Les dernières prévisions de trafic de l'association internationale du transport (IATA) ont donné des sueurs froides aux industriels de l'aéronautique. En estimant que le trafic aérien ne retrouverait pas le niveau qui était le sien en 2019 avant 2023-2024, l'IATA a tout simplement rappelé aux avionneurs que tout un pan de leur carnet de commandes risquait de s'envoler : celui des avions commandés par les compagnies aériennes pour faire de la croissance. Chez Airbus, ce type de commandes représente les deux tiers du carnet de commandes. Sur la base du niveau de livraisons observé l'an dernier (863 chez Airbus), répété pendant quatre ans, cela représente plus de 2000 avions. Selon les experts, ce ratio entre commandes de croissance et commandes de renouvellement est similaire chez Boeing.
Aussi, "la reprise du trafic ne sera pas forcément synonyme de prises de livraison d'avions", explique-t-on de bonne source chez Airbus. D'autant plus que les livraisons d'avions pour le renouvellement des flottes sont elles aussi loin d'être assurées. Avec la faiblesse du prix du baril de pétrole, les compagnies pourront être tentées de conserver leurs avions un peu plus longtemps que prévu, même s'ils sont plus coûteux que des avions neufs en consommation de kérosène et en entretien.
De quoi imaginer les scénarios les plus sombres pour le secteur aéronautique.
"Un scénario noir se basant sur les hypothèses de reprise du trafic de IATA et sur l'absence de support des agences de crédit ou des Etats peut déboucher sur une baisse des livraisons de 80 à 90% par rapport à 2018", explique Yan Derocles, analyste chez Oddo BHF. "Mais", ajoute-t-il, "il existe de nombreux éléments permettant de modifier la demande théorique d'avions neufs".
Plusieurs amortisseurs
L'analyste pointe notamment les opérations de "sales and lease back", un procédé intéressant en termes de rentrées de cash à court terme pour les compagnies aériennes, puisqu'il leur permet de revendre les avions neufs qu'elles avaient commandés à une société de leasing avant de leur louer. Mais aussi les différents types de montages financiers qui facilitent les transactions, comme la "titrisation" des achats, ou encore le rôle des agences de crédit comme l'Eximbank aux Etats-Unis, ou la Coface en France, l'ECGD en Grande-Bretagne et Euler Hermes en Allemagne, qui apportent leur garantie sur le financement des ventes à l'exportation.
Après avoir fermé les robinets pendant l'enquête sur des faits de corruption d'Airbus, aujourd'hui réglée, les agences européennes devraient jouer à nouveau le rôle d'amortisseur qu'elles avaient eu lors des crises précédentes. Des discussions pour qu'elles augmentent leur contribution au financement d'avions sont en effet en bonne voie. Les aides d'Etat aux compagnies aériennes peuvent également inciter ces dernières à acheter des avions neufs pour soutenir la filière aéronautique. Un point qui ne vaut néanmoins que pour les pays à forte implantation aéronautique comme la France par exemple avec Air France-KLM. Enfin, il est clair que les politiques des avionneurs peuvent également faciliter la prise de livraison d'avions.
Les avions long-courriers durement touchés
Pour autant, malgré tous ces amortisseurs, la chute de la demande d'avions risque d'être très importante au cours des prochaines années. Yan Derocles table notamment sur une chute des livraisons de près de 60% par rapport à 2018 sur les avions long-courriers et sur un maintien de ce niveau de livraisons jusqu'en 2025. Il est plus optimiste pour le niveau de livraisons d'avions moyen-courriers qui, après une baisse de plus de moitié en 2020, pourrait revenir à la normale en 2023.
Encore faut-il, concernant Boeing, que l'avionneur mette définitivement derrière lui les problèmes de son B737 MAX, dont l'exploitation et la production sont toujours à l'arrêt, et qu'il retrouve la confiance des compagnies aériennes et des passagers.
Baisse de production et suppressions de postes
De telles baisses de la demande d'avions obligent les avionneurs à se redimensionner. Boeing a déjà annoncé la suppression de 16.000 postes dans la division commerciale. Airbus réduit la voilure lui aussi. La production a déjà diminué d'un tiers et un nouvel ajustement pourrait être annoncé en juin. Les conséquences sur l'emploi seront très lourdes, supérieures aux 10.000 suppressions de postes qui avaient eu lieu à l'occasion du plan Power 8 en 2007. Beaucoup plus petit, le motoriste britannique Rolls Royce a annoncé ce jeudi la suppression d'au-moins 9.000 postes.
Mais si les grands donneurs d'ordre pourront, dans la douleur, encaisser de telles baisses d'activité sur plusieurs années, les sous-traitants de plus petite taille ne le pourront pas. Le gouvernement français prépare un plan de soutien à la filière aéronautique. Les filières aéronautiques allemande et française ont par ailleurs appelé à un plan de relance européen ambitieux pour éviter les faillites.
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