Ce scénario noir qui donne des sueurs froides à Airbus, Boeing et toute l'aéronautique

Un retour au niveau de trafic de 2019 n'étant pas attendu avant 2023 ou 2024, les commandes passées par les compagnies aériennes pour croître sont menacées. Elles représentent environ deux tiers des carnets de commandes d'Airbus et de Boeing. Avec le prix extrêmement bas du pétrole, les livraisons d'avions pour le renouvellement des flottes sont également menacées. Sans support des agences de crédit ou des Etats, les livraisons pourraient baisser de 80 à 90% par rapport à 2018, selon Oddo BHF.
Fabrice Gliszczynski
(Crédits : Christinne Muschi)

Les dernières prévisions de trafic de l'association internationale du transport (IATA) ont donné des sueurs froides aux industriels de l'aéronautique. En estimant que le trafic aérien ne retrouverait pas le niveau qui était le sien en 2019 avant 2023-2024, l'IATA a tout simplement rappelé aux avionneurs que tout un pan de leur carnet de commandes risquait de s'envoler : celui des avions commandés par les compagnies aériennes pour faire de la croissance. Chez Airbus, ce type de commandes représente les deux tiers du carnet de commandes. Sur la base du niveau de livraisons observé l'an dernier (863 chez Airbus), répété pendant quatre ans, cela représente plus de 2000 avions. Selon les experts, ce ratio entre commandes de croissance et commandes de renouvellement est similaire chez Boeing.

Aussi, "la reprise du trafic ne sera pas forcément synonyme de prises de livraison d'avions", explique-t-on de bonne source chez Airbus. D'autant plus que les livraisons d'avions pour le renouvellement des flottes sont elles aussi loin d'être assurées. Avec la faiblesse du prix du baril de pétrole, les compagnies pourront être tentées de conserver leurs avions un peu plus longtemps que prévu, même s'ils sont plus coûteux que des avions neufs en consommation de kérosène et en entretien.

Lire aussi : Airbus : les livraisons d'avions s'effondrent, les avions sont stockés

De quoi imaginer les scénarios les plus sombres pour le secteur aéronautique.

"Un scénario noir se basant sur les hypothèses de reprise du trafic de IATA et sur l'absence de support des agences de crédit ou des Etats peut déboucher sur une baisse des livraisons de 80 à 90% par rapport à 2018", explique Yan Derocles, analyste chez Oddo BHF. "Mais", ajoute-t-il, "il existe de nombreux éléments permettant de modifier la demande théorique d'avions neufs".

Plusieurs amortisseurs

L'analyste pointe notamment les opérations de "sales and lease back", un procédé intéressant en termes de rentrées de cash à court terme pour les compagnies aériennes, puisqu'il leur permet de revendre les avions neufs qu'elles avaient commandés à une société de leasing avant de leur louer. Mais aussi les différents types de montages financiers qui facilitent les transactions, comme la "titrisation" des achats, ou encore le rôle des agences de crédit comme l'Eximbank aux Etats-Unis, ou la Coface en France, l'ECGD en Grande-Bretagne et Euler Hermes en Allemagne, qui apportent leur garantie sur le financement des ventes à l'exportation.

Après avoir fermé les robinets pendant l'enquête sur des faits de corruption d'Airbus, aujourd'hui réglée, les agences européennes devraient jouer à nouveau le rôle d'amortisseur qu'elles avaient eu lors des crises précédentes. Des discussions pour qu'elles augmentent leur contribution au financement d'avions sont en effet en bonne voie. Les aides d'Etat aux compagnies aériennes peuvent également inciter ces dernières à acheter des avions neufs pour soutenir la filière aéronautique. Un point qui ne vaut néanmoins que pour les pays à forte implantation aéronautique comme la France par exemple avec Air France-KLM. Enfin, il est clair que les politiques des avionneurs peuvent également faciliter la prise de livraison d'avions.

Les avions long-courriers durement touchés

Pour autant, malgré tous ces amortisseurs, la chute de la demande d'avions risque d'être très importante au cours des prochaines années. Yan Derocles table notamment sur une chute des livraisons de près de 60% par rapport à 2018 sur les avions long-courriers et sur un maintien de ce niveau de livraisons jusqu'en 2025. Il est plus optimiste pour le niveau de livraisons d'avions moyen-courriers qui, après une baisse de plus de moitié en 2020, pourrait revenir à la normale en 2023.

