Pour ceux qui restent encore sceptiques sur la volonté des industriels de l'aéronautique de trouver des solutions afin de décarboner la filière, le motoriste Safran leur a donné une bonne claque en démontrant que cette industrie pouvait être capable de réduire significativement les émissions de CO2. Ainsi ses filiales, Safran Helicopter Engines, leader mondial des turbines d'hélicoptères, et Safran Tech ont réalisé ces dernières semaines à Bordes (Pyrénées Atlantiques), une première mondiale : la rotation au banc d'essai BEARCAT (1) mis au point par Safran Tech, d'un moteur d'hélicoptère (Makila 2) avec 100 % de carburant d'aviation durable (SAF) durant une campagne d'essais au sol, qui a débuté le 24 août et a duré une trentaine d'heures, dont une vingtaine d'heures avec 100% de SAF.
Avec une incorporation de 100%, ces carburants permettraient de réduire jusqu'à 80 % les émissions de CO2, grâce à un bilan carbone réduit sur l'ensemble de leur cycle de vie, assure Safran. Soit bien au-delà de qui est autorisé par la réglementation actuelle (50% de biocarburant). D'ailleurs aucune fumée visible ne s'échappe du moteur mis au banc... "Notre objectif est de rendre tous nos moteurs d'avions et d'hélicoptères compatibles avec les SAF en 2025 d'un point de vue technologique, a expliqué Nicolas Jeuland, responsable projet Innovation chez Safran et expert en carburant du futur. Ils devront ensuite pouvoir être certifiés pour une mise sur le marché à l'horizon 2030".
"Le développement des biocarburants constitue un des axes de la stratégie multi-énergies de TotalEnergies pour relever le défi de la décarbonation du secteur des transports. Cela s'inscrit pleinement dans l'ambition Climat de la Compagnie d'atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050", a rappelé la directrice Renewable Fuels de TotalEnergies, Virginie Merini.
BEARCAT, un banc d'essais précieux
Durant ces essais sous la maîtrise d'oeuvre de Safran Tech, un moteur Makila 2, qui équipe les Caracal de l'armée française et les SuperPuma, a été alimenté en totalité avec du biocarburant produit par TotalEnergies à partir de résidus et de déchets issus de l'économie circulaire, plus particulièrement des huiles de cuisson usagées. Ces essais profiteront aussi bien aux turbines produites par Safran HE qu'aux moteurs de l'aviation commerciale (notamment des LEAP) de Safran. Des essais qui démontrent de véritables axes de progrès intéressants pour cette filière, qui produit entre 2% et 3% des émissions de CO2 au niveau mondial. D'autant que l'utilisation de SAF permettrait également de réduire l'encrassement des moteurs. Jusqu'ici soutenu par le gouvernement français, l'aéronautique peut donc être vertueuse n'en déplaisent à certaines associations ou ONG qui veulent clouer quoi qu'il en coûte les avions au sol - "un bon avion est un avion qui reste cloué sur le tarmac", selon certaines ONG très radicales.
Bourré de capteurs (300 points de mesure), BEARCAT, qui est un outil de maturation technologique, permet la montée en TRL (Technology Readiness Level ou niveau de maturité technologique) d'innovations technologiques à l'image du comportement des SAF dans une turbine. Il met en évidence l'impact précis d'un SAF sur les performances du Makila 2 grâce à ces 300 points de mesure dans un environnement d'utilisation réel (thermique, mécanique, vibratoire, chimique). Ce qui est un atout majeur pour la montée en TRL des SAF et de leur certification.
Pour faire émerger des filières de SAF, les groupes pétroliers estiment l'effort d'investissement à 1.000 milliards de dollars. Pour le réaliser, ils ont notamment besoin d'une visibilité qui ne peut leur être donnée que par les pouvoirs publics et donc la mise en place de nouvelles réglementations imposant des taux d'incorporation obligatoires de SAF plus ambitieux qu'actuellement. La France affiche un objectif de 2% en 2025 et de 5% en 2030, qui est modeste. Outre la turbine Makila, Safran prévoit en fin d'année un vol d'essai avec 100% de biocarburant sur un Airbus A320neo motorisé par un LEAP. L'industrialisation des SAF permettra également de réduire leur prix, qui est aujourd'hui rédhibitoire (entre 3 et 5 fois plus cher en fonction des SAF que du kérosène). Ce qui est également un frein puissant à son développement. Pour autant, les SAF resteront durablement plus chers que le kérosène. D'où l'objectif crucial et concomitant de réduire la consommation des avions.
Safran Helicopter Engines en pointe
Safran Helicopter Engines est à la pointe de la transition énergétique dans le monde des hélicoptères. En juin, le motoriste a fait fonctionner deux moteurs Arriel 2E d'un H145 (Airbus) en utilisant un mix de carburant conventionnel et de 40 % de biocarburants fournis par TotalEnergies lors d'un premier vol opérationnel d'un hélicoptère de secours de l'opérateur allemand ADAC Luftrettung dans la région de Munich. Tous les moteurs de Safran HE sont développés et certifiés pour utiliser jusqu'à 50% de SAF. Ainsi, le développement des biocarburants permet de réduire les émissions des hélicoptères déjà en exploitation aujourd'hui.
Avec cette campagne d'essai sur le Makila 2, Safran HE, qui a 21.000 moteurs en service, passe la vitesse supérieure. Le motoriste franchit "une nouvelle étape vers l'utilisation de carburant aéronautique issu entièrement de filières renouvelables, le président de Safran Helicopter Engines Franck Saudo. Ces essais sont une étape clé dans la réalisation de futurs vols d'essais avec nos partenaires hélicoptéristes". Mais d'une façon générale, le patron de Safran HE attend qu'un premier groupe pétrolier passe à l'échelle pour mettre en place un réseau consistant.
(1) Banc d'Essai Avancé pour la Recherche en Combustion et Aérothermique des Turbomachines
Sujets les + commentés