la trajectoire budgétaire de la loi de programmation militaire, il faut vraiment dès maintenant faire de la défense un budget particulier sur lequel il n'y a plus de réserve et sur lequel on n'annule plus de crédits en cours de route. Pourquoi ? Parce que les risques sont trop grands : face à une pression sociale qui sera extrêmement forte dans les mois et les années à venir, il faut montrer dès maintenant que la défense est à part. La France restera alors crédible à la fois vis-à-vis des militaires auprès desquels la plupart des candidats à l'élection présidentielle se sont engagés, vis-à-vis des Français et surtout vis-à-vis des éventuels adversaires qui nous observent. A ces derniers, il faut leur montrer que nos déclarations sont suivies par des actes et que nous nous donnons vraiment les moyens de réajuster la situation en matière de défense.
Est-ce possible de sanctuariser le budget des armées ?
Il suffit de décider qu'on ne touche plus du tout au budget des armées voté, que les réajustements en cours d'année ne sont plus possibles. Il faut montrer la singularité du ministère des Armées en ne décrétant plus d'encoches. Soit on fait de la défense un marqueur très fort et dans ce cas-là, la défense devient un ministère spécifique. La France sera beaucoup plus forte dans ce cadre. Soit la défense continue d'être une variable d'ajustement pour le budget général. C'est cela le sujet de fond. Nous devons montrer que la France est entrée dans le domaine de la défense dans une nouvelle ère. D'autant que le niveau d'équipement des armées est assez bas, qu'il y a une remontée à faire et que les risques de guerre sont importants...
La France est-elle capable d'augmenter le budget de la défense dans un contexte budgétaire aussi tendu comme le rappelait la Cour des comptes ?
Il s'agit d'être cohérent par rapport à la situation géopolitique qui s'impose à nous. En même temps, l'effort de défense sera tellement dur que je ne suis pas sûr que tous les candidats, y compris ceux qui ont fait des promesses, mesurent la difficulté de les tenir. Si on est conscient de la difficulté de cet effort, il faut indiquer dès maintenant qu'on ne lâche rien, qu'on est rentré dans l'exceptionnel dans ce domaine. Je place peut-être la barre trop haute. Mais est-ce qu'on veut une vraie rupture en matière de défense quel que soit les aléas ou simplement on fera l'effort quand on pourra, comme on pourra ? La nuance est forte. La situation est suffisamment grave pour qu'on prenne des décisions fortes mais je ne suis pas sûr que tout le monde soit conscient des difficultés y compris financières qui sont devant nous. Il est essentiel d'indiquer quelle est notre détermination à la fois aux armées et à nos adversaires en montrant que nous avons changé.
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