Lire aussi : "La survie d'Airbus est en jeu, il faut agir maintenant pour reprendre le contrôle de notre destin" (Guillaume Faury)

Encore faut-il, concernant Boeing, que l'avionneur mette définitivement derrière lui les problèmes de son B737 MAX, dont l'exploitation et la production sont toujours à l'arrêt, et qu'il retrouve la confiance des compagnies aériennes et des passagers.

Baisse de production et suppressions de postes

De telles baisses de la demande d'avions obligent les avionneurs à se redimensionner. Boeing a déjà annoncé la suppression de 16.000 postes dans la division commerciale. Airbus réduit la voilure lui aussi. La production a déjà diminué d'un tiers et un nouvel ajustement pourrait être annoncé en juin. Les conséquences sur l'emploi seront très lourdes, supérieures aux 10.000 suppressions de postes qui avaient eu lieu à l'occasion du plan Power 8 en 2007. Beaucoup plus petit, le motoriste britannique Rolls Royce a annoncé ce jeudi la suppression d'au-moins 9.000 postes.

Mais si les grands donneurs d'ordre pourront, dans la douleur, encaisser de telles baisses d'activité sur plusieurs années, les sous-traitants de plus petite taille ne le pourront pas. Le gouvernement français prépare un plan de soutien à la filière aéronautique. Les filières aéronautiques allemande et française ont par ailleurs appelé à un plan de relance européen ambitieux pour éviter les faillites.

Fabrice Gliszczynski

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Commentaires 26
à écrit le 25/05/2020 à 9:58
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On ne réalise pas encore que le Covid19 vient de faire disparaître l'innocence des voyages en avion et le "village monde", comme le virus du SIDA a enterré l'innocence de la libération sexuelle des années 60/70 et les rapports sexuels non protégés. L...

à écrit le 22/05/2020 à 9:20
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Gros remplisseurs de paradis fiscaux, les États vont les subventionner font cette vieille économie sous perfusion, comem d'habitude.

à écrit le 22/05/2020 à 0:28
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Ds le monde d'après, on peut raisonnablement prévoir l'évolution d'un tourisme de masse qui perdra en qtite, mais gagnera en qualité tt en étant plus diversifié et plus ciblé. Ça peut être une super opportunité pour Airbus avec la multiplication prob...

à écrit le 21/05/2020 à 21:06
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Excellentes nouvelles : le modèle économique de tous ces prédateurs sans aucun marché intérieur est mort .Tant pis pour ceux comme qui ont cédé aux mirages du désert

à écrit le 21/05/2020 à 15:17
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Que les marchés qui devaient monter au ciel s'effondrent sur eux même est presque risible ; Les voyous de la finance qui ont orchestré, durant ces 15/20 dernières années, en bandes organisées, la création des travailleurs pauvres et de l'esclavage...

à écrit le 21/05/2020 à 14:55
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L'avenir est sombre pour la construction aéronautique , déjà très en retard dans le processus de transition écologique, avec boycott sur les vols intérieurs inutiles depuis peu, ces secteurs seront à reconstruire d'un bout à l'autre avec à le clef de...

à écrit le 21/05/2020 à 8:09
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Beaucoup de dogmatisme, comme d’habitude dans les commentaires. Personne n’est capable de lire l’avenir, mais les stratégies des compagnies aériennes changeant brutalement à cause de l’épidémie, le secteur aéro passe en surcapacité ! Quelle est donc...

à écrit le 20/05/2020 à 23:01
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Construire des avions à l'infini pour un tourisme de masse infini est une vue de l'esprit infinie...ce qui en dit long sur les capacités intellectuelles des économistes, des banquiers, leur vision à long terme. Obnubilés par la "Croissance".! Et pour...

le 25/05/2020 à 14:05
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Cher Monsieur, j'adore le mot infinit. Comme disait Einstein il y a deux choses infinie. L'une d'elle est l'univers. Pour toutes les autres analyses, la répétition de la croissance n'implique pas qu'elle soit inifnie. l'horizon de planning des en...

à écrit le 20/05/2020 à 20:57
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La fin de la fete (end of the party) etait bien previsible depuis 2005 - le Pic Petrolier. Ces mega commandes des avions depuis 15 ans ont ete hallucinantes et mega stupides. Finalement le choc petrolier les a rattrape - de justesse, sinon la planete...

à écrit le 20/05/2020 à 18:01
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Ce n'est pas grave, les Chinois vendront à des tarifs imbattables les copies d'Airbus et de Boeing. C'est bien ce que veulent les soi--disant grands dirigeants d'entreprises et politiques qui sont soumis à leur maitre de Pékin ?

à écrit le 20/05/2020 à 17:44
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Tout a une fin quand on refuse de changer de paradigme pour ne rien remettre en cause dans ses habitudes et sa rente! Voyager moins, c'est voyager mieux... a moins de vouloir faire un selfie pour épater copain et copine!

à écrit le 20/05/2020 à 17:44
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Dans les mois voir les deux années à venir, il y aura peut-être d'autres bévues dans l'industrie. Un exemple: depuis que ce gouvernement m'a pénalisé de 1,7% de CSG en tant que retraité et que je continue de payer la Taxe Foncière, j'ai décidé de ne ...

le 20/05/2020 à 22:50
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@et ce n'est sûrement pas fini Pour la voiture, je suis sur la même longueur d'onde. Pour le "socialisme", les 35 heures, je ne comprends pas. Sans le "socialisme", pas de sécurité sociale, pas de droit au chômage, d'égalité Hommes/Femmes, pas de ...

le 21/05/2020 à 8:34
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" Les plus jeune connaissent qu'a été le socialisme en France " En parlant de dégât à venir: La crise du coronavirus était inimaginable lorsque la loi Travail a été adoptée en 2016. Mais quatre ans plus tard, alors que de nombreuses petites ent...

à écrit le 20/05/2020 à 15:04
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Mais avons nous besoin de revenir au niveau de 2019 ? pour quoi faire : - des vacances low cost financés par les chambres du commerces grâce à nos impôts ? - des vols Paris Nantes ou Paris Marseilles ou Paris Bordeaux alors que le TGV est plus pra...

le 20/05/2020 à 21:01
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Oui Vous avez raison Laissons seuls les riches prendre l'avion et profiter des mers du sud Excellent raisonnement très démocratique et progressiste

le 21/05/2020 à 8:27
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@Chris83 Votre argumentation est erronée, ce ne sont pas les prolétaires qui profitent de l’aviation de masse mais bien les catégories supérieures. Cherchez un peu sur internet, vous trouverez cette info.

à écrit le 20/05/2020 à 14:37
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Étant donné que les experts se trompent depuis le début de l'épidémie, on peut très bien s'imaginer le scénario inverse.....

à écrit le 20/05/2020 à 14:16
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Certes le retournement du marché est brutal, mais il faudra bien prendre conscience que la croissance infinie, ce n'est pas possible. Et le secteur aéronautique, dopé par des conditions fiscales avantageuses au regard de son énorme impact climatique...

le 21/05/2020 à 13:07
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" au regard de son énorme impact climatique," intéressant comme assertion, pourriez vous citer la contribution en CO2 du secteur aérien mondial...? Donnez le chiffre et on en reparle...

à écrit le 20/05/2020 à 13:28
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Le monde entier est à l'affut de ce fichu vaccins, les Américains, les Chinois, les Français sont sur tous les fronts même en Russie. Nous avons les meilleurs savants du monde mais la recherche est sous-alimentée, il y a de la place ailleurs. J'ai ...

à écrit le 20/05/2020 à 13:18
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La reprise prévue étant à moyen terme, cela permettra aux avionneurs de mettre en service des avions vraiment sûrs. Les passagers n'en seront que satisfaits. Le reste n'est que baliverne.

à écrit le 20/05/2020 à 12:49
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Etant donné que la majorité des experts se trompent depuis le début de l'épidémie, on peut très bien s'imaginer le scenario inverse.........

à écrit le 20/05/2020 à 10:52
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Très bon article qui montre clairement que l'avenir du transport aérien n'est pas rose. 2023- 2024 pour la reprise du transport aérien au niveau 2019, c'est loin. Comme souligné à la fin, cela risque d'être très dur pour les petits sous-traitants. ...

à écrit le 20/05/2020 à 10:20
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COVID a réalisé le monde rêvé de Greta Thunberg. Chacun peut en apprécier les effets "positifs". A méditer pour la suite.

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